durée du travail
Question de :
M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 15 octobre 1997
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Monsieur le Premier ministre, le groupe communiste et partenaires se félicite des conclusions de la conférence nationale qui s'est tenue vendredi (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française) et en particulier de la décision d'élaborer une loi-cadre pour les trente-cinq heures. («Scandaleux !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
M. Louis de Broissia. On y reviendra !
M. Alain Bocquet. Il s'agit là d'une décision importante parce que c'est une bataille de plus de deux décennies du monde du travail, du mouvement syndical, de la gauche, des communistes. Elle va contribuer à alléger la peine de travail, à créer des emplois...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C'est faux !
M. Alain Bocquet. ... et, de ce point de vue, je veux m'indigner de l'attitude du Conseil national du patronat français (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), une attitude qui affiche bien son archaïsme social, son intolérance. Il n'y a pas de mots assez durs. On parle de guerre, de tueur, de complot !
Ce n'est pas du tout ce qui sied à une démocratie comme la nôtre et au dialogue social qui doit avoir cours dans un pays comme le nôtre. Une inquiétude s'est d'ailleurs exprimée. Face à ce front du refus du CNPF, vous pourrez compter bien évidemment sur les parlementaires communistes qui prendront part à ce combat pour...
M. Louis de Broissia. Casser la machine !
M. Alain Bocquet. ... que le contenu de la loi-cadre pour les trente-cinq heures corresponde pleinement aux souhaits des salariés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Ma question est double: quelles mesures comptez-vous prendre face à l'intransigeance patronale et pouvez-vous nous donner quelques indications sur le calendrier et le contenu de cette loi-cadre pour les trente-cinq heures qui correspondra, j'en suis sûr, à une nouvelle dignité pour les salariés de ce pays et pour l'avenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le président de l'Assemblée nationale, monsieur le président du groupe communiste, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement, à travers les orientations qu'il a proposées, entend affirmer sa volonté politique de lutter contre le chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Il entend respecter ses engagements vis-à-vis du peuple français, prendre en compte la réalité économique (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), proposer la négociation sociale et faire jouer à la France un rôle d'initiative dans l'Europe, une Europe que nous voulons construire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Tels sont les cinq éléments qui aident à comprendre la décision du Gouvernement.
M. Jean Ueberschlag. Incantation !
M. le Premier ministre. Ce n'est pas une incantation mais un constat. Nous avons 3 500 000 chômeurs en France et notre société en est profondément déstabilisée.
M. Jean Ueberschlag. C'est vous qui les avez créés !
M. le Premier ministre. Par une politique de croissance que le budget permet - un budget de croissance et un budget pour l'euro - par une politique de l'emploi à l'échelle européenne que nous commençons à proposer à nos partenaires à travers le sommet sur l'emploi, par le programme pour l'emploi des jeunes (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française) qui se met en place dans le public et démarrera dans le privé, et, enfin, par la diminution du temps de travail, nous voulons dire que la priorité de ce gouvernement est la lutte pour l'emploi et contre le chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Le Gouvernement entend respecter ses engagements vis-à-vis du peuple. Il y va de la réhabilitation de la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste. - Murmures sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) J'ai annoncé que nous voulions parvenir aux trente-cinq heures au cours de la campagne présidentielle de 1995. Nous l'avons réaffirmé dans notre programme législatif et dans les discussions avec nos partenaires pendant la campagne législative de 1997. Je l'ai répété dans ma déclaration de politique générale. Il faut s'habituer à ce que, sur des points essentiels, ce gouvernement tienne ses engagements devant le peuple français. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Jacques Myard. Vous allez dans le mur.
M. le Premier ministre. De ce fait, personne ne peut se dire surpris et encore moins berné. Mesdames et messieurs de l'opposition, il vous est arrivé de mener campagne sur un slogan qui avait intéressé le peuple: la lutte contre la fracture sociale. Vous avez abandonné ce slogan et vous avez été sanctionnés pour cela. Si je dois un jour être sanctionné par le peuple...
M. Jacques Myard. Cela viendra !
M. le Premier ministre. ... je préfère que ce soit sur ma politique plutôt que pour l'abandon de ma politique. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Pour autant, dans nos propositions, et Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité y a veillé avec le ministre de l'économie et des finances et moi-même, nous prenons en compte les réalités économiques. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Ce n'est pas aujourd'hui que nous passons aux trente-cinq heures, c'est en l'an 2000, c'est-à-dire dans plus de deux ans ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.) Ce n'est pas tout de suite pour tous, puisque cela ne concernera pas les entreprises de moins de dix salariés. Nous étions d'ailleurs prêts à retenir le chiffre de vingt salariés et c'est plutôt pour complaire à certaine organisation, dont on a beaucoup parlé, que nous ne l'avons finalement pas retenu. Il y a, en effet, des problèmes de «frontières» avec d'autres organisations, vous le savez. Ces mesures ne s'appliqueront, en tout état de cause, qu'à la fin de la législature.
Elles ne s'appliqueront pas sans contrepartie, puisque le Gouvernement prend l'engagement d'aider les entreprises...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. Avec quel argent ?
M. le Premier ministre. ... qui s'engageront plus vite et tout de suite dans le dispositif de diminution du temps de travail.
M. Patrick Ollier. Qui va payer ?
M. le Premier ministre. Ce ne sera pas sans un nouveau dialogue, y compris avec les chefs d'entreprise, puisqu'en 1999, en fonction des conditions économiques de l'époque et en tenant compte des négociations qui, j'en suis sûr, se développeront dans de nombreuses entreprises entre les chefs d'entreprise et les syndicats, nous examinerons ensemble les modalités concrètes du passage aux trente-cinq heures (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française), et cela ne se fera pas de façon uniforme. Nous voulons en effet ouvrir un espace de négociations,...
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. C'est réussi !
M. le Premier ministre. ... puisque la souplesse est au coeur de ces discussions et que nous avons évoqué la modération salariale.
Oui, nous proposions la négociation sociale ! C'est tout un champ qui est ouvert aux partenaires sociaux de ce pays, s'ils veulent s'en saisir, sur le temps de travail, mais aussi sur les minima sociaux, les minima de branches, les cas des hommes et des femmes qui ont travaillé dès quatorze ans et cotisé quarante ans (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), la simplification des formalités administratives pour les petites et moyennes entreprises.
Pourquoi n'ai-je pas eu en réponse une proposition alternative du CNPF sur la base de laquelle nous aurions pu discuter ? Comment pouvait-on demander à ce gouvernement, engagé devant le pays, de renoncer à un axe essentiel de ses propositions sans aucune contrepartie, sans engagement d'aucune nature ? Nous pensons bien que la négociation sociale se nouera dans les entreprises, et Mme Martine Aubry va y travailler avec les autres responsables du Gouvernement au cours des mois qui viennent.
Enfin, monsieur le président du groupe communiste, nous voulons effectivement que la France puisse jouer un rôle moteur et d'initiative dans l'Europe.
M. Charles Ehrmann. Exhortation !
M. le Premier ministre. Je suis d'accord avec le Président de la République quand il nous demande, dans les discussions internationales, de ne pas adopter l'attitude d'un pays qui donne la leçon aux autres. Mais ne pas donner la leçon aux autres, ne pas être arrogant, cela ne signifie pas se réjouir d'être simplement dans le peloton de queue du conformisme économique européen. (Applaudissements sur les bancs de groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jacques Myard. Parlez-nous de Tony Blair !
M. le Premier ministre. Le Gouvernement se propose de redonner à la France un rôle moteur sur des questions qui secouent toute la société européenne, dans laquelle il y a 20 millions de chômeurs.
Je suis heureux de voir que la crise italienne, que nous ne souhaitions pas car le gouvernement de ce pays est, vous le savez, réaliste, moderne, s'est dénouée sur la question des trente-cinq heures. L'Italie s'engage dans cette perspective. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jean-Claude Lefort. Exact !
M. le Premier ministre. Le président de la confédération européenne des syndicats vient d'affirmer que ce signal donné par la France était un signal pour toute l'Europe...
M. Arthur Dehaine. Bref, tout va bien !
M. le Premier ministre. ... que l'objectif des trente-cinq heures restait bien celui du syndicalisme européen.
Oui, une France qui propose, qui anime, puis qui dialogue, c'est cela, mon idée de la France ! (Vifs applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française.)
Auteur : M. Alain Bocquet
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Travail
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 octobre 1997