Question au Gouvernement n° 724 :
réforme

11e Législature

Question de : M. Robert Hue
Val-d'Oise (5e circonscription) - Communiste

Question posée en séance, et publiée le 17 juin 1998

M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, comme vous le savez, avec le parti communiste, je n'ai cessé de réclamer une réforme sérieuse de l'impôt sur les grandes fortunes. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cet impôt a été conçu, on s'en souvient, comme un impôt de solidarité établissant une relation directe entre l'accumulation d'immenses fortunes, que le commun des mortels a du mal à se représenter, et, à l'autre pôle de la société, l'aggravation des difficultés et de l'exclusion pour les plus démunis de nos concitoyens. Or force est de constater qu'aujourd'hui cet impôt épargne, si j'ose dire, les plus fortunés et que son rendement est sans proportion avec le niveau des patrimoines concernés. Le Conseil national des impôts lui-même relève qu'en l'état il introduit «un traitement inégal entre les citoyens». Nous avons tous en mémoire le cas exemplaire, si je puis dire, de M. Pinault, l'une des plus grosses fortunes de France, qui, en toute légalité, a échappé à l'impôt en 1998. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
M. Michel Crépeau. Très juste !
M. Lucien Degauchy. Mitterrand ne l'a jamais payé ! Et pourtant, il était riche !
M. Robert Hue. N'est-ce pas une manifestation du règne de l'argent-roi lorsque 10 % des ménages détiennent 50 % des fortunes et que des patrimoines parmi les plus élevés sont exonérés de cet impôt ?
M. Patrick Ollier. Et si leurs détenteurs créent des emplois ?
M. Robert Hue. Il est temps de s'attaquer aux privilèges exorbitants dont jouissent ces grandes fortunes financières. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Messieurs de droite, vous ne découvrez tout de même pas aujourd'hui que je ne suis pas du côté des milliardaires ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Lucien Degauchy. Et Doumeng ?
M. Robert Hue. Ne conviendrait-il pas de proposer, outre une nouvelle modulation des taux, l'intégration des biens professionnels dans le calcul de l'impôt, tout en veillant à ne pas pénaliser les PME-PMI quand leur patrimoine est mis au service de la création d'emplois et du développement de l'entreprise ?
Quant à la fiscalité sur les oeuvres d'art («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), je pense qu'elle doit porter sur les plus-values réalisées lors des transactions, afin que ce soit la spéculation qui soit taxée.
Alors que l'impôt pèse lourdement sur les familles modestes et sur les couches moyennes, comme sur beaucoup de petites et moyennes entreprises, une caste de privilégiés, immergée dans les eaux glacées du calcul égoïste (Rires et exclamations sur les mêmes bancs), parvient à se soustraire à l'effort de solidarité. Une telle iniquité est incompatible avec les valeurs de gauche et, tout simplement, avec la justice fiscale.
C'est aussi une question d'efficacité économique. Plus juste et plus efficace parce qu'il inciterait à utiliser l'outil de travail pour l'activité économique et l'emploi plutôt que pour s'enrichir, l'ISF impôt pourrait fournir au budget de l'Etat de nouvelles ressources pour la solidarité nationale et la lutte contre l'exclusion.
C'est dans cet esprit que j'entends déposer, au nom du groupe communiste, une proposition de loi dans les jours qui viennent. («Ah !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Mais, dans l'immédiat, je vous serais reconnaissant, monsieur le ministre, de bien vouloir me faire savoir quelle suite le Gouvernement entend donner à cette réforme nécessaire de l'impôt sur les grandes fortunes. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Olivier de Chazeaux. Aucune !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, vous avez raison. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.) L'impôt sur la fortune a été une avancée significative des gouvernements de gauche et il a même fallu que nous nous y prenions à deux fois pour le mettre en oeuvre, après que la droite, en 1986, eut voulu le faire disparaître. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.) Cet impôt a contribué à rattraper le retard que la France avait sur ses voisins en matière de fiscalité du patrimoine. En effet, pendant longtemps, nous avons été très en retard en matière de fiscalité du patrimoine, et il est bon que cela ait été corrigé.
L'impôt de solidarité sur la fortune a rapporté 10 milliards de francs en 1997, soit une augmentation de 12 % par rapport à l'année précédente, et j'attends qu'il rapporte sensiblement plus cette année. En effet, les plus-values boursières, pour ne prendre que cet exemple, entrent dans l'assiette de l'ISF même lorsqu'elles ne sont que latentes et n'ont pas été réalisées, dès lors qu'elles sont constatées. Si, au 31 décembre 1998, la bourse se trouve à son niveau actuel - nous savons combien elle a monté - l'impôt de solidarité sur la fortune sera augmenté d'autant.
Au demeurant, cet impôt n'est pas la seule manière de taxer le capital, puisqu'il y a aussi l'impôt sur les revenus du capital. Vous le savez, mesdames, messieurs les députés, les dispositions que vous avez adoptées à l'automne dernier, visant à lutter contre l'évasion fiscale et à étendre la CSG aux revenus du capital, ont permis d'augmenter de l'ordre de 40 % le rendement attendu de l'impôt sur les revenus du capital pour 1998. Je ne connais pas encore le chiffre exact mais l'estimation est de cet ordre.
Encore faut-il éviter que cette augmentation à laquelle nous avons procédé ne soit à l'origine de ce que l'on appelle la délocalisation des fortunes, car il ne faudrait pas perdre sur la substance ce que nous gagnons sur les taux. C'est pourquoi je suis très heureux que le gouvernement français ait obtenu de la Commission européenne qu'elle dépose un projet de directive fixant à 20 % au minimum la fiscalité sur les revenus du capital. Cela nous permettra de rester au taux qui est le nôtre aujourd'hui et fera disparaître certains paradis fiscaux, ce qui limitera grandement les risques de délocalisation.
Le Gouvernement a engagé une réflexion dans trois domaines: la fiscalité locale, la fiscalité écologique et la fiscalité du patrimoine, qui est l'objet de votre question. Il n'entend pas décider seul. Il veut discuter avec les forces représentées au Parlement et avec différentes forces sociales et syndicales. Dans les semaines qui viennent, une large concertation sera donc menée à partir; des travaux que le Gouvernement a engagés; dans ces trois domaines, en particulier sur la fiscalité du patrimoine; et notamment, en son sein, sur l'impôt de solidarité sur la fortune. Cette concertation sera menée en ayant à l'esprit les deux priorités qui sont celles du Gouvernement: l'emploi et la justice sociale. Bien entendu, nous ne présenterons pas à la majorité un dispositif qui irait contre l'un de ces deux objectifs sociale.
Monsieur le député, vous avez abordé deux points précis sur lesquels je veux revenir.
Le Conseil national des impôts a en effet remis, il y a quelques jours, un rapport qui préconise d'introduire les biens professionnels dans l'assiette de l'ISF. Toutefois, il est recommandé de ne pas alourdir la pression totale; donc d'accompagner cette intégration des biens professionnels dans l'assiette de l'ISF d'un abaisement des taux, taux de telle sorte qu'au total cela rapporte la même chose. Cette piste mérite d'être examinée. Dans le même temps, le Conseil national des impôts suggére de baisser les droits de succession, si bien qu'au total la fiscalité sur la patrimoine diminuerait. Ce rapport n'engage pas le Gouvernement, mais je ne pense pas que la concertation à laquelle nous allons nous livrer conduise obligatoirement à vouloir faire baisser la fiscalité sur le patrimoine.
M. Francis Delattre. Démago !
M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Si j'ai évoqué ce point, monsieur le député, c'est parce que vous vous êtes référé à ce rapport, qui est au demeurant intéressant et comporte de nombreux arguments.
J'en viens à ma seconde remarque. L'ISF frappe aujourd'hui les valeurs mobilières, l'immobilier et le foncier. Comme vous l'avez rappelé, peut-être parce qu'il n'est pas parfait, beaucoup de contribuables qui devraient l'acquitter y échappent, ce qui est totalement anormal. En tout état de cause, dans les propositions qui vous seront soumises et qui seront discutées au préalable avec les uns et les autres, nous devons faire en sorte que cessent de telles anomalies. Il est en effet inadmissible que certains contribuables, dont la fortune est à l'évidence importante, puissent, par des canaux divers, échapper à cet impôt dont l'esprit est clair: assurer la solidarité.
Nous allons donc avoir ce débat. Je retiens les propositions que vous venez de faire. Elles méritent réflexion mais aussi beaucoup d'attention eu égard à au vu de notre objectif d'emploi, à notre objectif de solidarité. Je pense que nous arriverons ensemble à une solution satisfaisante dans les semaines qui viennent. («Démago !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour lea République; du groupe de l'Union pour la démocratie française et du groupe Démopcratie libérale et Indépendant. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française.

Données clés

Auteur : M. Robert Hue

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Impôt de solidarité sur la fortune

Ministère interrogé : économie

Ministère répondant : économie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 juin 1998

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