Question écrite n° 116210 :
politique énergétique

12e Législature

Question de : M. Jean Tiberi
Paris (2e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Jean Tiberi demande à M. le ministre des affaires étrangères les réflexions que lui inspire le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'énergie et la géopolitique, préconisant l'adoption de neuf mesures pour assurer la « paix énergétique ».

Réponse publiée le 15 mai 2007

Le ministère des affaires étrangères partage les grands objectifs énoncés dans le rapport de l'Assemblée nationale sur l'énergie et la géopolitique : renforcer la crédibilité de l'Union européenne ; mieux répondre à l'impératif climatique ; définir les nouvelles règles internationales du jeu énergétique ; réduire la fracture énergétique Nord-Sud. Ces objectifs correspondent aux positions défendues par la France dans les enceintes internationales, en particulier dans le cadre du G8, de l'Union européenne, de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et du système des Nations unies. S'agissant des moyens préconisés pour atteindre ces objectifs, déclinés sous la forme de neuf recommandations pour assurer la « paix énergétique », nous devons bien évidemment les examiner en prenant en compte les contraintes de l'action diplomatique et celles liées aux questions énergétiques elles-mêmes. Recommandation 1 : Conclure un pacte européen de convergence énergétique. La France avait présenté, début 2006, dans un mémorandum sa vision « pour une relance de la politique énergétique européenne dans une perspective de développement durable ». Ce document se prononçait notamment en faveur de politiques intégrées afin de trouver le bon équilibre entre les trois objectifs de toute politique responsable de l'énergie : la sécurité d'approvisionnement, la prise en compte de l'impact environnemental local et global, et la compétitivité. Les enjeux énergétiques sont globaux et doivent être traités à ce titre par l'ensemble des États de l'Union européenne. De grands objectifs communs (réduction des gaz à effet de serre [GES], amélioration de l'efficacité énergétique) doivent être fixés pour les Vingt-sept, tout en laissant aux États le choix de leur bouquet énergétique ou des modalités de réalisation de ces objectifs. La France se félicite qu'un nombre important de propositions qu'elle avait faites dans son mémorandum se soient retrouvées dans le Livre vert de la Commission européenne paru en mars 2006, puis dans les autres documents diffusés par la Commission européenne le 10 janvier 2007 dernier. C'est sur la base de ce « paquet énergie », composé d'une communication intitulée « Une politique de l'énergie pour l'Europe » et de plusieurs documents thématiques, que se sont déroulés les travaux du Conseil. Le Conseil européen des 8 et 9 mars a ainsi adopté un plan d'action ambitieux en matière énergétique, articulé autour d'un objectif fédérateur : la réduction d'ici à 2020 de 20 % au minimum, des émissions globales de GES de l'UE. Ce plan d'action, qui porte sur tous les aspects de la politique énergétique, met notamment l'accent sur la nécessité de définir une politique intégrée en matière de climat et d'énergie. Le Conseil européen relève ainsi que le choix souverain des États membres de leur bouquet énergétique peut avoir des effets sur la capacité de l'UE à atteindre les objectifs de la politique énergétique, au nombre desquels figure la lutte contre le changement climatique. La question du renforcement de la sécurité d'approvisionnement énergétique de l'UE est également abordée dans ce plan d'action : le Conseil européen recommande la mise au point de mécanismes plus efficaces de réaction aux crises, en utilisant notamment le réseau de correspondants pour la sécurité énergétique créé en décembre 2006. Il fixe en outre un certain nombre d'orientations pour le renforcement de la dimension extérieure de la politique énergétique. Le plan d'action définit par ailleurs des orientations sur le cadre fiscal : le Conseil européen prône en effet un réexamen de l'encadrement communautaire des aides d'État pour la protection de l'environnement et des autres instruments communautaires pouvant donner lieu à des incitations. Dans le domaine des technologies énergétiques, la Commission a l'intention de présenter au cours de l'année 2007 un plan stratégique européen pour les technologies énergétiques, qui devrait être examiné lors du Conseil européen du printemps de 2008. En matière de régulation, le Conseil se prononce en faveur d'une plus grande harmonisation des pouvoirs et d'un renforcement de l'indépendance des régulateurs nationaux de l'énergie. Recommandation 2 : Engager un partenariat énergétique entre l'Union européenne et la Russie. Le dialogue énergétique lancé avec la Russie depuis 2000 produit des résultats progressifs avec, notamment, le développement d'un dialogue régulier dans le cadre du partenariat stratégique UE-Russie : conseil de partenariat permanent au niveau ministériel, création de groupes thématiques au niveau des experts (infrastructures, investissements, efficacité énergétique). La ratification du protocole de Kyoto par la Russie, permettant dès lors son entrée en vigueur en 2004, peut être considérée comme un des résultats du dialogue énergétique UE-Russie. L'UE doit développer avec la Russie une coopération renforcée sur les questions énergétiques dans le cadre des négociations sur le remplacement de l'actuel accord de partenariat et de coopération à son expiration. Le chapitre « Énergie » du projet de mandat préparé par le Conseil établit la liste des domaines de coopération avec la Russie prioritaires pour l'UE. Nous soutenons les efforts entrepris pour que l'ouverture de cette négociation, actuellement bloquée faute d'un accord unanime au Conseil sur le mandat de négociation de l'UE, puisse intervenir rapidement. Recommandation 3 : Élargir le processus de Kyoto après 2012. Pour mieux répondre à l'impératif climatique, il faut parvenir avant tout à une vision partagée des enjeux du réchauffement climatique. Le dernier rapport du GIEC nous y aide en montrant qu'une réduction mondiale des émissions des GES de 50 % est indispensable et que les pays industrialisés, même s'ils prennent en charge une grande part de la réduction des émissions, ne peuvent y arriver seuls. S'agissant de la mise en oeuvre du protocole de Kyoto (qui porte sur la période 2008-2012 notre objectif est de s'assurer que tous les pays de l'annexe I atteignent bien les objectifs fixés, afin d'aborder dans les meilleures conditions la mise en place d'un régime post-2012. Nous souhaiterions que les conditions d'un accord sur ce régime post-2012 soient réunies d'ici à 2009. Il est juste de souligner la mobilisation de villes et d'États américains dans la lutte contre le changement climatique. La nouvelle majorité démocrate au Congrès américain a fait de ce sujet l'un de ses thèmes forts de campagne. Il convient en outre de souligner les attentes de ce point de vue des grands industriels américains. Nous sommes bien sûr favorables à l'association des pays émergents aux efforts de réduction des émissions de CO2, mais nous privilégions dans ce domaine la définition d'un régime global qui combine objectifs de réduction des émissions et incitations prenant notamment la forme de coopérations technologiques. Pour la période après 2012, il importe de trouver un mécanisme associant le plus grand nombre d'États et permettant de donner un prix à la tonne dioxyde de carbone non émise, faute de quoi les signaux de prix risquent d'être insuffisants pour les investissements dans les technologies plus respectueuses de l'environnement. La France a, par ailleurs, proposé que l'UE réfléchisse à la mise en place d'une taxe extérieure « carbone ». On s'oriente vers le développement de mécanismes économiques visant à préserver la compétitivité des entreprises européennes et à éviter les délocalisations. La Commission a été chargée d'une étude sur les « fuites carbone » (cf. les conclusions du Conseil environnement du 20 février). La France soutient bien évidemment tout processus qui permette d'intégrer, sans exclusive, toutes les technologies faiblement émettrices de GES, comme l'énergie nucléaire, qui contribue de façon significative à la lutte contre le changement climatique et améliore l'équilibre offre/demande d'énergies fossiles au niveau mondial. Recommandation 4 : Faire de la France un exemple de transition énergétique réussie. Ce point relève de la compétence du ministère en charge de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique énergétique (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie). Recommandation 5 : Une conférence internationale sur l'énergie avant chaque réunion du G8. En dépit d'un lien fort entre les problématiques de l'énergie et du climat, il est vrai que les enceintes de travail internationales sur ces sujets, qui se sont multipliées ces dernières années, demeurent relativement cloisonnées, et il n'existe pas d'instrument international couvrant l'ensemble des domaines touchant à l'énergie. Le G8 a une vocation forte à traiter des questions ayant trait à l'énergie et au climat, en tant que problématiques globales. Les deux derniers sommets du G8, à Gleneagles en 2005 et à Saint-Pétersbourg en 2006, ont axé leurs travaux sur la lutte contre le changement climatique et la sécurité énergétique, fixé les principes et les orientations, et produit d'excellents plans d'action en la matière, qu'il convient maintenant de mettre en oeuvre. Le G8 a associé depuis deux ans à ses travaux les cinq grands pays émergents, à savoir : le Brésil, le Mexique, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud. Des réunions ministérielles du G8 sur l'énergie sont organisées en tant que de besoin. La présidence allemande du G8 en 2007 a ainsi prévu d'organiser fin 2007 une réunion des ministres de l'énergie du G8 et du « groupe des cinq ». Cette réunion vient en complément de celles dites « du dialogue de Gleneagles », qui associent chaque année les représentants des ministres de l'énergie et de l'environnement des vingt pays parmi les plus gros consommateurs d'énergie, et donc émetteurs de gaz à effet de serre. Pour autant, l'institutionnalisation systématique de conférences internationales du G8 sur l'énergie ne paraît pas à ce stade nécessaire, compte tenu des instances spécifiques existantes, telles que l'AIE ou le Forum international de l'énergie, qui réunit régulièrement plus de soixante-dix pays parmi les principaux producteurs et consommateurs d'hydrocarbures. En outre, il apparaît utile de préserver une certaine liberté à chaque présidence du G8 dans le choix de ses thématiques prioritaires. Recommandation 6 : Créer des consortiums internationaux pour l'enrichissement et le retraitement. Le ministère des affaires étrangères partage les conclusions du rapport sur ce point. La France est partie prenante de ces réflexions, au sein du G8 notamment, et elle a soutenu l'élaboration de solutions permettant d'assurer un accès des États à l'énergie nucléaire tout en limitant les risques de prolifération. Dans ce contexte, la France a accueilli positivement les initiatives américaine (Global Nuclear Energy Partnership, GNEP) et russe (initiative « Poutine »). Elle va coopérer étroitement avec les États-Unis dans le cadre du GNEP, en particulier pour le développement des technologies de réacteurs de 4e génération. Par ailleurs, la France a mis en oeuvre dès les années 1980 le concept de centres internationaux du cycle du combustible. Comme cela est évoqué dans le rapport, l'usine de retraitement de La Hague en est l'illustration ; l'usine d'enrichissement d'Eurodif est une autre forme de centre international. Dans les deux cas, ces centres ont su répondre aux attentes des partenaires et du marché, sans affaiblir le régime de non-prolifération. Le Gouvernement ne reste pas inactif sur cette question importante, dans la perspective d'une relance de l'énergie nucléaire dans le monde : la France a proposé à l'AIEA, de concert avec les États-Unis, la Russie, l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas, une offre d'assurances multilatérales d'accès aux services d'enrichissement et de retraitement. Cette proposition, qui s'appuie sur les capacités industrielles d'enrichissement des six États et sur un engagement collectif des six gouvernements, pourrait être mise en place rapidement et à moindre coût, sous l'égide de l'AIEA. En cela, cette proposition se différencie de l'initiative GNEP, qui s'inscrit dans le plus long terme, et de l'initiative Poutine, qui nécessite la mise en place de mécanismes plus complexes pour sa mise en oeuvre. La France, qui a fait le choix de l'énergie nucléaire pour une large part de son approvisionnement énergétique, entend garantir aux États soucieux de recourir à cette technologie non émettrice de gaz à effet de serre, dans le respect de ses engagements de non-prolifération, un accès légitime aux technologies nucléaires et aux services dont ces États ont besoin. Elle y travaille avec ses partenaires, notamment à l'AIEA. Recommandation 7 : Renforcer la sécurité des « détroits d'intérêt mondial ». La recommandation sur les « détroits d'intérêt mondial » souligne très justement l'importance des droits et obligations des États riverains comme ceux des États utilisateurs dans la gestion des détroits stratégiques. La terminologie en matière de transports retient plus volontiers le concept de « sûreté » de ces points de passage et de leurs infrastructures (face aux malveillances) plutôt que celui de « sécurité » (qui porte sur les dysfonctionnements). La notion proposée de « détroit d'intérêt mondial » est intéressante, pour autant qu'elle se situe sur le terrain de l'opportunité et non d'un éventuel statut juridique. S'agissant plus spécifiquement des détroits asiatiques, la France n'a pas participé à la conférence de Kuala Lumpur sur les détroits de Malacca et de Singapour. Elle a pris note de la proposition de créer un fonds international pour le détroit de Malacca et doit l'étudier. Recommandation 8 : Un fonds de stabilisation contre les chocs énergétiques. La France a soutenu la mise en place par le FMI, en novembre 2005, d'un nouveau mécanisme financier - la « facilité chocs exogènes » - qui permet d'accorder, dans de brefs délais, des prêts concessionnels (taux de 0,5 %) aux pays pauvres éligibles à la facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC), sans programme en cours avec le FMI et confrontés à des chocs exogènes. Cette facilité est entrée en vigueur en janvier 2006. Au cours des débats précédant l'adoption de cette nouvelle facilité, la France s'était inquiétée des contraintes liées à la demande d'élaboration d'un programme économique et d'une stratégie de réduction de la pauvreté. Les services du FMI avaient explicitement indiqué qu'ils feraient preuve de flexibilité sur ce sujet. Si seuls les pays à faible revenu (moins de 895 dollars PIB par habitant) sont ciblés par cette facilité, il faut toutefois souligner que son usage n'a jusqu'ici été sollicité par aucun pays. Il semble donc avisé d'attendre un retour d'expérience sur son application concrète avant d'en examiner à nouveau les modalités. S'agissant du financement, neuf pays membres - la France, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, la Russie, l'Arabie saoudite, l'Espagne, la Norvège et Oman - se sont engagés à fournir un effort de financement spécifique pour cette facilité, d'un montant total de 219 millions de DTS (326 millions de dollars US). Deux pays producteurs de pétrole contribuent à ce financement l'Arabie saoudite à hauteur de 40 millions de DTS (59,6 millions de dollars US) et Oman à hauteur de 3 millions de DTS (4,5 millions de dollars US). Lorsque la question énergétique est abordée dans les enceintes multilatérales, la France encourage régulièrement d'autres pays, notamment producteurs de pétrole, à contribuer à la « facilité chocs exogènes ». Recommandation 9 : Une contribution de solidarité pour l'accès à l'énergie. L'accès à l'énergie pour tous est un des thèmes promus par la France dans le cadre des enceintes internationales, notamment dans le cadre de la conférence pour le développement durable des Nations unies (CDD 14 et 15 en 2006-2007). La lutte contre la pauvreté énergétique avait été inscrite à l'ordre du jour du sommet du G8 de Saint-Pétersbourg, en 2006, et fait l'objet d'un chapitre spécifique dans le plan d'action. Depuis 2005, la France a renforcé de façon substantielle sa contribution financière à l'accès à l'énergie dans les pays les plus pauvres. Pour la période 1998-2004, l'aide pour le développement de la France consacrée à l'énergie a été en moyenne de 120 MEUR/an (dons et prêts confondus, dont 90 MEUR/an en bilatéral et 30 MEUR/an en multilatéral). Cette estimation ne prend pas en compte l'aide pour différents secteurs d'activité, tels que la forêt, l'eau, les transports ou l'urbanisme, qui portent en partie sur l'énergie. Ce montant a plus que doublé en 2005 pour atteindre 300 MEUR, dont 240 MEUR en bilatéral. L'idée de créer un fonds supplémentaire pour financer les transferts de technologie en matière énergétique a été à ce stade écartée, notre objectif étant de renforcer les programmes multilatéraux déjà existants (PNUE, Banque mondiale, Fonds pour l'environnement mondial...). Par ailleurs, la création d'une contribution de solidarité assise sur la vente de carburants pour apporter des ressources supplémentaires et pérennes dans ce secteur pourrait être examinée, à condition de s'assurer au préalable : a) de l'aspect prioritaire, aux yeux des pays les plus pauvres, de la réduction de la pauvreté énergétique par rapport à d'autres objectifs ; b) du caractère équitable et non régressif d'une taxation supplémentaire de la vente de carburants, ainsi que de son absence d'impact économique ; c) du potentiel d'une telle taxe, assise sur la consommation nationale, à générer un revenu important et à redistribuer les fruits de la mondialisation (un critère majeur du choix de la taxe de solidarité sur les billets d'avion) ; d) de l'intérêt de nos partenaires, notamment européens, pour une telle initiative.

Données clés

Auteur : M. Jean Tiberi

Type de question : Question écrite

Rubrique : Énergie et carburants

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Dates :
Question publiée le 16 janvier 2007
Réponse publiée le 15 mai 2007

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