justice
Question de :
M. Thierry Mariani
Vaucluse (4e circonscription) - Rassemblement pour la République
Question posée en séance, et publiée le 3 juin 1998
M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani.
M. Thierry Mariani. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de la justice.
Nous avons tous appris, comme des millions de Français, que les étrangers grévistes de la faim de Lyon ont obtenu un sursis aux mesures d'éloignement du territoire prononcées à leur encontre. M. le ministre de l'intérieur, dans un communiqué, le 28 mai dernier, soulignait pourtant qu'il s'agissait de délinquants multirécidivistes condamnés pour des faits graves, tels que trafic de drogue, proxénétisme ou tentative de meurtre.
Par leur grève, ils entendaient protester contre le principe de la double peine qui permet à un tribunal ou à l'administration d'assortir une peine principale d'emprisonnement, prononcée à l'encontre d'un étranger, d'une mesure d'expulsion du territoire en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés.
Cette possibilité d'infliger une «double peine» à un délinquant n'est pas réservée aux seuls étrangers, comme cela a été expliqué de multiples fois ces derniers jours. De fait, nos concitoyens peuvent, eux aussi, en plus de leur peine d'emprisonnement, être frappés d'une peine complémentaire telle que l'interdiction des droits civiques, politiques ou encore l'interdiction d'exercer une fonction publique.
Il n'y a donc aucune discrimination. Dans l'affaire des grévistes de la faim de Lyon, contrairement à ce que certains affirment, il s'agit simplement de l'application des lois de la République qui doivent être mises en oeuvre avec la même rigueur, que l'on soit français ou étranger.
Ma question est triple.
Premièrement, sous la gauche plurielle, les jugements des tribunaux de la République sont-ils désormais négociables ? (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Tout dans la nuance !
M. Thierry Mariani. Vous pouvez rire, mais c'est la question qu'on peut se poser après ce qui s'est passé le week-end dernier !
Deuxièmenent, est-il acceptable que de dangereux délinquants, de surcroît récidivistes, puissent ainsi rester sur notre territoire ?
Troisièmement, sommes-nous encore dans un Etat de droit quand les services de l'Etat refusent sciemment d'exécuter une décision de justice ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le député, la France accueille les étrangers sur son sol selon ses lois: c'est ainsi que s'exprimait M. le Premier ministre, le 19 juin 1997.
Vous avez raison de rappeler que l'expression «double peine» est impropre, qu'elle est abusivement polémique. Les peines complémentaires s'appliquent aussi bien aux Français qu'aux étrangers. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rasemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants). Je l'avais rappelé moi-même il y a quelques jours dans un communiqué, dont M. Mariani s'est visiblement inspiré: un Français peut être frappé par une peine d'interdiction de la fonction publique ou de déchéance de ses droits civiques.
Cependant, j'ai eu l'occasion de le dire, la loi doit être appliquée avec humanité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La loi RESEDA devenue la loi de la République, votée non par vous mais par une majorité de l'Assemblée nationale, a prévu qu'il serait tenu compte du préjudice porté à la vie privée et familiale et que toute décision de justice devrait être spécialement motivée.
Sur les dix personnes que vous avez citées, monsieur le député, six étaient frappées d'une mesure d'interdiction du territoire national par des juridictions judiciaires statuant en toute indépendance. L'une de ces interdictions était arrivée à terme. C'est la raison pour laquelle l'intéressé, M. Benbendjafar, a fait l'objet d'une régularisation.
Les neuf autres personnes qui n'ont pas été régularisées ont été, en raison de leur état de santé, assignées à résidence en attendant que les tribunaux puissent se prononcer sur la demande de relèvement de peine qu'il leur appartient de faire.
M. Arnaud Lepercq. On n'en finit pas !
M. le ministre de l'intérieur. Je mets de côté ceux qui font l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion pris en considération de la gravité des crimes ou des délits qu'ils ont commis et dont le cas fera l'objet d'un examen attentif de la part de mes services.
En attendant, la constitution d'une commission interministérielle a été annoncée par Mme Guigou. Cette commission permettra de définir les conditions dans lesquelles une directive de politique pénale sera prise, pour tenir compte de la modification introduite par la loi RESEDA. Sur cette base, les juridictions seront amenées à statuer en toute indépendance.
Cette proposition, faite par M. Galabert et entérinée par le Gouvernement, permet d'apporter une réponse très simple au problème posé et d'appliquer la loi dans des conditions aussi raisonnées et humaines que possible.
M. Thierry Mariani. Pour des trafiquants de drogue ? Pour des proxénètes ?
M. le ministre de l'intérieur. Personnellement, je réserve ma compassion - qui est une vertu privée - à ceux qui la méritent, c'est-à-dire aux victimes («Nous aussi !» sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) et aux policiers, notamment ceux qui, la semaine dernière, ont été blessés au moment où ils tentaient de délivrer une jeune femme chinoise enlevée par des criminels appartenant à un réseau de trafiquants de main-d'oeuvre clandestine. Cela dit, la loi fixe des droits. Ces droits doivent être examinés en toute impartialité. C'est ce qui sera fait. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et du groupe socialiste.)
Auteur : M. Thierry Mariani
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Étrangers
Ministère interrogé : intérieur
Ministère répondant : intérieur
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 juin 1998