libération conditionnelle
Question de :
M. François Baroin
Aube (3e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire
Question posée en séance, et publiée le 10 octobre 2002
AFFAIRE PATRICK HENRY
M. le président. La parole est à M. François Baroin, pour le groupe de l'Union pour la majorité présidentielle.
M. François Baroin. Ma question s'adresse à M. le ministre de la justice, garde des sceaux. Il y a, monsieur le ministre, depuis vingt-quatre heures dans notre pays, une très vive émotion, comme un cri.
En 1976, un jeune garçon, Philippe Bertrand, était enlevé à Troyes et assassiné par Patrick Henry. Nos familles étaient liées, il aurait aujourd'hui à peu près mon âge. Cette tragédie fait partie de l'histoire contemporaine de la ville de Troyes. C'est une grande épreuve. C'est également une grande douleur, aujourd'hui encore très vive.
En 1977, Patrick Henry est sauvé de la guillotine et condamné à perpétuité. Onze ans plus tard, il est saisi en prison pour possession de drogue et d'alcool et il est condamné une nouvelle fois, en 1989, pour trafic de drogue. En juillet 2000, Mme Guigou refuse une demande de libération conditionnelle, renvoyant en cela à la commission apte à prononcer cette nouvelle décision. En janvier 2001, la juridiction régionale prononce sa libération conditionnelle.
M. Patrick Henry est libéré le 26 avril. Le 11 avril 2002, il parade dans Paris Match pour faire la promotion de son livre intitulé Vous ne le regretterez pas. Cet été, il est condamné pour vol dans une grande surface. Et ce week-end, il est interpellé en Espagne en possession de dix kilos de stupéfiants, sans doute pas entièrement destinés à sa consommation personnelle.
En cette année Victor Hugo, je veux faire mienne cette phrase d'un de nos prédécesseurs : « La haine est l'hiver du coeur. » Ce n'est pas la vengeance qui anime les Troyens et l'immense majorité des Français, mais le désir de comprendre et de prévenir.
Alors, monsieur le garde des sceaux, deux questions. Vous avez - et je vous en félicite - très rapidement demandé l'extradition de Patrick Henry. Dans quels délais sera-t-elle effective ? Seconde question : je me demande si la justice n'a pas été abusée par le symbole que représente Patrick Henry.
M. Jacques Barrot. Eh oui !
M. François Baroin. A force de vouloir raconter de belles histoires, on a oublié que son comportement en prison n'avait pas été exemplaire. Il y a dans notre pays des adversaires constants qui sont prêts à mettre à bas la politique de sécurité, à choisir, pour soutenir leur lutte, les pires emblèmes et, parfois, à embellir, par une curieuse inversion des valeurs, la figure du criminel. Beaucoup s'y sont laissé prendre (« La question ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Henri Emmanuelli. Des noms ?
M. François Baroin. A la lumière de cet affreux contre-exemple, monsieur le ministre, estimez-vous que la procédure de libération conditionnelle pourrait être améliorée pour offrir des garanties supplémentaires de sécurité et faire en sorte que la justice puisse mieux dire, en conscience, à nos compatriotes, après chaque libération conditionnelle : vous ne le regretterez pas ? (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je partage l'émotion que vous venez d'exprimer et qui illustre celle que ressentent les Troyens, mais aussi toutes les Françaises et tous les Français. Ce qui s'est passé hier provoque une immense tristesse. La société française a proposé à Patrick Henry une deuxième chance. Il ne l'a pas saisie. Compte tenu de la conception que nous partageons de la nature humaine, nous ne pouvons qu'être tristes. C'est la première chose que je voulais dire.
Maintenant, la justice doit passer. Le juge de l'application des peines de Caen a, dès hier, lancé un mandat d'arrêt, qui vaut demande d'extradition compte tenu de la Convention européenne.
A partir de là, deux hypothèses : soit Patrick Henry accepte son extradition, et il sera en France dans les huit jours ; soit il ne l'accepte pas spontanément, auquel cas la procédure classique se déroulera et l'Espagne remettra Patrick Henry à la justice française dans les prochaines semaines.
Ensuite, bien sûr, il passera devant la juridiction compétente, qui annulera sa mise en libération anticipée, et il reprendra le cours de l'exécution de sa peine, c'est-à-dire la détention à perpétuité.
Quelles conclusions tirer de cette triste aventure en ce qui concerne les libérations conditionnelles ? Je pense qu'il ne faut pas généraliser à partir d'un cas particulier. Je ne donnerai qu'un seul chiffre : il y a 5 % seulement des mesures de libération conditionnelle sur lesquelles les juges reviennent.
Cela dit, je tire pour ma part deux conclusions pratiques de cette affaire. Premièrement, nous devons davantage accompagner les détenus à qui une libération conditionnelle est accordée, et ce au moment où ils sortent de prison, en particulier ceux qui ont purgé de très longues peines. Quand on a passé vingt-deux ans en prison, il doit être très difficile d'assumer sa liberté. Il nous faudra donc renforcer les services de probation des prisons, à qui incombe cette tâche d'accompagnement de la libération conditionnelle.
Ma seconde conclusion concerne les victimes. Bien sûr, monsieur le maire, c'est à elles que vous pensiez tout à l'heure. J'ai l'intention, dans le cadre du plan d'action d'aide aux victimes que j'ai présenté au conseil des ministres il y a quelques jours, de faire en sorte que, tout au long de la procédure, les victimes des crimes soient écoutées et entendues, y compris lorsque la justice est amenée à prendre des décisions concernant l'application des peines. C'est bien sûr à la justice qu'il appartient de prendre les décisions qu'elle juge bon de prendre, mais je crois que cette écoute et cet accompagnement de la victime au regard de l'évolution de l'exécution de la peine du délinquant sont indispensables dans notre justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la majorité présidentielle et du groupe Union pour la démocratie française.)
Auteur : M. François Baroin
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droit pénal
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 10 octobre 2002