convention sur les armes classiques produisant des effets traumatiques
Question de :
Mme Christiane Taubira
Guyane (1re circonscription) - Socialiste
Mme Christiane Taubira interroge Mme la ministre de la défense sur la production, l'utilisation, le transfert et l'interdiction des bombes à sous-munitions. Les bombes à sous-munitions, ou systèmes d'armes à sous-munitions, sont composées d'un conteneur regroupant selon les modèles de quelques unités à plusieurs centaines de mini-bombes, appelées « sous-munitions ». Elles sont larguées par voie aérienne ou terrestre. Le conteneur s'ouvre au-dessus du sol et disperse les sous-munitions qui exploseront en principe à l'approche ou au contact du sol ou de l'objectif visé. En fonction de la cible visée, les sous-munitions utilisées peuvent être à effet : antipersonnel, antivéhicule, anti-infrastructure, incendiaire, toxique ; et certains modèles peuvent combiner ces effets. De par leur conception et leur nature, ces bombes représentent une double menace pour les civils : conçues pour saturer une zone dans laquelle une ou plusieurs cibles ont été localisées, les sous-munitions sont disséminées, au hasard de leur largage sur des surfaces très larges pouvant atteindre parfois plusieurs centaines d'hectares (approximativement de 1 à 6 hectares) ; en outre, 5 à 30 % des sous-munitions n'explosent pas à l'impact, elles restent sur le terrain et comme les mines antipersonnel, sont susceptibles d'exploser au moindre contact. Déversées par millions au Laos, au Kosovo, en Af-ghanistan, en Irak et plus récemment au Liban, les sous-munitions ont causé une véritable hécatombe parmi les populations civiles. Et des centaines de milliers d'entre elles, non explosées, menacent encore les populations. Elle rappelle que l'utilisation des bombes à sous-munitions viole le droit international humanitaire à plusieurs points de vue : en premier lieu en n'opérant aucune distinction entre populations civiles et cibles militaires ; en second lieu en frappant une zone très large, elles présentent de hauts risques de dommages collatéraux disproportionnés, en blessant ou tuant des civils en nombre considérable. Par ailleurs, l'hypothèse, même selon laquelle des forces armées se positionnent dans des zones d'habitation en utilisant la population comme bouclier humain ne peut justifier l'usage de ces armes car les militaires partent des lieux de bombardements alors que les sous-munitions non explosées, restent avec tout leur potentiel destructeur dans les zones où résident et travaillent des civils. En réalité, les sous-munitions sont des mines antipersonnel de fait car 5 à 30 % n'explosent pas à l'impact et restent disséminées sur le terrain et constituent une menace mortelle pour les civils en cas de manipulation ou de contact involontaire (travaux agricoles, déboisement, reconstruction) pendant et surtout après le conflit. Ainsi, ces bombes présentent un taux d'échec très important. Au taux d'échec habituellement admis pour toute production industrielle, il faut ajouter un pourcentage de non-explosion du aux procédés de largage, de stockage et aux conditions environnementales et climatiques. Les enfants sont particulièrement touchés par les sous-munitions non explosées : en Afghanistan, 69 % des victimes recensées entre 2001 et 2002 étaient âgées de moins de 18 ans ; au Vietnam, une étude a montré que 62 % des victimes de sous-munitions explosées après conflit étaient des enfants. Trente-quatre pays dont la France, l'Allemagne, la Grèce, l'Italie, l'Espagne et le Royaume-Uni, mais aussi la Russie, les USA ont produit au moins 210 sortes de bombes à sous-munitions. Au moins 59 entreprises continuent à produire ou à faire la promotion des systèmes à sous munitions ou des sous-munitions. Elles sont à 50 % basées en Europe. En France, trois entreprises de l'armement sont principalement impliquées dans la fabrication et la commercialisation des sous-munitions : Giat Industries, Thales et RADS. Aujourd'hui, au moins 73 pays dont la France stockent des sous-munitions. Au moins 12 pays ont transféré plus de 50 types de sous-munitions différents à destination de 58 autres pays (ainsi, la France aurait vendu des bombes Belouga à l'Argentine, la Grèce et à l'Inde alors que l'armée française aurait déclaré avoir détruit ses stocks). Malheureusement les bombes à sous-munitions n'entrent pas dans le cadre de la définition des mines antipersonnel qui figure dans la Convention d'Ottawa de 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction. Cette subtilité juridique a de lourdes conséquences en pertes civiles sur le terrain. Il revient aujourd'hui aux États signataires du protocole V de la Convention des Nations unies de 1980 sur certaines armes classiques de négocier de véritables mesures qui permettraient de régler définitivement les conséquences humanitaires de l'utilisation de ces armes. Le 13 novembre 2003 a été lancée la « Cluster Munition Coalition » à La Haye par un collectif de 170 ONG de 50 pays à travers le monde, dont fait partie Handicap international. La mobilisation internationale contre les sous-munitions commence à porter ses fruits puisque la Belgique a voté le 16 février 2006 une loi d'interdiction des bombes à sous-munitions. La Norvège a instauré un moratoire sur ces armes en juin 2006. Le Parlement européen a voté en 2006 une résolution appelant à l'éradication de ces armes. Le Danemark, le Mexique, la Norvège, la Suède et le Saint-Siège ont pour leur part souligné la nécessité de régler la question de ces bombes au niveau international. Des initiatives parlementaires sont en cours en Allemagne, en Australie, en Autriche, en Suède, en Suisse et en Uruguay. En France, trois propositions de loi ont été déposées par des parlementaires et la mission d'information sur les bombes à sous-munitions mise en place en mars 2006. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat doit rendre son rapport à l'automne 2006. A ce jour, la pétition contre les sous-munitions initiée par Handicap International a récolté 230 000 signatures. En conséquence, elle lui demande solennellement que soit mis en oeuvre l'instrument juridique qui conduise la France à interdire la production, l'utilisation et le transfert des bombes à sous-munitions. Elle lui demande instamment d'agir aux fins d'initier un accord international juridiquement contraignant spécifique aux sous-munitions pour interdire la production, l'utilisation et le transfert de ces armes. Enfin, elle sollicite son engagement pour la destruction des stocks existants de sous-munitions.
Réponse publiée le 17 octobre 2006
Consciente du danger humanitaire que peut représenter pour les populations civiles l'emploi des armes à sous-munitions, la France se mobilise depuis plusieurs années, tant sur le plan national qu'international, afin d'assumer ses responsabilités et de remplir ses engagements en matière de sécurité, de désarmement et de protection des populations. La France est ainsi partie à la convention d'Ottawa sur l'interdiction totale des mines antipersonnel, au protocole I additionnel de 1977 aux conventions de Genève de 1949, ainsi qu'à la convention de Genève de 1980 sur certaines armes classiques et à l'ensemble de ses protocoles. Elle a par ailleurs participé activement à la négociation du protocole V additionnel à la convention de Genève de 1980, qui entrera en vigueur le 12 novembre 2006. L'objectif des autorités françaises est de parvenir à achever le processus de ratification du protocole avant la conférence d'examen de la convention de 1980 sur certaines armes classiques, qui se tiendra à Genève en novembre 2006 et dont la France assurera la présidence. Ce protocole comprend des obligations de dépollution et traite des mesures correctives à prendre à l'issue d'un conflit, afin de réduire les risques et effets liés aux restes explosifs de guerre que sont susceptibles de constituer des munitions ou sous-munitions du fait d'un dysfonctionnement. Il vise ainsi à apporter sur le terrain une solution efficace au problème humanitaire posé par le fléau des restes explosifs de guerre qui continuent, après les hostilités, de menacer les populations civiles dans les zones affectées par les conflits armés. En outre, la France participe activement aux travaux menés dans le cadre de la convention de Genève de 1980 sur les mesures préventives spécifiques, susceptibles d'améliorer la conception de certains types de munitions, notamment les sous-munitions, afin d'empêcher que ces matériels ne deviennent, après la cessation des hostilités, des restes explosifs de guerre. S'agissant précisément des armes à sous-munitions, elles ne sont interdites par aucun instrument juridiquement contraignant ; ces armes n'entrent pas dans le champ d'application et de définition de la convention d'Ottawa et ne peuvent être considérées comme des mines antipersonnel. Elles ne relèvent pas non plus des dispositions de la convention de Genève de 1980 sur certaines armes classiques et de ses protocoles associés. Si ces munitions devaient devenir, du fait d'un dysfonctionnement, des restes explosifs de guerre, elles relèveraient alors, à compter de son entrée en vigueur, du protocole V additionnel à la convention de Genève de 1980 précité. Comme pour l'ensemble de ses autres armes, la France veille, avec la plus grande attention, à utiliser les armes à sous-munitions pendant les hostilités dans le respect des principes fondamentaux du droit humanitaire international, notamment l'interdiction des maux superflus et les principes de discrimination et de précaution dans l'attaque, dont découle l'attention constante de réduire au maximum les dommages collatéraux. Forte de cette préoccupation, la France défend pleinement le principe d'une limitation de l'emploi des armes à sous-munitions aux seuls objectifs militaires, tout en réduisant la période d'activité de ces armes à la durée du conflit. Au vu de ces engagements, la France entend poursuivre son action en faveur de l'amélioration du droit humanitaire international. Pour autant, elle ne considère pas que cette action nécessite une interdiction complète de la production, de l'utilisation et des transferts des bombes à sous-munitions, armes légales dont la possession demeure à ce jour indispensable pour nos armées.
Auteur : Mme Christiane Taubira
Type de question : Question écrite
Rubrique : Traités et conventions
Ministère interrogé : défense
Ministère répondant : défense
Dates :
Question publiée le 19 septembre 2006
Réponse publiée le 17 octobre 2006