commerce international
Question de :
M. Robert Hue
Val-d'Oise (5e circonscription) - Communiste
Question posée en séance, et publiée le 15 octobre 1998
M. le président. La parole est à M. Robert Hue.
(«Oh !» sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République. A hue et à «da» !
M. Robert Hue. Monsieur le Premier ministre, les négociations sur le projet d'accord multilatéral sur les investissements, l'AMI, vont reprendre à l'OCDE le 20 octobre.
Chacun se souvient de l'émotion suscitée au printemps dernier par ce projet d'accord multilatéral qui a conduit à un vaste mouvement de protestation de personnalités et d'organisations très diverses. La fin de non-recevoir du Gouvernement français a fortement contribué à son report. De même, et je m'en félicite, l'opposition de la France a porté un coup sévère au projet de nouveau traité transatlantique, NTM, concocté par M. Leon Brittan, au nom de la Commission de Bruxelles, et par l'administration américaine.
Depuis lors, ces tractations ont connu de nouveaux développements. Le 18 mai dernier, à Londres, en marge du sommet Europe-USA, un «arrangement» - vous entendez les guillemets - a été conclu. Il inspire très largement une nouvelle mouture du NTM, baptisée «Partenariat économique transatlantique», toujours à l'initiative de M. Brittan. Il concerne à plus d'un titre l'AMI, notamment en entérinant les lois d'extra-territorialité américaines.
Après plusieurs parlementaires communistes, comme tout récemment Jean-Claude Lefort auprès de Mme Lalumière, qu'il me soit permis de rappeler notre totale opposition à l'AMI, en raison des menaces qu'il ferait peser sur les choix politiques et sociaux comme sur notre souveraineté. Nous ne saurions cautionner de quelque manière que ce soit un tel accord, même sous un habillage qui prétendrait le rendre plus présentable. Nous souhaitons son abandon: c'est extrêmement clair.
Je vous demande, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir nous faire connaître les intentions du Gouvernement à la veille de la réouverture des négociations et les mesures que vous entendez prendre pour qu'elles se déroulent désormais dans une totale transparence, notamment en y associant la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Lionel Jospin, Premier ministre. Monsieur le député, en 1995, des négociations ont été engagées dans le cadre de l'OCDE sur un accord multilatéral sur l'investissement, sans véritable transparence, ni à l'époque ni ensuite.
M. Jean-Claude Lefort. Dans le secret !
M. le Premier ministre. En février 1998, quand les enjeux véritables et les risques d'une telle négociation sont apparus et qu'une émotion s'est emparée d'une partie de l'opinion dans notre pays, mais aussi dans d'autres, le gouvernement français, notamment par la voix de Dominique Strauss-Kahn, a immédiatement posé quatre conditions pour que cette négociation puisse se poursuivre dans la clarté: le respect de l'exception culturelle, car les biens culturels ne sont pas des marchandises; le refus d'accepter à l'intérieur de ce mécanisme les lois extra-territoriales américaines, dont nous récusons l'application sur notre sol dans d'autres cadres et d'autres discussions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert); le respect des processus d'intégration européenne; le respect de normes sociales et environnementales.
En avril 1998, le Gouvernement, voyant que les choses ne pouvaient pas être suffisamment clarifiées, a demandé et obtenu la suspension pour six mois de ces négociations afin de les évaluer et de procéder à une consultation de la société civile.
A la fin mai, j'ai chargé Mme Catherine Lalumière, députée au Parlement européen, de procéder à ces consultations. Elle a, au cours de nombreuses semaines, dans un travail excellent, rencontré, interrogé longuement les organisations non gouvernementales, les associations intéressées au débat sur l'AMI, les milieux culturels, les organisations syndicales, et aussi les représentants des fédérations professionnelles et du monde des entreprises.
M. Jean-Claude Lefort. Ainsi que les parlementaires.
M. le Premier ministre. Mme Catherine Lalumière m'a remis son rapport avant-hier. Ses conclusions sont claires.
Mme Sylvia Bassot. C'est normal ! (Sourires.)
M. le Premier ministre. Les contestations de ce projet d'accord ne portent pas sur des aspects sectoriels ou techniques, elles portent sur la conception même de cette négociation, qui pose en particulier des problèmes fondamentaux au regard de la souveraineté des Etats, sommés de s'engager de façon irréversible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)
Un député du groupe de l'Union pour la démocratie Française Alliance. Comme Amsterdam !
M. le Premier ministre. Or une chose est de consentir des délégations de souveraineté à une communauté qui est la nôtre, l'Union européenne, selon un processus contrôlé par les Etats et dans une aventure historique qui a pour nous tous une importance considérable; autre chose est de concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés, sous prétexte de la discussion d'un code international d'investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Des réticences, voire des objections, sont apparues ailleurs qu'en France. Le dialogue avec certaines entreprises a montré que, même dans un pays comme le nôtre qui peut investir puissamment à l'extérieur et qui tient à continuer de le faire, cet accord pourrait avoir un intérêt limité pour nos entreprises puisqu'un certain nombre d'Etats, et les Etats-Unis au premier chef, ont émis des réserves considérables sur son contenu même.
M. Jean-Claude Lefort. 400 pages !
M. le Premier ministre. En effet, 400 pages de réserves dans la position américaine, et notamment celle-ci sur laquelle j'attire votre attention: cet accord pourrait s'appliquer aux Etats-Unis, mais pourvu qu'il ne mette pas en cause les compétences des Etats fédérés. La portion du territoire américain qui n'est pas en Etat fédéré est quand même relativement limitée: ce doit être Washington DC. (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Dans ces conditions, la conclusion qui ressort, me semble-t-il, du rapport de Mme Lalumière, est que cet accord, tel qu'il est conçu actuellement, n'est pas réformable. Mme Lalumière propose de rechercher un nouvel accord, mais en en revoyant l'architecture, soit dans le cadre de l'OCDE, soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.
M. Jean-Claude Lefort. Très bien !
M. le Premier ministre. Je veux donc vous annoncer, mesdames et messieurs les députés, que la France ne reprendra pas les négociations dans le cadre de l'OCDE le 20 octobre. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Nous avons commencé à en informer, comme il était normal, nos partenaires et nos interlocuteurs. La France souhaite et proposera à ses partenaires qu'une négociation puisse reprendre sur l'investissement - car nous voulons rester un grand investisseur et continuer à recevoir des investissements chez nous - mais sur des bases totalement nouvelles et dans un cadre associant tous les acteurs, c'est-à-dire notamment les pays en voie de développement.
M. Jean-Claude Lefort. Très bien !
M. le Premier ministre. Ce cadre, à nos yeux, est tout naturellement celui de l'Organisation mondiale du commerce. Ses modes de travail, son approche progressive de la libéralisation des échanges et de l'investissement, là où l'AMI posait des principes absolus, son caractère universel, et en particulier la présence des pays en développement, nous assurent d'une approche et d'un examen sérieux et équilibrés.
La France fera des propositions en ce sens à ses partenaires, notamment européens. Elle reste et souhaite rester un pays ouvert aux entreprises étrangères ou aux investissements, étant elle-même soucieuse d'appuyer le développement international de ses entreprises. Mais constatant les bouleversements récents, les mouvements hâtifs et parfois irraisonnés qui se sont emparés des marchés, il ne nous paraît pas qu'il serait sage de laisser les intérêts privés mordre à l'excès sur la sphère de souveraineté des Etats. Les Etats doivent rester des acteurs majeurs dans la vie internationale.
C'est dans cet esprit que nous reprendrons les discussions, et la représentation nationale, monsieur le député, sera naturellement informée par le Gouvernement des négociations qui pourraient éventuellement s'engager dans un autre cadre, le moment venu. (Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
Auteur : M. Robert Hue
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Relations internationales
Ministère interrogé : Premier Ministre
Ministère répondant : Premier Ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 octobre 1998