lutte contre le racisme
Question de :
M. Bernard Grasset
Charente-Maritime (2e circonscription) - Socialiste
Question posée en séance, et publiée le 3 décembre 1998
M. le président. La parole est à M. Bernard Grasset.
M. Bernard Grasset. Madame la garde des sceaux, c'est avec consternation, avec colère, avec dégoût, que nous avons appris que la revue d'une organisation professionnelle, jadis bien représentée dans certains cabinets ministériels, avait accueilli l'article nauséeux d'un haut magistrat s'en prenant à un collègue déjà attaqué par des journaux d'extrême droite. Avec mépris, nous avons entendu ses explications confuses. De tels jeux de mots ont déjà été condamnés. Ils sont indignes de la part d'un citoyen. Ils le sont encore plus venant d'un magistrat chargé de dire le droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
Jadis, dans mon école, j'avais deux amis de mon âge. Ils ne s'appelaient pas Lévy, ils s'appelaient Mossé. Ils sont partis en empruntant le chemin évoqué par ces ignobles propos.
Ne serait-ce que pour eux, je souhaite que de tels écrits ne restent pas impunis et vous demande, madame la garde des sceaux, d'en saisir le Conseil supérieur de la magistrature. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous venez de rappeler, monsieur le député, les termes scandaleux dont a usé un haut magistrat dans la revue de l'Association professionnelle des magistrats. Ce haut magistrat, avocat général à la Cour de cassation, en conclusion d'un article désobligeant pour M. Albert Lévy, récemment encore substitut à Toulon, a écrit: «Tant va Lévy au four qu'à la fin il se brûle !» (Murmures sur de nombreux bancs.)
Dès que j'ai eu connaissance de ce texte, hier en fin de matinée, avant de quitter Potsdam, j'ai été comme vous saisie d'indignation. Ma première réaction a été de prononcer la suspension immédiate de M. Terrail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Mais pour que le garde des sceaux puisse prononcer une suspension, il lui faut, selon les procédures, qu'il convient bien entendu de respecter, l'avis préalable du chef de cour, en l'occurrence le procureur général près la Cour de cassation, ainsi que l'avis préalable du Conseil supérieur de la magistrature. Pour que la procédure disciplinaire puisse être plus rapide et plus efficace, j'ai donc pensé préférable de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature, ce que j'ai fait hier après-midi. Je souhaite que le Conseil me donne son avis dans les meilleurs délais sur les sanctions disciplinaires qu'il estimerait appropriées, en respectant, comme il se doit, les droits de la défense.
Que M. Terrail soit un haut magistrat, qu'il soit de surcroît avocat général à la Cour de cassation, qui est chargée de dire le droit, sont à mes yeux des circonstances aggravantes.
Ce ne sont évidemment pas les seules mesures qui ont été prises. Le parquet de Paris, de son côté, a engagé, hier après-midi, une enquête préliminaire pour injures raciales, démarche qui permet d'empêcher la prescription de poursuites éventuelles. Cette enquête préliminaire permettra de vérifier si les poursuites pénales du chef d'injures raciales sont juridiquement possibles contre les personnes dénommées, en l'espèce le rédacteur de l'article et le directeur de la publication. Au vu du résultat, le parquet de Paris appréciera l'opportunité d'engager des poursuites.
Je précise à l'Assemblée nationale que cette enquête préliminaire ne fait pas obstacle à ce que M. Albert Lévy puisse se constituer partie civile. S'il le souhaite, sa protection juridique pourra, comme il est d'usage en pareil cas, être assurée par le garde des sceaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
Nous avons à mobiliser tous nos responsables contre les injures raciales et la progression du racisme. Le 16 juillet dernier, dans une circulaire au parquet, j'ai à nouveau rappelé à quel point il était important de réprimer les infractions en matière raciale. Je veux affirmer ici ma confiance dans la capacité de notre système judiciaire et de notre magistrature à réprimer ce type d'infractions qui ont, malheureusement, tendance à augmenter. Depuis hier, en effet, j'ai reçu de multiples témoignages qui me confirment, monsieur le député, que la quasi-totalité de nos magistrats sont aussi indignés que vous l'êtes, que je le suis et que l'est, je pense, l'ensemble de la représentation nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)
M. Christian Bataille. A bas les fachos !
Auteur : M. Bernard Grasset
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droits de l'homme et libertés publiques
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 3 décembre 1998