élargissement
Question de :
M. François Bayrou
Pyrénées-Atlantiques (2e circonscription) - Union pour la Démocratie Française
Question posée en séance, et publiée le 5 octobre 2005
OUVERTURE DES NEGOCIATIONS D'ADHESION
DE LA TURQUIE A L'UNION EUROPEENNE
M. François Bayrou. Monsieur le Premier ministre, hier soir, à minuit, les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne ont été ouvertes avec l'assentiment du gouvernement français.
M. Jacques Floch. Très bien !
M. François Bayrou. Que l'on soit pour ou contre, cette décision est frappante à plusieurs égards.
Premièrement, elle a été prise contre l'avis des peuples européens et contre l'avis du peuple français. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Deuxièmement, elle a été prise à l'encontre des engagements que vous aviez vous-même explicitement formulés devant les Français.
M. Jean-Marie Le Guen. Ça, c'est vrai !
M. François Bayrou. Le 2 août, il y a exactement deux mois, vous disiez en effet : " Il n'est pas concevable qu'un processus quelconque de négociation puisse s'ouvrir avec un pays qui ne reconnaîtrait pas chacun des membres de l'Union européenne. " Vous auriez d'ailleurs pu ajouter : avec un pays qui occupe militairement un pays membre de l'Union européenne - c'est évidemment de Chypre qu'il s'agit ! Et vous poursuiviez : " Si tel n'est pas le cas, il sera urgent d'attendre. " Nous vous avons approuvé dans cette fermeté affichée, en pensant également au génocide arménien. Or, hier, à Bruxelles, vous avez fait exactement le contraire.
Troisièmement, cette décision est lourde de conséquences pour l'avenir parce qu'elle signifie que l'Union européenne ne sera pas la puissance politique solidaire et intégrée que la France voulait construire, mais une vague zone de libre-échange sans volonté politique. Il suffit d'ailleurs d'avoir vu, tout le week-end et toute la journée d'hier, la part que les États-Unis ont prise directement, ouvertement et sans nuance dans cette décision pour en mesurer les effets.
Quatrièmement, cette décision signifie aussi qu'en France, en pareille matière, le Président de la République et le Gouvernement décident tout seuls, que l'on n'écoute pas le peuple et que, de surcroît, il est interdit au Parlement de s'exprimer pour ou contre sur une question qui, convenons-en, est d'une importance essentielle.
Votre gouvernement et votre démocratie ont abandonné pour longtemps le projet européen qui fut celui de la France. Cette Europe sans projet, sans constitution et sans budget, vous la laissez se lancer dans la fuite en avant d'un élargissement auquel ni les Français ni les Européens n'adhèrent. Faute d'unité, elle ne pourra plus avoir de volonté et les peuples risquent de s'y reconnaître de moins en moins.
Ma question est donc simple : mesurez-vous, monsieur le Premier ministre, le désarroi que vous avez ainsi créé ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Bayrou, merci de me donner l'occasion d'introduire un peu de sérénité dans un débat qui en a besoin.
La politique, cela consiste d'abord à regarder la réalité en face, pas la réalité d'hier, la réalité d'aujourd'hui et celle de demain.
M. Jean-Marie Le Guen. Ça, c'est très fort !
M. le Premier ministre. Force est de constater qu'il y a, en Europe, vingt-cinq États, vingt-cinq gouvernements, vingt-cinq peuples.
M. Jean-Christophe Cambadélis. Pour l'instant, tout va bien !
M. le Premier ministre. Je n'ai rien à dire quand vous parlez au nom de la France. Mais lorsque vous le faites au nom de l'Europe, je vous invite tout simplement à un peu de mesure.
La Turquie doit-elle entrer en Europe ? (" Non ! " sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette question reste ouverte.
Une deuxième question était posée hier : devait-on s'opposer à l'ouverture de négociations avec la Turquie (" Oui ! " sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), qui est l'aboutissement d'un processus engagé en 1963 ? Les vingt-cinq, car en Europe il y a vingt-cinq États, ont pris à l'unanimité la décision d'ouvrir ces négociations. Permettez-moi de préciser dans quel contexte.
Il s'agit d'abord - faut-il le rappeler ? - d'un processus contrôlé. A chaque étape, sur chaque chapitre, les vingt-cinq États pourront être consultés et voteront. Un rendez-vous est d'ailleurs prévu dès 2006 pour faire le point sur l'évolution des négociations.
Ensuite, ce sera un processus long et ouvert. Il dépendra des Européens : nous avons obtenu, dans la déclaration, la mention de la nécessité que l'Europe soit en mesure d'absorber la Turquie. Il dépendra aussi de la Turquie : voudra-t-elle le mener jusqu'au bout, sera-t-elle capable de le faire et de satisfaire aux exigences européennes ?
Enfin, il s'agit, vous le savez, d'un processus conditionnel. Le Président de la République a tenu à ce que, au bout du chemin, à la suite de la réforme constitutionnelle qui a été adoptée, tous les Français soient consultés. C'est à eux que reviendra le dernier mot.
Ce processus offre donc toutes les garanties. La politique, la vraie politique, ne consiste pas à attiser les peurs, mais à assumer ses responsabilités...
M. Maurice Leroy. Et ses déclarations !
M. le Premier ministre. ...en fonction de l'idée que l'on se fait des intérêts de son pays, pour aujourd'hui et pour demain. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Auteur : M. François Bayrou
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Union européenne
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 octobre 2005