âge de la retraite
Question de :
M. Gérard Bapt
Haute-Garonne (2e circonscription) - Socialiste
M. Gérard Bapt attire l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur les conséquences de l'application de la loi de finances rectificative pour 2004, n° 2004-1485, et plus particulièrement sur l'article 136 relatif au code des pensions civiles et militaires de retraite. Conformément à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes du 29 novembre 2001, du Conseil d'État du 29 juillet 2002 - n° 141112, Griesmar - et aux principes d'égalité et de non-discrimination de la Cour de justice des Communautés européennes et du Conseil d'État du 26 février 2003 - n° 187401, Philippe L., les pères de famille de trois enfants pouvaient prétendre à la retraite proportionnelle anticipée avec jouissance immédiate dès lors qu'ils avaient élevé trois enfants et effectué quinze ans de service public. La loi Fillon du 21 août 2003 a modifié le code des pensions civiles et militaires et conditionné l'octroi des bonifications à une interruption d'activité de deux mois à la naissance de chaque enfant. Cet article 48 a de plus été voté avec effet rétroactif et est applicable à toute pension liquidée à partir du 28 mai 2003. Le 20 décembre 2004, suite à un amendement voté par le Sénat, l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004 parue au Journal officiel, 304, page 22522 du 31 décembre 2004), en conditionnant le droit à la retraite proportionnelle anticipée pour les fonctionnaires pères de trois enfants à la cessation d'activité d'une durée de deux mois à la naissance de chaque enfant, supprime de fait le droit à la retraite pour la quasi-totalité des hommes. Ces congés n'existaient pas pour les hommes avant 1984. Toute absence supérieure à trois jours aurait été considérée comme un abandon de poste. De plus, cette loi précise que ces dispositions sont applicables aux demandes présentées avant leur entrée en vigueur et « qui n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée ». Bon nombre de fonctionnaires devant la résistance de l'État à appliquer les jurisprudences de la Cour européenne de justice et du Conseil d'État ont saisi les tribunaux administratifs, de nombreux dossiers ont été jugés en référés suspensifs (les jugements sur le fond n'aboutissant qu'en trois ans en moyenne). Plusieurs milliers de fonctionnaires ont été rayés des cadres et mis à la retraite proportionnelle anticipée avec jouissance immédiate de la pension. Or, à la lecture de cette nouvelle loi votée le 30 décembre 2004, les jugements en référés ne sont pas assimilables à des décisions de justice passées en force de chose jugée. La nouvelle loi s'appliquerait donc et ces ex-fonctionnaires ne pourraient plus être à la retraite proportionnelle avec jouissance immédiate de la pension. Rayés des cadres, leurs anciens postes ont été mis à concours, pourvus, ou supprimés suivant les cas. Devant une telle situation contraire au principe d'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes tel qu'il est défini à l'article 141 du traité instituant la Communauté européenne et à l'accord sur la politique sociale joint au traité sur l'Union européenne, la loi va à l'encontre de tout progrès social et a provoqué une insécurité juridique en donnant à cette nouvelle rédaction un effet rétroactif lorsque les demandes n'ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée. De plus, un certain nombre de demandes, rejetées par l'administration, ont fait l'objet de recours qui ont donné lieu à jugements en référé. Les décisions de refus ont été suspendues, et il a été demandé à l'administration de revoir les demandes conformément à la jurisprudence du Conseil d'État. Les admissions à la retraite prononcées dans ces conditions ont-elles l'autorité de la chose jugée ou sont-elles susceptibles d'être remises en cause par annulation ou abrogation ? On peut se retrouver dans un cas de figure où l'arrêté d'admission à la retraite avec droit à une pension à jouissance immédiate est devenu définitif mais où il n'y aurait plus droit à pension compte tenu de la nouvelle rédaction de l'article L. 24. En effet, l'article L. 55 du code des pensions stipule que la pension est définitivement acquise mais peut être révisée ou supprimée dans le délai d'un an en cas d'erreur de droit. De nombreuses questions demeurent en suspens : comment seront traitées les demandes ayant fait l'objet d'un jugement devenu définitif mais n'étant pas encore entrées en application ? Comment seront traitées les demandes de révision de pension suite à erreur matérielle ou de droit pour les pères de trois enfants, ou les mères de famille lorsqu'elles n'auront pas d'interruption d'activité pour chacun de leurs trois enfants ? Quel sort sera réservé aux demandes en cours émanant de mères de famille n'ayant pas interrompu leur activité (naissance intervenue avant l'entrée dans la fonction publique par exemple) et n'ayant pas introduit de recours puisque celui-ci n'avait pas lieu d'être ? Le Conseil constitutionnel, interrogé sur la conformité à la Constitution de l'effet rétroactif au 23 mai 2003 de la loi sur la réforme des retraites, avait conclu que cette disposition ne faisait pas grief dans la mesure où il ressortait des travaux parlementaires que le législateur n'avait pas entendu remettre en cause les pensions liquidées depuis le 28 mai 2003. Dans le cas présent, les conditions d'adoption de cette disposition nouvelle ne permettent pas d'avoir les mêmes assurances et devraient conduire à s'interroger sur la Constitution du caractère rétroactif de la mesure de suppression de fait du droit à retraite avec pension à jouissance immédiate pour les pères de famille de trois enfants, ainsi que pour les mères de famille n'ayant pas interrompu leur activité. En conséquence, il lui demande les mesures qu'il compte prendre pour éviter que les personnes aujourd'hui à la retraite soient obligées de réintégrer l'administration dans laquelle elles exerçaient. - Question transmise à M. le ministre de la fonction publique.
Réponse publiée le 30 août 2005
Par décisions n° 245601, du 29 janvier 2003, Beraudo et n° 187401, du 26 février 2003, Llorca, le Conseil d'État jugeait que les dispositions relatives au départ anticipé à la retraite des femmes fonctionnaires mères de trois enfants, prévues au 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, étaient incompatibles avec le principe d'égalité entre hommes et femmes inscrit à l'article 141 du traité instituant les Communautés européennes. Dans le cadre de la nécessaire mise en conformité du droit français au droit européen, le Gouvernement a été amené à faire un double constat : le dispositif avait été progressivement détourné de son objet initial qui visait à permettre aux parents qui le souhaitaient d'interrompre leur activité professionnelle afin de pouvoir élever leurs enfants tout en bénéficiant d'un revenu sous forme de pension de retraite. Or, dans sa configuration récente, le dispositif était le plus souvent utilisé comme un système de préretraite, sans lien aucun avec l'éducation des enfants. L'extension pure et simple de ce dispositif aux hommes fonctionnaires était - compte tenu de l'importance et de l'immédiateté des départs anticipés à la retraite qu'elle supposait - incompatible tant avec le principe de continuité du service public qu'avec le maintien du rapport actuel entre d'une part la durée de vie professionnelle constatée et d'autre part la durée moyenne de retraite, inscrit à l'article 5 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites. C'est pourquoi, tout en étendant aux hommes le bénéfice du dispositif de départ anticipé à la retraite prévu au 3° du I de l'article L. 24 du code des pensions, le législateur a souhaité recentrer celui-ci sur un objectif familial. Cette démarche, en tout point conforme aux prescriptions de la jurisprudence européenne (CJCE, 6 décembre 1994, n° C-408/92, Smith, point 21), permet ainsi d'autoriser un départ anticipé à la retraite pour les fonctionnaires, parents de trois enfants ayant au moins quinze ans de services publics et ayant choisi de ne pas exercer d'activité professionnelle pendant une période minimale de deux mois à l'occasion de l'arrivée de chacun des trois enfants au foyer (art. R. 37 CPCMR). S'inscrivant non dans une optique de compensation d'un désavantage professionnel, mais dans le cadre de la politique familiale, ce nouveau dispositif permet en outre de prendre en compte l'arrivée au foyer de tout enfant, dès lors que celle-ci a donné lieu à une période de non-activité minimale de deux mois, que l'intéressé ait ou non été fonctionnaire à l'époque. Par ailleurs, comme le précise le Conseil d'État dans un arrêt n° 277975, du 27 mai 2005, Provin, le nouveau dispositif ne saurait être appliqué aux personnes qui, satisfaisant à l'ensemble des conditions alors exigibles, ont déposé leur demande de départ anticipé à la retraite avant la publication de la loi de finances rectificatives pour 2004, et notamment son article 136 qui a pour objet d'instaurer ce nouveau régime. En revanche, s'agissant des demandes déposées après la publication de la loi, celles-ci doivent être instruites à la lumière des nouvelles dispositions. Toutefois, si dans l'attente de la publication du décret d'application certains fonctionnaires se sont vu reconnaître un droit au départ anticipé et que leur radiation des cadres leur a été notifiée, l'administration ne reviendra pas sur cette décision.
Auteur : M. Gérard Bapt
Type de question : Question écrite
Rubrique : Retraites : fonctionnaires civils et militaires
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : fonction publique
Dates :
Question publiée le 22 février 2005
Réponse publiée le 30 août 2005