construction aéronautique
Question de :
M. Pierre Lellouche
Paris (4e circonscription) - Rassemblement pour la République
Question posée en séance, et publiée le 15 octobre 1998
M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.
M. Pierre Lellouche. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, parce qu'elle relève de plusieurs départements ministériels, mais aussi parce qu'elle touche à un intérêt national majeur, tout comme celle à laquelle il vient de répondre avec beaucoup de chaleur: je veux parler de l'industrie aéronautique.
Quelle que soit notre appartenance politique, nous sommes tous fiers, je crois, du travail accompli depuis quarante ans par les grands groupes, publics et privés, qui ont fait de la France une très grande puissance aéronautique et spatiale. Cette situation, cependant, est en train d'évoluer rapidement, et peut-être dangereusement, parce que nous assistons aux Etats-Unis à des regroupements sans précédent - une firme comme Boeing pèse aujourd'hui 275 milliards de francs de chiffre d'affaires, c'est-à-dire trois fois et demie le premier groupe européen - et parce que ces regroupements américains ont entraîné en Europe des restructurations industrielles très importantes.
En Europe, à côté d'un certain nombre de moyennes entreprises, en Suède, en Espagne et en Italie, l'industrie aéronautique dépend essentiellement de trois grands groupes: un groupe entièrement privé en Grande-Bretagne, British Aerospace, qui pèse 83 milliards de francs de chiffre d'affaires; un groupe entièrement privé en Allemagne, DASA, qui pèse 51 milliards; un groupe, enfin, qui pèse également 83 milliards, celui que vous avez justement constitué au mois de juillet dernier, monsieur le Premier ministre, en réunissant Matra-hautes technologies et l'Aérospatiale.
Le problème, c'est que depuis un an, et surtout depuis ces dernières semaines, à mesure que DASA et British Aerospace entrent dans la fabrication de l'avion de combat Eurofighter, ces deux groupes ont annoncé leur intention de fusionner en une entreprise européenne nouvelle, qui serait la base d'un regroupement général en Europe de toutes les industries aéronautiques et spatiales. Il est évident que si cette fusion devait s'opérer en l'état, il en résulterait deux conséquences: la marginalisation complète de notre industrie aéronautique de défense, laquelle est engagée, depuis 1985, dans un projet d'avion de combat différent de l'Eurofighter; mais surtout, en matière civile, le danger, inhérent au cumul des parts de British Aerospace et de DASA - 37,5 % et 20 % - de voir se constituer une majorité automatique anglo-allemande dans la société Airbus. Ce serait porter un coup mortel au leadership français sur Airbus.
Alors, monsieur le Premier ministre, la question que je voudrais vous poser est simple. («Ah !» sur les bancs du groupe socialiste.) C'est une question, messieurs, qui n'a aucun caractère politicien et qui est vraiment très importante. Je vous demande donc au moins de l'écouter.
Monsieur le Premier ministre, comment faire pour réintégrer la France dans le jeu, pour éviter qu'elle ne perde son leadership ?
Doit-on ne rien faire - première option ?
Doit-on, comme l'a suggéré M. Gayssot lors du salon de Farnborough début septembre, dans une interview au Financial Times, (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)... Mes chers collègues, je ne comprends pas votre attitude à propos d'une telle question. C'est dommage.
Doit-on, disais-je, bloquer la réforme d'Airbus, la prendre pour ainsi dire en otage, pour éviter la fusion anglo-allemande ? Auquel cas vous risquez, monsieur le Premier ministre, de bloquer en même temps les grands projets d'investissement d'Airbus dans les avions de transport futurs.
Troisième hypothèse, enfin, n'est-il pas temps de lancer une initiative politique importante auprès de vos collègues, M. Blair et M. Schröder, et surtout d'accélérer la privatisation d'Aérospatiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de la défense, pour une réponse que je souhaite assez courte.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le député, je reconnais le caractère objectif et prospectif de votre question qui aurait pu être posée d'égale bonne foi par les représentants de tous les groupes...
M. Jacques Myard. Ah !
M. le ministre de la défense. ... ainsi que son caractère décisif pour la place de la France dans une construction industrielle européenne dans un domaine majeur.
A cet égard vous avez bien fait de rappeler que le dispositif industriel et financier français dans le secteur concerné avait substantiellement évolué au cours de la dernière année et que le Gouvernement avait pris des décisions permettant à nos capacités industrielles et technologiques de jouer pleinement leur rôle dans un regroupement européen que nous estimons tous souhaitable. Un cadre politique a même été donné, à l'initiative des autorités françaises, dans la déclaration du 9 décembre 1997 fixant les objectifs du regroupement des forces européennes.
Les discussions entre les trois grands partenaires que vous avez cités sont devenues plus mobiles, plus dynamiques du fait du regroupement des forces françaises. A ce propos, je tiens à souligner que la décision prise par le Gouvernement au mois de juillet a mis en route un processus de fusion entre Matra-Technologie et Aérospatiale qui arrivera à terme au début de 1999 après plusieurs phases de procédure. J'informe d'ailleurs l'Assemblée qu'il se déroule actuellement de façon positive et rapide.
En ce qui concerne une possible conséquence de ce rapprochement sur Airbus, je crois que si deux des trois principaux partenaires industriels du groupement commettaient l'imprudence de réaliser un accord et de fusionner, donnant ainsi automatiquement la majorité à un seul membre du GIE, ils prendraient un risque car cela mettrait en cause son équilibre même, ce qui ne pourrait pas être accepté par la France. C'est exactement dans ces termes que s'est exprimé Jean-Claude Gayssot en donnant la position du Gouvernement et même, je crois pouvoir le dire, des autorités françaises.
Si une telle conjoncture devait intervenir, ce n'est pas nous qui prendrions Airbus en otage. Nous considérerions seulement qu'il s'agirait d'une initiative tendant à rompre le principe fondamental de ce rapprochement, c'est-à-dire l'équilibre entre les trois contributeurs.
Les initiatives politiques que vous appelez de vos voeux en ce domaine ont été prises très régulièrement par le Premier ministre lors de chacun des contacts qu'il a eus avec les autorités allemandes et britanniques au cours des derniers mois. Les messages sont passés. Par ailleurs, les négociateurs d'Aérospatiale ont des propositions dynamiques et créatives pour que l'on aboutisse à un accord équilibré.
Bien entendu, pendant ce temps, circulent annonces de presse et rumeurs, mais cela fait partie du jeu de toute négociation.
M. Pierre Lellouche. Quid de la privatisation d'Aérospatiale ?
M. le ministre de la défense. Tous les partenaires savent dans quelles conditions et grâce à quelles concessions réciproques pourrait être structuré un groupe européen vraiment équilibré qui serait la réponse ultime et efficace à la pression américaine, dont nous sommes d'accord pour dire qu'il faut y résister victorieusement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Pierre Lellouche. Vous n'avez pas répondu sur la privatisation !
Auteur : M. Pierre Lellouche
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Industrie
Ministère interrogé : défense
Ministère répondant : défense
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 octobre 1998