commerce international
Question de :
Mme Martine Billard
Paris (1re circonscription) - Députés n'appartenant à aucun groupe
Mme Martine Billard tient à attirer l'attention de M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie sur la situation particulièrement préoccupante créée par le litige qui oppose la compagnie des eaux Aguas del Tunari à l'Etat bolivien. En effet, monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est le représentant de la France au sein du conseil d'administration de la banque mondiale à laquelle est directement rattaché le centre international de règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ; il a donc compétence pour intervenir sur cette affaire. Le CIRDI fonctionne selon des mécanismes des plus opaques, faisant primer le droit des investissements sur les droits humains fondamentaux. C'est de nouveau ce qui risque d'arriver à l'issue du différend opposant Aguas del Tunari à l'Etat bolivien. Le gouvernement bolivien avait accepté, en 1999, d'octroyer une concession de quarante ans à Aguas del Tunari sur les services de distribution d'eau, pour la troisième ville du pays Cochabamba. L'augmentation subite des tarifs de la compagnie sur cette ressource vitale qu'est l'eau a provoqué des émeutes dès 2000 qui ont conduit le gouvernement bolivien, en avril 2000, a résilié le contrat de concession. De son côté, Aguas del Tunari est un consortium dans lequel International Water est majoritaire, groupe qui appartient pour sa part à Bechtel, l'une des plus grandes multinationales nord-américaines, qui a dégagé un bénéfice de 13,4 milliards de dollars en 2001. Les 25 millions de dollars que l'entreprise réclame à l'Etat bolivien ne représentent pas grand-chose pour cette multinationale. Il s'agit en revanche pour les Boliviens de ressources essentielles pour financer leur développement, alors qu'un tiers de la population vit au-dessous du seuil de pauvreté. De plus ce n'est qu'en 1999 que International Water s'est fait enregistrer aux Pays-Bas afin de bénéficier du traité bilatéral de protection des investissements signé entre cet Etat et la Bolivie. Peut-on laisser les habitants d'une ville pris en otage dans leur accès à l'eau potable ? Depuis la première conférence des Nations unies sur l'eau en 1977, l'accès à l'eau potable est reconnu comme un des droits humains fondamentaux. Ce principe fort a été réaffirmé lors du sommet mondial de Johannesburg auquel s'est rendu monsieur le Président de la République, en signe de soutien. En conformité avec ces positions, elle lui demande en faire en sorte que le représentant de la France au CIRDI de la Banque mondiale intervienne pour garantir la transparence des procédures de règlement des litiges, pour assurer la participation des populations au règlement et pour soumettre le droits des investissements aux droits humains reconnus fondamentaux par les textes internationaux auxquels la France est engagée.
Réponse publiée le 24 février 2003
Le projet de privatiser l'eau à Cochabamba date de 1996, c'est-à-dire de la fin du premier gouvernement de M. Gonzalo Sanchez de Lozada, qui avait à l'époque initié la « capitalisation (privatisation, par doublement du capital, avec l'entrée d'un investisseur étranger prenant le contrôle de la société en question) » des grandes entreprises publiques du pays. L'objectif était alors de recourir au secteur privé pour assurer la distribution de l'eau en lieu et place de la compagnie municipale des eaux de Cochabamba, Semapa, et pour financer les importants investissements requis afin d'améliorer l'approvisionnement de la ville et l'assainissement. L'appel d'offres lancé fin 1998 comportait donc, outre la concession de la distribution de l'eau et de l'assainissement à Cochabamba, la construction d'un barrage destiné à l'irrigation et à la production d'électricité, seule solution qui permettait d'améliorer la rentabilité de la concession, mais qui imposait la réalisation d'investissements importants. A l'ouverture des plis, le seul soumissionnaire était le consortium Aguas del Tunari. Afin de mener à bien cette privatisation, le gouvernement du général Banzer avait publié un décret suprême autorisant une négociation directe avec Aguas del Tunari pour signer un accord de gré à gré. Le contrat de concession est entré en vigueur en novembre 1999. Dès la fin de l'année 1999, des voix se seraient élevées pour mettre en cause la gestion de la société Aguas del Tunari. Parallèlement, les protestations auraient également concerné la loi sur les services d'eau potable et d'assainissement, adoptée en 1999, et dont plusieurs dispositions auraient été contestées. Les mouvements sociaux se seraient intensifiés lorsque Aguas del Tunari aurait procédé à de sensibles augmentations de tarif, puis se seraient aggravés progressivement jusqu'aux émeutes de début avril 2000. Ce serait à cette date que le gouvernement bolivien aurait annoncé, par un communiqué de presse, la rupture unilatérale du contrat de concession. La gestion de l'eau à Cochabamba a donc été restituée à la société municipale Semapa. La question posée concerne donc le différend opposant une société de droit privé - société Aguas del Tunari -, ayant été titulaire d'une concession de service de distribution et d'assainissement d'eau, et l'Etat bolivien. Aucune entreprise française n'est partie au litige, la société citée étant majoritairement détenue par un groupe anglais (55 %) - dont le siège est aux Etats-Unis - mais aussi des intérêts boliviens à hauteur de 20 %. Par ailleurs, le Centre international de règlements des différends relatifs aux investissements (CIRDI), prévu par la convention de Washington du 18 mars 1965, est une instance d'arbitrage international indépendante dont l'autonomie se vérifie tant dans le déroulement de la procédure d'arbitrage que dans l'exécution des sentences rendues. L'arbitrage international est facultatif et la compétence de l'arbitre suppose l'accord de toutes les parties au litige. Le CIRDI, qui intervient donc à la demande des parties au litige, s'attache à protéger autant les investisseurs étrangers que les Etats hôtes.
Auteur : Mme Martine Billard
Type de question : Question écrite
Rubrique : Relations internationales
Ministère interrogé : économie
Ministère répondant : économie
Dates :
Question publiée le 18 novembre 2002
Réponse publiée le 24 février 2003