Question au Gouvernement n° 3120 :
expulsion

12e Législature

Question de : Mme Paulette Guinchard
Doubs (2e circonscription) - Socialiste

Question posée en séance, et publiée le 21 décembre 2006

EXPULSION DE LA FAMILLE RABA

M. le président. La parole est à Mme Paulette Guinchard, pour le groupe socialiste.
Mme Paulette Guinchard. Monsieur le président, en l'absence du Premier ministre, ma question s'adresse à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
Je souhaite revenir sur le traitement des demandes de régularisation dans le cadre de la circulaire du ministre de l'intérieur du 13 juin 2006. L'instauration d'une limite à 6 000 sur les 25 000 demandes recevables était la porte ouverte à l'arbitraire et à l'injustice. Nous venons d'en vivre un exemple dramatique en Franche-Comté.
Comme nombre de mes concitoyens, j'ai été profondément heurtée par le traitement réservé à M. et Mme Raba et à leurs trois enfants. Ils ont été expulsés de France il y a quinze jours, dans des conditions dénuées de toute humanité alors qu'ils remplissaient les critères imposés par la circulaire.
Cette famille a quitté le Kosovo en 2001, à la suite du refus de M. Raba de participer à des expéditions contre des villages serbes et des violences qui s'en sont suivies. Elle s'était très bien intégrée en Haute-Saône, où deux de leurs trois enfants sont nés et où ils étaient scolarisés. L'asile politique leur a été refusé, tout comme la régularisation de leur situation administrative, sans explication, alors que leur sécurité n'était pas assurée en cas de retour au Kosovo et alors que les frères de M. Raba ont, eux, été régularisés.
La manière dont a été traitée la famille Raba illustre les conséquences de vos choix. Les enfants ont été arrachés à l'école et ont dû passer trois semaines dans un centre de rétention. Et que dire des moyens surdimensionnés et onéreux déployés pour leur expulsion : vingt-deux gendarmes sont venus les chercher à leur domicile, afin qu'ils prennent un avion pour Lyon, puis un autre pour Paris. Là, le pilote du vol spécialement affrété pour Pristina a refusé de les embarquer. Ils ont dû reprendre l'avion pour Lyon, puis pour Toulouse, d'où ils embarquèrent pour Tirana avant de prendre un dernier vol pour Pristina ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, c'est parce que je n'ai pas réussi à entrer en contact avec un seul membre de votre cabinet, en dépit de mes nombreux appels, que je vous interroge aujourd'hui. Pouvez-vous faire toute la lumière sur le refus de régularisation de cette famille et, surtout, sur les circonstances de son expulsion ? Sinon, vous reconnaîtriez implicitement l'arbitraire de cette décision. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Yves Cochet. Très juste !
M. le président. La parole est à M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
M. Nicolas Sarkozy, ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Madame Guinchard, je vais tenter de vous répondre le plus précisément possible. Les sentiments d'humanité dont vous faites preuve vous honorent,...
M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas votre cas !
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. ...et je suis sûr qu'avec l'honnêteté que je vous connais, vous allez admettre la force des arguments de la République française.
Ne faisons pas de la famille Raba un enjeu politique et regardons ce qui s'est exactement passé. Il s'agit d'un couple kosovar et de leurs trois enfants. À trois reprises, la famille Raba a déposé une demande d'asile à l'OFPRA. À trois reprises, l'OFPRA a dit non.
Plusieurs députés socialistes. Pourquoi ? Et que dire des frais ?
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. J'expose les faits. Après vous jugerez. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le sujet est suffisamment important, il s'agit d'une famille et la question de Mme Guinchard n'était pas polémique. Je lui réponds donc sérieusement. Nous parlons d'êtres humains, et il n'y a pas de quoi plaisanter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Lassalle. Très bien !
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. À trois reprises, la famille Raba a porté sa demande devant la commission des recours. À trois reprises, elle s'est vue refuser le statut de réfugié politique. En vertu des décisions d'instances dont chacun reconnaît l'indépendance, puisque la commission des recours est une juridiction, le préfet a donc pris un arrêté de reconduite à la frontière. La famille Raba a fait appel devant le tribunal administratif de Besançon pour contester la légalité de l'arrêté. Le tribunal a donné tort à la famille Raba et raison à la préfecture. Ce n'est pas terminé.
Les autorités de l'ONU, présentes au Kosovo, informées du cas de la famille Raba, ont délivré un laissez-passer à son intention, arguant qu'elle ne courait aucun risque. Et ce n'est pas tout.
Pendant que la famille Raba était au centre de rétention administrative de Lyon, elle a saisi le juge de la détention pour détention illégale et il a confirmé le maintien en CRA. Ce n'est toujours pas terminé. La famille Raba, qui ne parle pas bien français, mais qui connaît les procédures, a fait appel devant la cour d'appel de Lyon de sa détention et la cour d'appel a confirmé la décision de première instance.
Plusieurs députés socialistes. Et alors ?
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Alors, l'OFPRA a dit non, la commission des recours l'a suivi. Le tribunal administratif a dit non, le juge de la détention aussi. Enfin, la cour d'appel a dit non. Et vous voudriez que le ministre de l'intérieur dise oui ?
M. Pierre Cohen. Et votre circulaire ?
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Que faites-vous de l'indépendance de la justice ? Nous n'avons pas la même conception de l'État de droit. La famille Raba a été raccompagnée à Pristina. Il faut désormais que ceux qui n'ont pas de papiers et dont la justice a décidé qu'ils doivent être raccompagnés chez eux le soient !
M. Jean-Pierre Brard. C'est inhumain !
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. La loi doit être appliquée et c'est mon devoir d'y veiller. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
Madame la députée, j'ai tenu à vous répondre très précisément parce les fonctionnaires et les magistrats n'ont fait que leur travail. Vous n'avez pas à insinuer qu'ils seraient sans coeur ou non-républicains. Vous ne connaissez pas le dossier comme je le connais.
M. Pierre Cohen. Et votre circulaire ?
M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire. Pourtant, vous vous êtes permis de porter devant la représentation nationale un jugement alors que l'honnêteté qui est la vôtre aurait dû vous en empêcher. Les règles de la République s'imposent à vous, comme elles s'imposent à moi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Données clés

Auteur : Mme Paulette Guinchard

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Étrangers

Ministère interrogé : intérieur et aménagement du territoire

Ministère répondant : intérieur et aménagement du territoire

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 décembre 2006

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