magistrats
Question de :
M. Pascal Clément
Loire (6e circonscription) - Démocratie libérale et indépendants
Question posée en séance, et publiée le 29 octobre 1998
M. le président. La parole est à M. Pascal Clément.
M. Pascal Clément. Madame la ministre de la justice, je veux vous interroger sur ce qu'il est maintenant convenu d'appeler l'affaire Lemesle.
Nous avons appris hier soir, en lisant Le Monde, qu'un sous-directeur des affaires criminelles et des grâces à la chancellerie avait été évincé de son poste parce qu'il avait écrit dans la collection «Que sais-je ?» un ouvrage intitulé Le Procureur de la République.
A ce sujet, j'ai déjà deux interrogations.
D'abord cet ouvrage contient-il autre chose que le droit positif ?
Ensuite, vous lui avez reproché de ne pas avoir fait place à la volonté du Gouvernement d'assurer l'indépendance du parquet. Or, madame la ministre, le Parlement n'est même pas encore saisi d'un projet à ce sujet. Il ne s'agit que d'une intention gouvernementale.
D'ailleurs, avez-vous observé que, page 116, si mes souvenirs sont bons, M. Lemesle précise que ce petit livre a été écrit il y a deux ans, c'est-à-dire avant la remise du rapport Truche à M. le Président de la République ? Il ne pouvait donc évidemment pas faire état des réformes aujourd'hui envisagées.
M. Arnaud Lepercq. C'est un procès d'opinion !
M. Pascal Clément. Autrement dit, madame la garde des sceaux, l'éviction de votre sous-directeur, nommé il y a quatre ans par M. Pierre Méhaignerie, qui m'a demandé de l'associer à ma question (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), apparaît comme le fait du prince. Il s'agit d'une forme de censure que l'on n'avait jamais observée de la part d'un ministre de la justice. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Mesdames et messieurs, vous n'êtes pas nombreux, j'imagine, à connaître cet homme. Alors, respectez ceux qui ont eu l'honneur de le rencontrer ! Cet homme est unanimement respecté de la magistrature pour sa compétence, sa loyauté, son efficacité. Après quatre ans d'exercice d'une lourde responsabilité, lui proposer d'être substitut général à Paris ou à Versailles, a été ressenti, par tous ses collègues, comme un camouflet.
Madame la ministre de la justice, voulez-vous exercer le ministère qui porte le nom de cette belle vertu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vais d'abord vous rappeler les faits.
Le mois dernier, ce haut responsable du ministère de la justice, sous-directeur à la direction des affaires criminelles et des grâces publie «Que sais-je ?», intitulé Le Procureur de la République, dans lequel il se livre à un éloge vif et répété des instructions individuelles du garde des sceaux aux procureurs de la République.
Et dans ce même livre, on peut lire: «La possibilité pour le garde des sceaux de donner des instructions individuelles, y compris lorsqu'il s'agit de requérir un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, ne paraît pas souffrir la critique.» («Et alors ? sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
A plusieurs reprises, dans cet ouvrage, les instructions individuelles sont présentées comme indispensables, et leur suppression est même qualifiée d'aventure. (Exclamations sur les bancs du groupe Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants).
M. Pascal Clément. C'est de la censure !
M. Richard Cazenave. La fatwa.
M. le président. S'il vous plaît !
Mme la garde des sceaux. Or la suppression des instructions individuelles, vous le savez, monsieur le député, est au coeur de la réforme de la politique judiciaire voulue par le Gouvernement...
M. Pascal Clément. Ce n'est pas la loi !
Mme la garde des sceaux. ... et au coeur de l'engagement pris ici même, dans cette assemblée, par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, le 19 juin 1997. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Il se trouve que le sous-directeur qui a écrit ce «Que sais-je ?» est justement celui qui est chargé, au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces, de concevoir, d'expliquer, de commenter, de mettre en oeuvre, en mon nom et avec ma délégation de signature, la politique pénale voulue par le Gouvernement. (Exclamations sur les mêmes bancs.)
M. Arnaud Montebourg. Très bien.
M. Thierry Mariani. Censure !
M. le président. Je vous en prie !
Mme la garde des sceaux. Je considère que cette situation ne peut pas durer. Nous ne pouvons pas avoir un haut responsable au ministère de la justice, qui, d'un côté, est chargé de conduire la politique pénale au nom du garde des sceaux, et, de l'autre, écrit exactement et frontalement le contraire de la politique que le Gouvernement entend mener en matière pénale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, et du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Cette contradiction fonctionnelle ne peut évidemment pas durer, et ce haut responsable doit partir.
M. Patrick Devedjian. Lamentable.
M. le président. S'il vous plaît !
Mme la garde des sceaux. Je l'ai reçu. Je lui ai proposé de partir dans une juridiction. Je pense qu'un tel poste ne présente pas pour lui les mêmes inconvénients, ...
M. Jean-Michel Ferrand. Quelle promotion !
Mme la garde des sceaux ... parce qu'en juridiction un magistrat peut tout à fait critiquer la politique du Gouvernement.
D'ailleurs, beaucoup le font, quelquefois en des termes qui frisent les limites du devoir de réserve. Quoi qu'il en soit, je ne me suis jamais senti autorisée à prendre la moindre mesure parce que je crois au débat public.
Mme Christine Boutin. La réforme n'est pas votée.
Mme la garde des sceaux. M. Lemesle a effectivement le droit d'obtenir un poste qui corresponde à la fois aux services rendus et à son ancienneté, ainsi qu'au fait que mis à part ce «Que sais-je ?» je n'ai rien à lui reprocher dans l'exercice de ses fonctions. (Mêmes mouvements.)
M. André Santini. A la Bastille !
Mme la garde des sceaux. Mais je souhaite évidemment mettre fin à cette contradiction fonctionnelle. D'ailleurs, si je ne le faisais pas, monsieur le député, vous seriez tout à fait fondé à me dire: «Comment, madame la ministre de la justice, vous dites une chose et vos fonctionnaires écrivent l'inverse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
M. Jacques Myard. Nul.
Mme la garde des sceaux. Aussi, pour la bonne marche du service public, pour la clarté qui est le choix de ce gouvernement, M. Lemesle exercera mieux ses fonctions dans une juridiction. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : M. Pascal Clément
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 29 octobre 1998