Question orale n° 1520 :
travailleurs du spectacle

12e Législature

Question de : M. Bruno Le Roux
Seine-Saint-Denis (1re circonscription) - Socialiste

M. Bruno Le Roux souhaite attirer l'attention de M. le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes sur l'activité des sociétés dites de « roading » ou de manutention qui ont pour objet de mettre à la disposition d'entreprises du spectacle vivant, par le biais de contrats de prestation de service, des salariés manutentionnaires (dénommés « roads » ou techniciens de plateau), afin de procéder non seulement au chargement et au déchargement de camions transportant le matériel nécessaire à la représentation d'un spectacle, mais aussi et surtout à la mise en place de ce matériel sur le lieu du spectacle. Aux termes de l'article L. 125-3 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite, sous peine de sanctions pénales, si elle ne s'effectue pas dans le cadre du travail temporaire. Seuls les prestataires de service effectivement spécialisés localement dans la fourniture de cette main-d'oeuvre particulière sont en mesure de recruter les personnes qualifiées et d'en garantir le savoir-faire spécifique. Néanmoins, et ainsi qu'il résulte d'une de ses réponses « la frontière entre le contrat de prestation de services et le prêt illicite de main-d'oeuvre, qui découle pour l'essentiel de la jurisprudence, n'est pas sans ambiguïté, ce qui place fréquemment les sociétés de services dans une situation d'insécurité juridique ». Dès lors, il lui demande s'il envisage de mieux définir les limites du prêt de main-d'oeuvre illicite, au regard notamment de la situation particulière des entreprises de « roading ».

Réponse en séance, et publiée le 29 mars 2006

SITUATION JURIDIQUE
DES SALARIES MANUTENTIONNAIRES
DES ENTREPRISES DU SPECTACLE

M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux, pour exposer sa question, n° 1520.
M. Bruno Le Roux. J'appelle l'attention sur un problème spécifique et complexe : l'activité des sociétés dite de roading ou de manutention, qui ont pour objet de mettre des salariés manutentionnaires à la disposition d'entreprises du spectacle vivant, par le biais de contrats de prestation de service, afin de procéder non seulement au chargement et au déchargement de camions transportant le matériel nécessaire à la représentation d'un spectacle, mais aussi et surtout à la mise en place de ce matériel sur le lieu du spectacle.
Aux termes de l'article L. 125-3 du code du travail, toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d'oeuvre est interdite sous peine de sanctions pénales, si elle ne s'effectue pas dans le cadre du travail temporaire.
Or, bien qu'elle consiste à mettre du personnel à la disposition d'une entreprise, l'activité des entreprises de roading ne semble pourtant pas constituer du prêt de main-d'oeuvre illicite, le contrat souscrit par l'entreprise utilisatrice devant avoir pour objet l'exécution d'une tâche nettement définie qu'elle ne peut accomplir elle-même pour des raisons d'opportunité économique ou de spécialité technique.
Les techniciens de plateau ne sont pas des manutentionnaires sans qualification et interchangeables que l'entreprise utilisatrice pourrait recruter elle-même. Il faut savoir en effet que l'activité des entreprises de spectacle vivant est marquée par la nécessité de travailler dans l'urgence et l'éphémère, le spectacle n'étant bien souvent représenté dans un même lieu qu'une seule soirée.
Le Stade de France se trouvant dans ma circonscription, je connais bien les moyens que nécessite l'organisation d'un spectacle, fût-ce pour un ou deux jours. Une simple défaillance dans le montage peut avoir des conséquences irrémédiables, comme l'annulation d'un spectacle. De plus, le matériel du spectacle, qui est devenu très spécifique, ne peut être manipulé que par des professionnels qui en connaissent la fragilité et le maniement, ainsi que le vocabulaire spécifique.
En conséquence, il est indispensable que les manutentionnaires aient une réelle qualification pour accomplir ce type de tâche. Leur situation correspond donc bien au critère de spécificité technique dégagé par les juges.
Par ailleurs, l'entreprise de spectacle ne peut embaucher de tels salariés, dans la mesure où la nécessité d'éviter toute défaillance le jour du montage du spectacle interdit la mise à l'essai préalable des salariés ou leur remplacement. Chacun doit accomplir sa mission à la perfection et dans les délais requis, afin que le montage et le démontage soient accomplis en quelques heures. De plus, les entreprises du spectacle, tout comme les entreprises de travail temporaire, n'ont aucune aptitude pour rechercher et recruter temporairement ces salariés dans les différents points de France où sont organisés les spectacles. En définitive, seuls les prestataires de service spécialisés localement dans la fourniture de cette main-d'oeuvre particulière sont en mesure de recruter les personnes qualifiées et d'en garantir le savoir-faire spécifique.
Il résulte d'une réponse déjà apportée par le Gouvernement que " la frontière entre le contrat de prestation de services et le prêt illicite de main-d'oeuvre, qui découle pour l'essentiel de la jurisprudence, n'est pas sans ambiguïté, ce qui place fréquemment les sociétés de services dans une situation d'insécurité juridique. "
Dès lors, j'aimerais savoir si le Gouvernement envisage de mieux définir les limites du prêt de main-d'oeuvre illicite, au regard notamment de la situation d'insécurité que connaissent aujourd'hui de nombreux organisateurs de spectacles quand ils font appel aux sociétés particulières de roading.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.
Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, vous appelez l'attention du Gouvernement sur la situation des entreprises de manutention dont l'activité consiste à mettre à la disposition d'entreprises du spectacle vivant, dans le cadre de contrats de prestations de services, des salariés qui procèdent au chargement et déchargement des camions transportant le matériel nécessaire au spectacle, mais aussi à sa mise en place sur le lieu du spectacle.
Vous vous êtes interrogé sur la situation de ces entreprises au regard de l'interdiction du prêt de main-d'oeuvre, en rappelant les termes que mon collègue Gérard Larcher a utilisés devant vous pour déterminer la frontière entre le contrat de prestation de service et le prêt illicite de main-d'oeuvre.
Si la frontière entre l'un et l'autre n'est pas sans ambiguïté, il n'en demeure pas moins que, sur la définition du prêt illicite de main-d'oeuvre, la jurisprudence est, elle, particulièrement stable. Les critères permettant d'établir l'existence d'une prestation de service sont précisés depuis longtemps. Pour reconnaître la licéité de l'opération, le juge recherche si le prêt de main-d'oeuvre est la conséquence nécessaire de la réalisation de la prestation convenue entre les deux entreprises. Pour cela, il va utiliser la technique du faisceau d'indices et examiner divers éléments. Ce n'est qu'après leur examen qu'il conclura à l'existence soit d'une prestation de service soit d'un prêt de main-d'oeuvre illicite.
Toutefois, en dépit du caractère stable et précis de la jurisprudence, le rôle décisif du juge face à certaines situations me paraît justifier l'engagement d'une réflexion sur la définition par la loi des critères du prêt de main-d'oeuvre licite. Une telle définition serait en effet de nature à sécuriser la relation entre les entreprises, notamment pour les plus petites d'entre elles, qui n'ont pas toujours les moyens de connaître une jurisprudence, reconnaissons-le, particulièrement technique.
Une telle réflexion, déjà engagée par les services du ministère, qui porte sur l'une des dispositions les plus anciennes du code du travail, ne peut cependant être menée qu'en concertation étroite avec les partenaires sociaux, la prohibition du prêt de main-d'oeuvre à but lucratif constituant une disposition essentielle à la protection accordée au salarié par le code du travail.
Il me semble en outre qu'une telle réflexion doit intégrer le nécessaire examen des moyens d'assurer aux salariés des parcours professionnels sécurisés. La mise à disposition d'un salarié auprès d'une autre entreprise à titre provisoire peut en effet être un moyen de faire face à certaines difficultés économiques sans rompre le contrat de travail ou en assurant une transition entre les deux entreprises.
S'agissant des entreprises de roading, dont vous évoquez la situation particulière, il me semble que, en l'état actuel de la jurisprudence, leur activité consistant à mettre des salariés à la disposition d'entreprises de spectacle, le prêt de personnel pourrait être considéré comme étant l'objet exclusif de leurs contrats, ce qui conduirait à caractériser une opération de prêt de main-d'oeuvre illicite. Mais la sécurisation de leur activité paraît pouvoir passer par le développement d'une technicité propre liée à l'activité des entreprises de spectacles qui bénéficient de leurs prestations.
M. le président. La parole est à M. Bruno Le Roux.
M. Bruno Le Roux. Je vous remercie de cette réponse, madame la ministre. Elle s'ajoute à l'abondante jurisprudence qui porte sur la question.
Il va de soi que la spécificité de ce problème, le caractère technique des besoins des industriels du spectacle et la situation particulière des salariés mis à leur disposition n'engagent nullement à revenir sur une disposition qui, aujourd'hui, protège les salariés. Il s'agit seulement de la reconsidérer dans le cadre spécifique de l'organisation d'événements particuliers.
Quoi qu'il en soit, je prends note de la décision d'ouvrir une réflexion à ce sujet et j'en suivrai l'avancée avec attention.

Données clés

Auteur : M. Bruno Le Roux

Type de question : Question orale

Rubrique : Arts et spectacles

Ministère interrogé : emploi, travail et insertion professionnelle des jeunes

Ministère répondant : emploi, travail et insertion professionnelle des jeunes

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 mars 2006

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