Question écrite n° 768 :
droit pénal

12e Législature

Question de : Mme Christiane Taubira
Guyane (1re circonscription) - Députés n'appartenant à aucun groupe

Mme Christiane Taubira demande à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales de surseoir à la procédure administrative d'expulsion de M. Bouchelaleg Chérif, marié et père de six enfants, ayant purgé sa peine de prison, libéré sous conditionnelle pour bonne conduite et devant, selon la loi, se tenir à disposition de la justice sur le territoire français pour tout contrôle. Elle rappelle que la double peine est un procédé archaïque de même inspiration que le bagne qui a sévi plus d'un siècle en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Après avoir accompli leur peine, les condamnés aux travaux forcés étaient interdits de séjour en France et tenus de rester dans la colonie le même nombre d'années. Cette double peine s'appelait la relégation. Les condamnés étaient tous français, prisonniers de droit commun, criminels ou auteurs de délits divers, paysans ruinés, pauvres hères et vagabonds, victimes de préjugés ou d'antisémitisme comme Dreyfus, d'erreurs judiciaires comme Seznec, militants patriotiques de l'empire colonial comme N'Guyen Van Dong ou Bou Maza. Elle affirme que la double peine est une barbarie qui punit deux fois, une fois pour ce que l'on a fait et une fois pour ce que l'on est. Ce dispositif discrédite la législation française dont les sources majeures sont les deux déclarations universelles des droits de l'homme, le droit international et le droit européen qu'elle inspire elle-même fortement. En rappelant que M. Bouchelaleg est arrivé en France à l'âge de douze ans par regroupement familial, qu'il y a accompli sa scolarité, qu'il a démontré sa stabilité en étant employé dans la même entreprise depuis plusieurs années. Elle fait valoir que des milliers de jeunes immigrés de la première et de la deuxième génération ont ainsi, par leurs qualités personnelles et leur obstination, pallié l'absence de politiques publiques d'intégration. Au-delà du cas particulier de M. Bouchelaleg, la suppression de la double peine est une exigence de justice et de morale publique. C'est une nécessité moderne. C'est le refus d'une discrimination institutionnelle. C'est le respect du droit naturel. C'est l'abolition d'un abus de pouvoir. Elle lui demande ses intentions à ce sujet.

Réponse publiée le 2 septembre 2002

L'honorable parlementaire appelle l'attention sur la situation administrative de M. Chérif Bouchelaleg, ressortissant algérien et, plus généralement, sur les mesures d'éloignement fondées sur la menace pour l'ordre public. Au-delà du cas particulier, qui fait actuellement l'objet d'un traitement administratif, il convient de préciser que la qualification de doubles peines ne correspond pas à la nature juridique réelle des mesures en cause. En effet, s'agissant des arrêtés d'expulsion, pris sur le fondement des articles 23 ou 26 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée, les plus hautes juridictions, tant administratives que judiciaires, ont considéré qu'ils constituaient non des sanctions, mais des mesures préventives, destinées à éviter la répétition d'atteintes graves à l'ordre public ou à la sécurité publique. Ils ne peuvent donc être assimilés à des peines. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision 93.325 DC du 13 août 1993, a ainsi constaté que les décisions d'expulsion, qui constituent des mesures de police, n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 8 de la déclaration de 1789 (relatif aux peines et délits). Il convient de préciser que les arrêtés d'expulsion sont soumis à l'éventuelle censure du juge administratif et que certaines catégories d'étrangers se trouvent protégées, aux termes de l'article 25 de l'ordonnance susmentionnée, contre la prise de telles mesures, en raison de l'ancienneté de leur présence en France ou de forts liens familiaux. Concernant les interdictions du territoire, prononcées par les juges judiciaires, et dont le ministère de l'intérieur, en vertu du principe de séparation des pouvoirs, n'a pas à connaître, il est rappelé que des demandes tendant à en obtenir le relèvement peuvent être formulées par les intéressés, et que le code pénal prévoit des protections pour certains ressortissants étrangers, qui ne peuvent être l'objet d'une interdiction du territoire que par une décision du tribunal spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale. Il n'existe, par ailleurs, aucune automaticité entre le prononcé d'une peine d'emprisonnement et la prise d'un arrêté d'expulsion ou d'une interdiction du territoire. Enfin, le respect, en matière d'éloignement d'étrangers, des dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment de ses articles 3, sur la prise en compte des risque vitaux encourus lors du retour dans le pays d' origine, et 8, sur la protection de la vie privée et familiale, demeure une préoccupation constante lors de tout prononcé de mesures ; celles-ci sont d'ailleurs, la plupart du temps, validées par les juridictions internes et la Cour européenne des droits de l'homme ; le principe même de l'éloignement d'un ressortissant étranger qui présente une menace pour l'ordre public n'a jamais été remis en cause par cette dernière instance et tous les Etats membres de l'Union européenne prévoient dans leur législation une telle possibilité.

Données clés

Auteur : Mme Christiane Taubira

Type de question : Question écrite

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : intérieur

Ministère répondant : intérieur

Dates :
Question publiée le 22 juillet 2002
Réponse publiée le 2 septembre 2002

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