Question au Gouvernement n° 458 :
Iraq

12e Législature

Question de : M. Alain Bocquet
Nord (20e circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains

Question posée en séance, et publiée le 19 mars 2003

IRAK

M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
M. Alain Bocquet. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, nous vivons des jours et des heures d'une gravité exceptionnelle. Cette nuit, George Bush a confirmé, avec cynisme et morgue, sa volonté de faire la guerre en Irak, contre l'avis de la communauté internationale, en torpillant l'Organisation des Nations unies, au mépris de sa charte, du droit, des résolutions du Conseil de sécurité, de l'opinion publique mondiale et de son opposition massive à cette entreprise militaire d'occupation.
Chacun mesure la responsabilité historique que prennent les Etats-Unis, membres permanents du Conseil de sécurité, toujours prompts à en appeler aux valeurs morales de démocratie et de liberté, en décidant de l'usage de la force au nom de la défense de leurs intérêts stratégiques, financiers et pétroliers, et au nom de leur visée hégémonique. Les Etats-Unis veulent ainsi déstabiliser le monde pour le dominer sur tous les plans, économique, militaire, culturel et politique. Ils s'érigent en maître et gendarme du monde, c'est inacceptable.
Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Et les communistes ?
M. Alain Bocquet. La guerre de George Bush est une aventure non seulement illégale et illégitime, mais aussi particulièrement dangereuse. On connaît la dimension et la nature de ses conséquences, notamment celles d'une escalade incontrôlable des tensions et du terrorisme. Une telle attitude irresponsable ouvre la porte à tous les excès. Nous pensons aussi aux destructions et aux souffrances nouvelles infligées au peuple irakien, déjà victime de la dictature sanglante de Saddam Hussein et de l'embargo. Des enfants, des femmes, des vieillards et des hommes innocents vont périr sous des bombes, dans le fer et le feu.
Monsieur le Premier ministre, nous avons apprécié, vous le savez, la ténacité et la fermeté de la France avec les soutiens d'autres pays pour éviter le désastre annoncé et pour que le désarmement de l'Irak se fasse par des voies pacifiques. L'actualité dramatique que nous vivons met d'ailleurs en exergue la nécessité d'un désarmement généralisé.
Aujourd'hui, nous entrons dans une phase nouvelle, celle d'une guerre présentée comme imminente. Nous ne pouvons nous y résigner et accepter que s'instaure un monde unipolaire où régnerait la loi de la jungle et du plus fort, ce qui ferait basculer le monde dans le gouffre de l'horreur. Des millions de personnes en France, en Europe et ailleurs attendent de la France qu'elle poursuive son engagement jusqu'au bout pour faire triompher la voix de la raison, du droit et de l'intérêt de l'ensemble de la communauté internationale en prenant toutes les initiatives qui sont encore possibles et en refusant toute contribution, si minime soit-elle, à l'entreprise guerrière américaine.
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
M. Alain Bocquet. Je souhaite donc vous demander, monsieur le Premier ministre, ce que le Gouvernement compte entreprendre immédiatement pour contribuer à enrayer la logique de guerre. Dans cette crise majeure des relations internationales,...
Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
M. François Liberti. De la dignité, s'il vous plaît !
M. Alain Bocquet. ... l'Organisation des Nations unies a fait, comme rarement, la démonstration de son rôle irremplaçable pour opposer à l'usage de la force et à l'arrogance de la puissance brute la voix des peuples et la recherche de solutions pacifiques.
M. Hervé de Charette. Arrêtez le baratin !
M. Alain Bocquet. Ne faut-il pas, dans cet esprit, que la question de la paix et de la guerre fasse l'objet d'une réunion exceptionnelle de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations unies ? Nous proposons également, monsieur le président, qu'une adresse du Parlement français soit immédiatement transmise à tous les parlements des pays européens et du monde pour peser dans le sens de la paix.
Plus que jamais, et jusqu'au bout, le refus de la fatalité de la guerre doit s'exprimer avec la plus grande détermination. La France, qui a joué un rôle actif dans cet esprit, doit y contribuer par ses initiatives. Elles sont attendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Permettez-moi, monsieur le président, de vous remercier d'avoir, par cette nouvelle forme de présentation des questions, permis l'expression de l'unité nationale derrière les positions de la France, celles du Président et de notre diplomatie.
La guerre n'est pas déclarée et, jusqu'au bout, nous nous battrons pour la paix, pour les principes et les convictions qui ont guidé la démarche de la France dans ces terribles circonstances. Nous avons entendu l'ultimatum de quarante-huit heures qui a été adressé par le Président des Etats-Unis. Malgré cela, nous continuons à défendre les principes et à affirmer les convictions qui sont celles de la France. C'est le message qu'a formulé, il y a quelques heures, M. le Président de la République, c'est le message de la France, mais c'est aussi, aujourd'hui, celui d'une majorité de nations dans le monde.
C'est d'abord le message de la légalité internationale. Nous voyons combien notre monde a besoin de règles internationales, et qu'elles soient respectées.
L'ONU, qui a été construite, ne l'oublions pas, pour faire en sorte que les générations futures soient préservées du « fléau de la guerre », selon les mots de sa charte constitutionnelle, doit rester le lieu du droit international, et le Conseil de sécurité la seule instance à pouvoir autoriser l'emploi de la force. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
M. Emile Zuccarelli. Très bien !
M. le Premier ministre. C'est pourquoi nous sommes très engagés dans la défense de l'Organisation des Nations unies et du Conseil de sécurité. Nous voulons dire très clairement au monde que, pour la France, il ne peut y avoir d'engagement unilatéral de la force sans risque de fragiliser ce lieu de paix, ce lieu de droit qu'est l'Organisation des Nations unies. C'est un engagement en faveur du droit, en faveur de la légalité internationale.
Deuxième grand principe, deuxième grande conviction, nous pensons que, à l'occasion de cette crise, l'Organisation des Nations unies a trouvé une forme pertinente de lutte contre le terrorisme et contre la prolifération : la démarche des inspections. Nous regrettons profondément qu'elle ne puisse aller à son terme, car elle produit des résultats. Elle a ainsi conduit le dictateur de l'Irak, pour lequel nous n'éprouvons aucune sympathie, à détruire plus de 70 missiles Al-Samoud. Nous avons vu que cette démarche des inspections est la démarche alternative à celle de la guerre : elle produit des résultats. C'est pourquoi la France a proposé, et continue de proposer, que l'on donne du temps aux inspections pour permettre ce désarmement de l'Irak, qui est l'objectif commun. La voie des inspections, redisons-le, est une alternative à la guerre. C'est là un principe, une conviction, que la France a développés et pour lesquels elle a, vous le savez, nourri de nombreuses propositions.
Enfin, je voudrais dire combien il nous paraît dangereux aujourd'hui d'engager la force de manière unilatérale pour trouver, aux yeux des Américains, une réponse au 11 septembre. Pour nous, cette guerre n'est pas la bonne réponse à ces attentats, à l'occasion desquels nous avons partagé la révolte et partagé la solidarité. Mais la guerre qu'il faut aujourd'hui mener, c'est celle contre le terrorisme et la prolifération. Cette bataille-là exige l'unité de la communauté internationale, et elle exige que le Conseil de sécurité soit le lieu du droit. Car, autrement, comment empêcherons-nous que, dans le monde entier, un certain nombre de représentants de causes diverses se sentent, dans la position d'agressés, le droit d'engager des démarches terroristes et de menacer leur monde, le monde, notre monde, d'autant que le terrorisme est aujourd'hui, nous le savons, beaucoup plus dangereux, dans la mesure où les armes sont beaucoup plus accessibles et où il peut avoir une efficacité terrifiante avec des équipes beaucoup plus réduites.
Dans notre lutte contre le terrorisme, nous avons besoin de l'union de tous les peuples et de l'ONU pour vraiment faire en sorte que, partout dans le monde, on mesure les effets de la prolifération. C'est pour cela que, si nous disons clairement que nous n'avons aucune sympathie pour le régime irakien, aucune sympathie pour ce dictateur et que nous voulons la suppression des armes de destruction massive qui sont en Irak, nous pensons que la voie choisie de manière unilatérale n'est pas la voie appropriée à cet objectif de la communauté internationale. La preuve en est que, pour leur démarche, les Etats-Unis n'ont pas réuni une majorité.
Nous voulons continuer dans cette direction qui nous paraît très importante. Je réaffirme ici ce que le Président de la République a dit haut et fort : nous restons les alliés des Etats-Unis. Ce n'est pas parce que nous ne voulons participer à cette guerre que nous sommes en guerre contre les Etats-Unis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Nous avons aujourd'hui des désaccords importants, mais l'amitié que nous portons au peuple américain, la gratitude qui est la nôtre pour le sang versé par les Américains...
M. Alain Marsaud. Très bien !
M. le Premier ministre. ... nous autorisent à cette franchise, à cette sincérité qui nous permet de leur dire que cette guerre n'est pas la réponse appropriée à la situation de trouble que connaît le monde. C'est cette amitié qui nous permet de dire aux Américains qu'il faut une alternative à la guerre. Nous le dirons jusqu'à la dernière heure, parce que c'est notre conviction, parce que ce sont nos principes.
Messieurs Bocquet, Douste-Blazy, Ayrault et Folliot, j'ai entendu vos inquiétudes, j'ai entendu le message fort que les uns et les autres partagent au nom de la nation française. J'ai entendu vos inquiétudes pour l'Organisation des Nations unies. Sachez que nous nous battrons pour faire en sorte que si la guerre, hélas ! se fait sans les Nations unies, voire contre elles, la paix, elle, se construise au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous mettrons toute notre énergie pour faire en sorte que ni l'OTAN ni la construction européenne ne soient fragilisées par cette crise mondiale. Vous m'avez interrogé sur les démarches qui avaient été les nôtres et qui seront les nôtres. Nous avons veillé - et j'ai personnellement veillé - à rester en contact permanent avec l'ensemble des Premiers ministres de l'Union européenne, afin de leur faire part de nos divergences sur la situation internationale, mais tout en insistant sur notre volonté de défendre avec conviction notre projet européen. J'espère, et je crois aujourd'hui possible, qu'en ce qui concerne la Convention pour l'avenir de l'Europe, par exemple, un mouvement de rapprochement s'engagera entre la proposition franco-allemande et la proposition hispano-britannique. Nous avons mené des contacts pendant toute cette période pour faire en sorte qu'en aucune façon ni l'Espagne ni le Royaume-Uni n'apparaissent comme des adversaires de la France, malgré nos désaccords sur cette crise. Nous veillons évidemment à ce que la construction européenne puisse trouver dans ces difficultés des forces nouvelles pour assumer son avenir. Mais, nous le savons, ni l'histoire ni la géographie n'ont rendu l'Europe naturelle : c'est la capacité de surmonter les diversités, la capacité de surmonter les difficultés qui ont permis à l'Europe d'affirmer son avenir. C'est dans cette voie que nous nous engagerons, les jours prochains, au Conseil européen.
Notre engagement pour la paix est d'une extrême fermeté. Notre engagement pour l'Europe est d'une égale extrême fermeté. Je tiens à vous dire clairement aujourd'hui que, si la France est déterminée à parler franchement à ses alliés, elle est tout aussi déterminée à ne pas se tromper d'adversaire. La France n'est pas du jour au lendemain devenue militante du pacifisme. La France est militante, comme elle l'a toujours été, des droits de l'humanité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Données clés

Auteur : M. Alain Bocquet

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 19 mars 2003

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