Question écrite n° 25108 :
commerce international

12e Législature

Question de : M. Arnaud Montebourg
Saône-et-Loire (6e circonscription) - Socialiste

M. Arnaud Montebourg souhaite interroger M. le Premier ministre sur le sens de la politique menée par le Gouvernement depuis le début de la douzième législature dans le domaine de l'éducation. Depuis sa création en 1985, l'Organisation mondiale du commerce tente d'imposer un processus de libéralisation généralisée qui touche tous les secteurs de la vie économique et sociale. L'accord général sur le commerce des services (AGCS) est l'un des accords les plus importants de l'organisation mondiale du commerce, qui engage les gouvernements membres à entreprendre des négociations dont l'objectif est de libéraliser progressivement le commerce et l'investissement en matière de services dans tous les secteurs, excepté « les services fournis dans le cadre de l'exercice du pouvoir gouvernemental, fournis ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec le privé », c'est-à-dire presque tous les services sauf l'état civil, la justice et la Banque centrale. L'objectif de l'AGCS conduirait à terme à une interdiction généralisée des services publics et permettrait d'annuler les lois en traînant les États membres devant l'Organisme de règlement des différends, tribunal de l'OMC, pour « réglementation excessive ». Dans le cadre des négociations de cet accord, qui doivent se terminer en même temps que les autres négociations commerciales du cycle de Doha, avant le 1er janvier 2005, la Commission européenne a élaboré, dans la plus grande opacité, en concertation avec les États membres de l'Union européenne, un projet d'offre de libéralisation. Dans la proposition initiale qu'ils ont formulée au printemps dernier, les États membres de l'UE ont exclu du marché des services leurs services publics. Toutefois, en son article XIX, l'AGCS précise que « les membres engageront des séries de négociations successives qui commenceront cinq ans au plus tard après l'entrée en vigueur de l'accord sur l'OMC et auront lieu périodiquement par la suite, en vue d'élever progressivement le niveau de libéralisation. [...] Le processus de libéralisation progressive sera poursuivi à chacune des négociations [...] ». Aussi, au vu de ce dispositif de libéralisation progressive, les services publics, et notamment celui de l'éducation ne sont-ils que temporairement à l'abri des menaces que représentent les mécanismes de l'AGCS. En outre, dans le cadre des négociations relatives aux demandes initiales d'accès aux marchés, la Commission européenne a adressé aux États-Unis une demande d'ouverture du marché pour les services privés de l'éducation, s'exposant ainsi à l'exigence de réciprocité. Cette perspective suscite des inquiétudes au sein de la communauté éducative, renforcées par le discours du représentant de l'UE à l'OMC, qui déclarait, en juin 2000 que « la santé et l'éducation étaient mûres pour la libéralisation » ; par les déclarations de la commissaire européenne à l'éducation et à la culture, qui écrivait dans un quotidien français qu'« il faut rendre nos universités compétitives sur le marché mondial de l'enseignement supérieur » ; et par le « processus de Bologne », qui, à côté d'objectifs tout à fait estimables, comporte aussi un projet de libéralisation de l'enseignement universitaire. Par ailleurs, même si chaque pays garde pour l'heure la maîtrise de sa propre organisation scolaire, une politique mondiale s'élabore dans les commissions de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dans les rapports de la Commission européenne et de la Banque mondiale. Á quelques variantes près, l'éducation y est soumise aux impératifs économiques et n'est plus conçue comme un bien public. L'école se voit ainsi projetée dans un univers au sein duquel elle est privée de toute autonomie vis-à-vis de la production et de sa logique. Les réformes engagées par le Gouvernement, notamment la réforme phare de la décentralisation, en réduisant l'éducation nationale aux apprentissages scolaires - le reste devant relever de l'initiative locale - voire au secteur privé, les déclarations du ministre de l'éducation nationale, qui, dans une conférence de presse qui s'est tenue en septembre 2002, a préconisé « un nouvel équilibre entre la fonction de l'État, ses échelons déconcentrés et ses partenaires locaux, [...] la responsabilisation des acteurs locaux (ayant) montré son efficacité », et qui, lors du colloque annuel de la Conférence des présidents d'universités a indiqué que « pour faire face au défi de la compétitivité », il convenait « d'organiser notre offre de formation » en conséquence, interrogent sur le sens profond de la politique menée par le Gouvernement en matière d'éducation. En outre, dans un rapport récemment publié, l'inspection générale de l'éducation nationale indique que « l'éducation nationale doit prendre conscience qu'elle n'est, dans de nombreux domaines, qu'un acteur parmi d'autres de la formation » et qu'elle doit préparer, « à côté de ses propres diplômes, à des diplômes le cas échéant délivrés par d'autres, en particulier dans les secteurs d'activité offrant de véritables débouchés professionnels ». L'éducation n'a selon ces préconisations d'essence libérale d'autre fonction que celle de former des travailleurs, alors qu'inscrite au coeur de l'histoire de notre République, elle doit permettre d'éduquer, dans l'acception large du terme, les citoyens de demain. L'accès à l'éducation est un acquis majeur mais également un engagement de la démocratie moderne. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui indiquer de quelle manière il entend résister aux pressions libérales exercées par les organisations mondiales et dans quelles conditions la politique de l'éducation que mène son Gouvernement peut répondre à cet impératif démocratique et républicain de résistance à la marchandisation du savoir. - Question transmise à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.

Réponse publiée le 2 mars 2004

La politique suivie par le Gouvernement en matière d'éducation vis-à-vis de l'OMC s'inscrit dans le cadre d'une conception qui définit l'éducation comme un « bien public », conception que la France défend sans relâche dans les différentes enceintes où cette question est abordée. S'agissant de l'OMC, l'accord général sur le commerce des services ne constitue pas par lui-même une menace sur le service public français de l'éducation. Il reconnaît en effet expressément, dans son préambule, « le droit des membres de réglementer la fourniture de services sur leur territoire et d'introduire de nouvelles réglementations à cet égard afin de répondre à des objectifs de politique nationale ». Outre cette protection, les négociations sont organisées par l'accord selon le principe dit des « listes positives ». En d'autres termes, les Etats ne proposent dans leur offre que les secteurs où ils sont disposés à laisser intervenir des fournisseurs étrangers, avec les restrictions qu'ils sont libres d'introduire. C'est ainsi que, dès le cycle de l'Uruguay, la France a, en 1995, ouvert aux fournisseurs non européens les secteurs de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur strictement privé, ainsi que la formation des adultes, domaines d'activité où ces fournisseurs de service avaient déjà le champ libre, en l'absence d'une législation interne qui leur en aurait interdit l'accès. Dans le cadre du nouveau cycle de négociations engagé lors de la conférence ministérielle de Doha en novembre 2001, aucune menace concrète ne pèse sur le secteur des services publics d'éducation. Dans ce contexte, le Gouvernement veille attentivement à ce que l'offre de l'Union européenne ne contienne aucun engagement de libéralisation supplémentaire de nature à compromettre le rôle joué en France par le service public de l'enseignement scolaire ou supérieur. Ainsi la nouvelle proposition d'offre présentée à l'OMC par l'Union européenne le 6 juin 2003 ne contient-elle aucune concession dans le secteur des services d'éducation. En revanche, plusieurs États membres de l'Union européenne ont souhaité que les Etats-Unis d'Amérique, compte tenu de la position libérale en la matière de ces derniers, ouvrent leur propre secteur de l'enseignement supérieur privé, qu'ils n'avaient pas inclus dans leurs engagements du cycle de l'Uruguay. La France n'a, en l'espèce, rien à craindre d'une demande de réciprocité dans un secteur qu'elle a déjà ouvert. La France ne préserve pas seulement dans le cadre de l'OMC la place de l'enseignement public sur son territoire. Le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, lui-même, au cours de la conférence de Berlin, le 18 septembre 2003, a défendu l'idée que, si force était de constater l'ouverture croissante dans le monde du marché des services d'éducation, la France n'acceptait pas de subordonner l'organisation de son enseignement à des principes purement marchands, car l'éducation constitue un droit et un bien public. Les délégations françaises ne manquent pas de soutenir la même conception dans les grandes enceintes de réflexion prospective, telle l'OCDE. Leur langage, cohérent avec les positions prises à l'OMC, consiste toujours à affirmer le rôle essentiel du service public de l'enseignement, non seulement pour la formation des agents de l'économie de demain, mais aussi pour l'accès à la citoyenneté et l'épanouissement personnel de tous. Le ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a saisi l'occasion du 2e forum de l'OCDE sur le commerce des services éducatifs qui s'est tenu à Trondheim, Norvège, les 3 et 4 novembre 2003) pour renouveler avec force l'expression publique de ces principes. Dans ce contexte, le processus de Bologne apparaît à l'opposé d'un processus de marchandisation du savoir, en ce qu'il favorise au contraire des échanges fondés sur des valeurs académiques et facilite une coopération entre des établissements d'enseignement supérieur que l'hétérogénéité de leurs cursus et, en France, la pesanteur de la tutelle centrale compliquaient exagérément autrefois. La compétition internationale entre ces établissements ne s'entend pas en termes économiques, mais scientifiques. Elle est un facteur d'émulation et de progrès, de nature à induire une amélioration de la qualité des enseignements. En tout état de cause, les étudiants, français et européens, désormais très informés des possibilités qui s'ouvrent à eux au-delà des frontières, sauront choisir ceux des établissements d'enseignement supérieur qui auront su s'imposer à l'échelle internationale par la réputation d'excellence de leurs formations. C'est bien exactement la politique du Gouvernement qui est de soutenir les universités et autres établissements d'enseignement supérieur afin de leur permettre avec succès de s'imposer dans l'espace européen en cours de constitution et plus largement à l'échelle internationale.

Données clés

Auteur : M. Arnaud Montebourg

Type de question : Question écrite

Rubrique : Relations internationales

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : jeunesse et éducation nationale

Dates :
Question publiée le 22 septembre 2003
Réponse publiée le 2 mars 2004

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