Question au Gouvernement n° 1761 :
élargissement

12e Législature

Question de : M. François Bayrou
Pyrénées-Atlantiques (2e circonscription) - Union pour la Démocratie Française

Question posée en séance, et publiée le 15 décembre 2004

ADHÉSION DE LA TURQUIE À L'UNION EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à M. François Bayrou, pour le groupe Union pour la démocratie française.
M. François Bayrou. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Chacun connaît l'importance de la décision qui doit être prise à Bruxelles, jeudi et vendredi, sur l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. Malgré les très nombreuses questions qui ont été posées, il est incroyable que, à deux jours de l'ouverture de ce Conseil, on ignore tout de la ligne que vont suivre le Gouvernement français et ses représentants. En effet, le débat a été refusé, le vote a été écarté.
Sur le fond, le Gouvernement français a d'abord dit qu'il était favorable à l'adhésion. Puis on a cru comprendre - d'après vos déclarations mêmes, monsieur le Premier ministre - qu'un partenariat privilégié pourrait être envisagé, ce qui devait rendre de la liberté à l'Union européenne. Dans les dernières heures, on a entendu dire que cette option avait été abandonnée. Le ministre des affaires étrangères a déclaré hier que la France exigerait de la Turquie la reconnaissance de " la tragédie arménienne du début du siècle ". Le ministre vient d'ailleurs de répéter cinq fois ce mot de " tragédie ".
M. Alain Gest. On en a déjà parlé !
M. François Bayrou. Or il n'échappe à personne que " tragédie ", ce n'est pas " génocide ", et que cela n'est pas conforme à la loi adoptée par le Parlement. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste) Il y a là un premier fléchissement de la France.
Enfin, ce matin même, le ministre annonce qu'il n'est plus du tout question de faire de cette reconnaissance une condition à l'ouverture des négociations. Et il en va de même pour la question de Chypre : on s'apprête à ouvrir des négociations d'adhésion avec la Turquie qui ne reconnaît pas l'un des pays de l'Union et occupe militairement une partie de son territoire. (" C'est honteux ! " sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Une telle illisibilité, une telle inconséquence empêchent notre pays de peser sur la négociation, alors qu'il dispose d'un droit de veto.
Pendant ce temps, le gouvernement turc, lui, donne des leçons de lisibilité par la voix de son Premier ministre, qui a déclaré qu'il n'accepterait aucun partenariat privilégié, qu'il ne reconnaîtrait ni le gouvernement chypriote ni le génocide arménien.
Au-delà de l'acceptation pure et simple de l'adhésion de la Turquie à ses conditions propres, et contre le sentiment de la grande majorité des Français, que cherche le Gouvernement dans l'ouverture de ces négociations ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
M. Pierre Lellouche. Et vous, monsieur Bayrou, que cherchez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.
M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur Bayrou, le ministre des affaires étrangères que vous avez cité voudrait vous inviter à vous rappeler que le premier dialogue avec la Turquie a été noué en 1963. À l'époque, le général de Gaulle - ce n'est peut-être pas votre référence, mais c'est la mienne - avait lui-même évoqué la vocation européenne de ce pays.
Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Très bien !
M. le ministre des affaires étrangères. Depuis, aucun gouvernement, pas même ceux auxquels vous avez participé, monsieur Bayrou, n'a remis en cause cette vocation européenne de la Turquie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Dionis du Séjour. Et le peuple, dans tout cela ?
M. le ministre des affaires étrangères. En 1999, le Conseil européen auquel participaient Jacques Chirac, c'est vrai, mais aussi Lionel Jospin a reconnu à la Turquie le statut de candidat. Nous en sommes là. Jeudi et vendredi, nous devons en effet décider de l'ouverture éventuelle de négociations d'adhésion, des conditions de cette ouverture et de leur date. Il ne s'agit que de cela. Ceux qui disent le contraire ou qui font croire aux Français qu'il s'agirait, demain matin, ou même après-demain matin, de faire entrer la Turquie dans l'Union ne leur disent pas la vérité que je leur ai promise. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
Nous abordons ce débat avec quatre exigences.
Premièrement, la sincérité. Nous dirons aux Turcs que nous voulons que cette négociation réussisse et aboutisse, sans raccourci ni complaisance.
Deuxièmement, le réalisme. Cette négociation sera longue, difficile. Son résultat n'est pas écrit d'avance.
Nous poserons, dans le cadre de cette négociation, toutes les questions, notamment celles du génocide arménien et de Chypre, mais vous savez bien, monsieur Bayrou, que nous n'aurons pas les réponses tout de suite.
M. François Rochebloine. On les connaît déjà !
M. le ministre des affaires étrangères. La troisième exigence sera celle de la transparence qui vous est due. Le Parlement sera régulièrement informé et associé à chacune des étapes de cette négociation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française, du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Maurice Leroy. Informé seulement !
M. Maxime Gremetz. Jamais il ne votera !
M. le ministre des affaires étrangères. Enfin, la quatrième exigence, je pense que vous y serez sensible, monsieur Bayrou, est celle de la démocratie. Au final, ce ne sera ni vous ni moi qui trancherons, mais bien le vote du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Données clés

Auteur : M. François Bayrou

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Union européenne

Ministère interrogé : affaires étrangères

Ministère répondant : affaires étrangères

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 décembre 2004

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