politique de la santé
Question de :
M. Jean Leonetti
Alpes-Maritimes (7e circonscription) - Union pour la démocratie française
Question posée en séance, et publiée le 18 juin 1998
M. le président. La parole est à M. Jean-Antoine Léonetti.
M. Jean-Antoine Léonetti. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
Un rapport officiel demandé par vos services sur le danger que représentent les drogues, en particulier pour le cerveau, vient d'être publié. Signé par le professeur Bernard Roques, éminent spécialiste de pharmacologie, il classe l'héroïne à égalité avec l'alcool et affirme que le cannabis ne comporte pas de risque toxique majeur.
Pour le monde médical et scientifique, ce rapport enfonce un certain nombre de portes ouvertes, mais il risque, bien entendu, et c'est probablement l'intention du Gouvernement, d'être utilisé bien au-delà de son avis technique.
Nous connaissons depuis longtemps le risque habituel, individuel et social de l'alcool, mais c'est une erreur de l'associer à l'héroïne qui, nous le savons tous, entraîne la destruction rapide et irréversible des cellules cérébrales. On ne peut en aucun cas considérer qu'elle représente un danger comparable à celui causé par l'alcool compte tenu de la déchéance rapide qu'elle provoque chez l'individu.
Ce rapport, en réalité, mes chers collègues, n'est pas destiné à réaffirmer un certain nombre d'évidences. Il est déjà exploité de manière médiatique et politique pour préparer la dépénalisation des drogues dites «douces».
Vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, nous sommes partisan de maintenir les interdictions sur l'usage des drogues. Il ne faut pas, en effet, tenir compte seulement de l'élément toxique mais aussi de la motivation de l'individu, de la quantité du produit ingéré et, enfin et surtout, de l'exclusion sociale qu'il entraîne.
Ne pensez-vous pas que le véritable problème est la prévention et la prise en charge de la toxicomanie et non la recherche, par le biais de rapports d'experts qui, bien évidemment, ont toxicologiquement raison mais moralement et politiquement tort (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), de la légalisation des drogues douces qui sont toutes néfastes pour la jeunesse de notre pays ? (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le député, avoir toxicologiquement raison et politiquement tort est une notion nouvelle dont je vous félicite (Sourires), mais elle est tout de même très dangereuse, permettez-moi de vous le dire.
Franchement, ce rapport de M. Roques, comme bien d'autres d'ailleurs que vous auriez pu évoquer, n'est pas destiné à être utilisé très directement de façon politique...
M. Pierre Lellouche. C'est ce que vous faites depuis deux jours !
M. le secrétaire d'Etat à la santé. ... ni à permettre une dépénalisation qui n'est pas à l'ordre du jour.
Il a été réalisé par des gens dont la compétence n'est pas mise en cause, un groupe international de neurophysiologistes éminents, grâce auxquels, pour la première fois, on met en perspective la neurotoxicité des différentes substances.
Nous le présenterons officiellement car ce qu'on en a lu dans la presse est évidemment extrêmement réducteur. Je l'ai remis hier au Sénat, où il y avait un débat sur la réduction des risques, qui a, je crois, apporté beaucoup, et il est à votre disposition dès maintenant si vous le souhaitez. Il est extrêmement riche.
Il ne dit pas autre chose, par exemple, que le rapport de l'Académie des sciences qui parlait de la toxicologie du cannabis: entre 7 et 10 % d'usagers de cannabis deviennent dépendants. Personne ne dit que le cannabis n'a pas d'influence. Simplement, encore une fois, le rapport classe les dangers neurotoxiques des substances les uns par rapport aux autres.
En termes de santé publique, et il est évident que c'est ce qui nous intéresse tous, il était essentiel de l'entendre. On a vu à Marseille que les fauteurs d'incidents étaient ivres et dangereux. On voit tous les jours les conséquences sociales de l'alcool. Je ne vous rappelle pas tous les chiffres, mais simplement un seul qui vient du ministère de la justice: dans 80 % des rixes et des bagarres de notre pays, l'alcool est en jeu, et dans la moitié des accidents de la route.
M. Pierre Lellouche. Et quel est le pourcentage pour la criminalité ? Vous savez que la plupart des problèmes sont dus à la drogue !
M. le secrétaire d'Etat à la santé. Calmez-vous, monsieur Lellouche. Personne n'est en cause ici !
Je vous rappelle que le premier rapport à ce sujet était celui de Mme Monique Pelletier réalisé il y a vingt ans à l'initiative du président Giscard d'Estaing. Il recommandait les mêmes choses. Vingt ans après, on n'a encore rien fait. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. Lucien Degauchy. Ce n'est pas ce qui vous donne raison !
M. le secrétaire d'Etat à la santé. Je pense que, comme au Sénat hier, les vociférations devraient céder la place au débat. Je suis à votre disposition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. le président. Nous passons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.
Auteur : M. Jean Leonetti
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Santé
Ministère interrogé : santé
Ministère répondant : santé
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 18 juin 1998