sectes
Question de :
Mme Yvette Roudy
Calvados (3e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 11 novembre 1998
M. le président. La parole est à Mme Yvette Roudy.
Mme Yvette Roudy. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux et concerne l'instruction en cours à l'encontre de l'Eglise de scientologie. Il semble que d'incompréhensibles anomalies, risquant d'annuler quinze années de procédure, aient été constatées. Ainsi, des dossiers disparaîtraient du palais de justice de Paris, des liquidations prononcées resteraient sans effet.
Notre assemblée répertorie cette organisation en tant que secte. Plusieurs parlementaires ou anciens parlementaires, en particulier MM. Vivien, Guyard, Brard, ont souligné le danger, la perversité mais, aussi, l'extrême habileté de ces organisations. Elles seraient capables d'infiltrer l'appareil d'Etat, l'appareil administratif, judiciaire et financier et, donc, de déstabiliser notre société.
Nous savons aussi comment elles peuvent s'emparer des esprits, des biens et parfois même des vies. Tout le monde se souvient des suicidés du Temple du peuple et, plus récemment, de ceux du Temple solaire. Nous connaissons l'ampleur des dégâts qu'elles peuvent provoquer à l'intérieur des familles par certaines pratiques ainsi que leur emprise insidieuse sur des jeunes particulièrement faibles.
Les sectes portent donc atteinte à l'ordre privé mais, aussi, à l'ordre public.
Compte tenu de la gravité de ces faits, comment comptez-vous, madame la garde des sceaux, exercer votre vigilance à l'encontre de ce type d'organisations ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers autres bancs.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée le 13 octobre dernier, la chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris a constaté que le dossier pénal concernant l'Eglise de scientologie n'était pas complet. Il manquait un tome, le 9e, et des pièces du 8e tome.
Dès le lendemain, j'ai saisi les chefs de la cour d'appel de Paris d'une enquête administrative.
Cette enquête, qui a été menée avec beaucoup de détermination et de précision, n'a cependant pas permis de déterminer l'origine de la disparition de ces éléments du dossier.
M. Christian Bataille. C'est incroyable !
Mme la garde des sceaux. C'est pourquoi, j'ai ordonné vendredi dernier, 6 novembre, une inspection confiée à l'inspection des services judiciaires. La disparition d'un dossier pénal constitue un fait particulièrement grave. La confiance dans la justice passe par la certitude pour les justiciables de voir leurs dossiers soumis aux juridictions.
De son côté, la chambre d'accusation, qui s'est réunie hier s'est donnée jusqu'au 14 décembre pour décider ce qu'il y a lieu de faire pour que ce dossier soit effectivement jugé.
Je voudrais en profiter pour rappeler les mesures qui ont été prises par le Gouvernement pour lutter contre le phénomène sectaire. D'abord au sein du ministère de la justice, une cellule spécialisée a été créée au sein de la direction des affaires criminelles et des grâces pour sensibiliser les magistrats et les fonctionnaires à la lutte contre le phénomène sectaire. Une session de formation a été organisée cette année par l'Ecole nationale de la magistrature, elle le sera à nouveau l'année prochaine.
Surtout, le Premier ministre a décidé la création d'une mission interministérielle de lutte contre les sectes par un décret du 7 octobre 1998, mission qui se substitue à l'observatoire qui existait précédemment et dont le secrétariat général est confié à un magistrat. Cette mission est chargée de diffuser les informations et de mieux coordonner les actions de l'administration contre les sectes.
Quant à l'action de la justice sur le terrain, il y a eu au 1er mai 1998, 153 procédures pénales établies, qui ont fait l'objet de 73 enquêtes préliminaires et 80 informations judiciaires, dont 17 sont achevées à ce jour.
Ces quelques chiffres témoignent à eux seuls de la prise de conscience par le monde judiciaire de la gravité du phénomène sectaire.
Cela étant, force est de constater que les poursuites se heurtent à plusieurs difficultés, liées notamment à une insuffisance de signalements des faits.
C'est la raison pour laquelle je prépare, à l'intention des parquets, une circulaire qui prévoira qu'un magistrat spécialisé par cour d'appel aura pour tâche de coordonner la lutte contre les sectes (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) et que les associations de défense des victimes des sectes seront plus étroitement associées et consultées par les tribunaux.
Enfin j'ai décidé d'accorder aux associations de lutte contre les sectes la possibilité de se porter partie civile. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
Les modalités de cette innovation dans le code de procédure pénale sont actuellement mises au point par mon ministère, en relation avec Mme Catherine Picard qui préside dans notre assemblée le groupe de travail de lutte contre les sectes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)
Auteur : Mme Yvette Roudy
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Ésotérisme
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 novembre 1998