Question écrite n° 52235 :
création

12e Législature

Question de : M. Christian Jeanjean
Hérault (1re circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Christian Jeanjean attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur le projet de création d'une « TVA sociale. » Les cotisations sociales, patronales et salariales : maladie, retraites, allocations familiales, chômage, formation continue, etc. représentent environ 60 % du prix de revient du travail. L'idée qui semble se développer actuellement dans notre pays est de faire financer les dépenses sociales par une augmentation de l'impôt indirect (TVA). Ces sommes étant déjà prélevées sur le revenu global du travail, on ne fait que changer le positionnement de celles-ci dans le prix de vente final. L'assiette s'en trouvant considérablement élargie, les cotisations ne seraient plus exclusivement basées sur le travail mais sur le chiffre d'affaires global de la France. Les effets espérés par les promoteurs de cette idée de « TVA sociale » sont : un impact favorable de la TVA sur les produits importés ; une plus grande compétitivité de nos produits exportés ; une diminution du coût du travail humain ; une lutte contre le travail clandestin (les employeurs ne payant plus de charges sociales auront beaucoup moins d'intérêt à utiliser des travailleurs non déclarés) ; une simplification des formalités d'embauche ; un contrôle des dépenses les plus importantes du pays par la représentation nationale par la budgétisation des dépenses sociales ; une diminution de la tendance à la délocalisation dans les pays à bas salaires ; l'égalité de tous les Français devant la protection sociale. Il lui demande son avis sur l'éventualité de la création d'une « TVA sociale » en remplacement des cotisations sociales salariales et patronales.

Réponse publiée le 23 août 2005

L'assiette et la structure des prélèvements obligatoires en France ont été significativement transformées depuis le début des années 1990 : baisse du poids de l'impôt sur le revenu, basculement sur la contribution sociale généralisée (CSG) d'une partie du financement de la protection sociale, montée en puissance des allégements de cotisations sociales sur les bas salaires. La taxe sur la valeur ajoutée (TVA) n'a pas été absente de ce mouvement d'actes et d'idées : passage au taux réduit de la TVA sur les travaux, rapport parlementaire sur la TVA sociale, application d'un taux réduit aux activités riches en emplois, projet de TVA réduite dans la restauration. Ces décisions ont eu en commun le souci d'alléger la charge des prélèvements pesant directement ou indirectement sur les facteurs de production, en particulier sur le travail, après deux décennies d'alourdissement. Ces modifications ont privilégié une modulation des charges selon le niveau de salaire et un transfert vers les taxes directes sur les revenus de la propriété, via notamment l'élargissement de la CSG. Un basculement des cotisations sociales sur la TVA constitue une mesure permettant de lutter contre les délocalisations mais ses effets sur la compétitivité à terme sont incertains. L'argument principal en faveur de la TVA sociale repose sur l'idée que les cotisations pèsent sur la production française, y compris celle qui est exportée, alors que la TVA exonère les produits français exportés et taxe les importations. Un basculement des cotisations vers la TVA devrait donc favoriser les producteurs français, à la fois sur le marché intérieur, puisque les importations supporteraient désormais une part du financement de la protection sociale, et aussi à l'exportation, puisque les exportations sont exonérées de TVA. Les incitations à la délocalisation des entreprises servant le marché français dans les pays à bas salaires s'en trouveraient ainsi indéniablement diminuées, le produit importé subissant alors la même imposition que le produit fabriqué et vendu sur le territoire national. Pour ce qui est des gains de compétitivité, ils ne s'observent que si le basculement débouche sur une baisse du niveau des prix de vente hors taxe des producteurs français par rapport au niveau de prix de leurs concurrents étrangers (sur le marché intérieur, la hausse de la TVA augmente dans les mêmes proportions les prix des produits français et ceux des produits étrangers, et l'exonération de TVA à l'exportation vaut pour tous les producteurs). Avec une réforme calibrée de manière à assurer le même niveau de recettes à la protection sociale, Ce résultat est assuré à court terme mais incertain à long terme La baisse des cotisations employeurs entraîne immédiatement une baisse du coût du travail pour l'entreprise, mais la hausse de la TVA renchérit les prix à la consommation, ce qui est susceptible de déboucher assez vite sur une hausse des salaires nominaux. Si ces effets inflationnistes l'emportent sur les effets déflationnistes de la baisse des cotisations, l'opération pourrait à terme dégrader la compétitivité des producteurs français. La hausse de TVA finit par peser sur le travail, comme les cotisations, mais elle se transmet plus vite dans les prix et les salaires. A long terme, l'analyse économique suggère que toute forme d'imposition au niveau de l'entreprise, même assise sur le capital, finit toujours par affecter peu ou prou la rémunération du facteur le moins mobile, c'est-à-dire le travail. En d'autres termes, la TVA finit par peser quasi-exclusivement sur le travail, tout comme les cotisations ou l'impôt direct sur les salaires. Il n'y a donc pas in fine d'effet majeur à attendre sur le coût du travail qui ne devrait pas, en dépit de l'opération de substitution, diminuer à long terme. A court terme, en revanche, la baisse des cotisations employeurs entraîne une baisse du coût du travail pour l'entreprise, mais la hausse de la TVA a de son côté des effets sur les prix à la consommation plus amples et plus rapides que la baisse de charges patronales concomitante, ce qui diminue le pouvoir d'achat des consommateurs, pèse sur la consommation, et réduit l'activité. De fait, les consommateurs sont protégés de cette hausse des prix (mécanismes institutionnels qui répercutent la hausse des prix dans certains de leurs revenus comme le salaire minimum interprofessionnel (SMIC) ou les pensions de retraites) ou peuvent tenter de se protéger en demandant le maintien du pouvoir d'achat de leurs salaires. Cette dynamique des salaires redresse progressivement la consommation, et par-là même l'activité. La budgétisation des dépenses sociales peut avoir des effets négatifs à long terme. La hausse de TVA n'est pas identifiable au même degré qu'une hausse de prélèvements directs sur le facteur travail. C'est une des difficultés liées à la budgétisation des dépenses sociales. En effet, quand on augmente un prélèvement direct sur les salaires, comme les cotisations salariales ou la CSG, pour assurer le financement de la protection sociale, il n'est pas absurde d'imaginer que les salariés puissent le considérer comme la promesse d'un revenu futur, ou la contrepartie d'une dépense sociale accrue, et ne pas demander de compensation salariale. Si c'est le cas, c'est le salaire net qui s'ajuste et il n'y a pas de choc de coût pour les entreprises. Le chômage à terme n'augmente pas. C'est beaucoup plus difficile à imaginer pour la TVA, dont l'impact d'une hausse est noyé dans l'indice général des prix. Il est alors peu probable que les salariés ne tentent pas de réagir à la hausse de TVA, ce qui enclenche inévitablement une boucle prix-salaires. De surcroît, recourir à un financement de la protection sociale par un prélèvement difficilement identifiable rendrait plus délicate l'adoption de politiques visant à améliorer le rapport efficacité-coût de l'assurance maladie. La budgétisation des dépenses sociales via la TVA présenterait le risque de distendre le lien entre le prélèvement et la consommation, tout en laissant croire qu'une source de financement « indolore » existe, renvoyant à plus tard l'effort de maîtrise des dépenses. De surcroît, lorsque les dépenses d'assurance-maladie croissent plus vite que le produit intérieur brut, et qu'il est nécessaire d'augmenter les prélèvements obligatoires pour les financer, les mécanismes institutionnels d'indexation du SMIC conduisent dans le cas d'une hausse de TVA à un renchérissement plus important du travail moins qualifié, et donc à une hausse plus grande du chômage. L'indexation du SMIC brut sur les prix à la consommation garantit le pouvoir d'achat des salariés concernés mais exclut de l'emploi les salariés dont la productivité est inférieure au nouveau SMIC. En revanche, dans le cas d'une hausse de cotisation salarié ou de CSG, le SMIC brut est inchangé. Après la hausse de cotisation ou de CSG, certains salariés obtiendront satisfaction et travailleront pour un salaire plus élevé qui compensera la hausse. D'autres accepteront de travailler pour le même SMIC brut qu'auparavant, même si cela implique pour eux une baisse de salaire net. Enfin, pour conclure, l'expérience internationale suggère que la fraude à la TVA peut devenir très significative à partir de taux avoisinant les 25 % (à titre illustratif, aucun pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques ne possède des taux de TVA allant au-delà de cette limite). Il convient par conséquent de garder en mémoire le taux normal élevé actuel de la TVA qui peut vite s'avérer un obstacle si l'on souhaite utiliser l'opération de TVA sociale comme un instrument de lutte contre le travail clandestin. Cette réserve est d'autant plus prégnante que la hausse de TVA pourrait pousser dans le non-emploi un certain nombre de salariés dont la productivité est inférieure au nouveau SMIC, ce qui peut entraîner un accroissement du travail non déclaré.

Données clés

Auteur : M. Christian Jeanjean

Type de question : Question écrite

Rubrique : Impôts et taxes

Ministère interrogé : économie

Ministère répondant : économie

Dates :
Question publiée le 30 novembre 2004
Réponse publiée le 23 août 2005

partager