Question orale n° 1625 :
francophonie

12e Législature

Question de : M. Bruno Bourg-Broc
Marne (4e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

Les entreprises françaises se sont considérablement développées hors de France et y emploient de très nombreux salariés. Cette situation, chance économique pour notre pays, pourrait être une chance pour le développement de la langue française. Telle est la raison pour laquelle, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, un amendement a été déposé. Le dispositif proposé consistait à permettre aux entreprises françaises, qui financent un enseignement du français ouvert aux salariés non francophones de leurs filiales ou succursales étrangères, de couvrir cette charge. À cet effet, il était suggéré de leur attribuer un crédit d'impôt égal à 90 % des frais engagés. Ces frais étaient naturellement plafonnés de deux manières par un montant annuel de dépenses par personne et un nombre en pourcentage de l'effectif. Présenté à l'Assemblée nationale comme au Sénat, cet amendement n'a pas été adopté. Or, dans les implantations étrangères hors des pays membres de la francophonie, peu de salariés d'entreprises françaises connaissent spontanément le français et il ne saurait s'agir, pour les entités d'entreprises françaises, de poser une telle exigence lors du recrutement, sans se pénaliser sévèrement. Localement, on se limite donc à pousser les salariés non francophones à renforcer leur connaissance de l'anglais, vécu comme une langue de communication intragroupe, ou bien à leur apprendre cette langue lorsqu'ils ne la connaissent pas encore. L'apprentissage du français est assimilé à une dépense sans contrepartie. Cette approche utilitaire nuit au développement du français. Comment vaincre cette réticence ? L'idée est donc d'assumer le coût en France de l'enseignement du français. Pour que la maison mère le prenne en charge, il est proposé de lui accorder ce crédit d'impôt la défrayant largement. Ainsi les salariés non francophones se verraient offrir un enseignement gratuit pour eux et leur entreprise locale. On ne peut pas en tout cas ne pas prendre à bras le corps ce sujet. Si les autorités publiques concourent à financer raisonnablement les dépenses d'enseignement du français à l'égard des fonctionnaires des nouveaux États membres de l'Union européenne, pourquoi ne pas utiliser également la voie des entreprises privées ? M. Bruno Bourg-Broc souhaite donc appeler l'attention de Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie sur la nécessité d'encourager les entreprises françaises installées à l'étranger à offrir à leurs salariés locaux non francophones la possibilité d'apprendre le français.

Réponse en séance, et publiée le 31 mai 2006

FINANCEMENT DE L'ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS AUX SALARIES NON FRANCOPHONES DES ENTREPRISES INSTALLEES A L'ETRANGER

M. le président. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc, pour exposer sa question, n° 1625, relative au financement de l'enseignement du français aux salariés non francophones des entreprises installées à l'étranger.
M. Bruno Bourg-Broc. Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, les entreprises françaises se sont considérablement développées hors de France et y emploient de très nombreux salariés. Cette chance économique pourrait aussi être une chance pour le développement de la langue française. Or ce n'est pas le cas.
Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, j'avais déposé un amendement destiné à permettre aux entreprises françaises qui financent un enseignement du français ouvert aux salariés non francophones de leurs filiales ou succursales étrangères de couvrir cette charge. À cet effet, il était suggéré de leur attribuer un crédit d'impôt égal à 90 % des frais engagés, ces frais étant naturellement plafonnés. Présenté à l'Assemblée nationale comme au Sénat, l'amendement n'a pas été adopté, le Gouvernement y étant défavorable. Il me semble cependant que les objections formulées à son encontre ne closent pas le débat ; en clair, elles ne m'ont pas convaincu.
Dans les implantations étrangères situées hors des pays membres de la francophonie, peu de salariés d'entreprises françaises connaissent spontanément le français. Les entreprises ne sauraient en effet poser une telle exigence sans se pénaliser sévèrement. Localement, on se limite donc à pousser les salariés non francophones à renforcer leur connaissance de l'anglais, conçue comme une langue de communication intragroupe, ou bien à leur apprendre cette langue lorsqu'ils ne la connaissent pas encore. L'apprentissage du français est, quant à lui, assimilé à une dépense sans contrepartie. Cette approche utilitaire nuit naturellement au développement de notre langue.
Comment vaincre cette résistance ?
Je vous soumets l'idée d'assumer, en France, le coût de l'enseignement du français. Pour que la maison mère le prenne en charge, je propose de lui accorder un crédit d'impôt la défrayant largement. Ainsi, les salariés non francophones se verraient offrir un enseignement gratuit pour eux et leur entreprise locale.
Nous devons prendre ce sujet à bras-le-corps, madame la ministre. Si les autorités publiques concourent à financer raisonnablement les dépenses d'enseignement du français aux fonctionnaires des nouveaux États membres de l'Union européenne - et ce n'est pas vous, madame Colonna, qui me démentirez -, pourquoi ne pas utiliser également la voie des entreprises privées ? La délocalisation des entreprises, probablement en partie nécessaire, est souvent critiquée. Au lieu de nous lamenter sur ce mouvement, tentons au moins d'en faire un atout pour la pratique et la connaissance du français.
Au-delà de cette proposition, il est nécessaire d'associer les entreprises françaises au développement de notre langue. Les bonnes volontés ne manquent pas : donnons-leur un instrument simple et incitatif. À cet égard, le levier fiscal est le plus efficace et le plus séduisant.
Telle est la question que je désirais poser à Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée aux affaires européennes.
Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes. Monsieur le député, Brigitte Girardin, en déplacement en Guinée, vous prie de bien vouloir excuser son absence.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2006, vous aviez en effet proposé un crédit d'impôt pour encourager les entreprises françaises à organiser, dans leurs filiales à l'étranger, des formations en français au bénéfice des cadres locaux. Comme vous venez de le rappeler, cette mesure n'a pas été adoptée. Néanmoins, et vous l'avez très justement souligné, le développement des entreprises françaises à l'étranger doit accompagner la promotion de notre langue. Francophonie et francophilie peuvent en effet favoriser l'ouverture de nouveaux marchés et de nouveaux débouchés pour les produits français.
C'est pourquoi le ministère des affaires étrangères a lancé, en avril, en partenariat avec l'Alliance française, la chambre de commerce et d'industrie de Paris et le forum francophone des affaires, une initiative intitulée " Oui, je parle français " qui vise à favoriser une meilleure connaissance de nos actions hors de France et à recueillir l'expression des attentes du secteur privé.
Cette question s'avérant de première importance, le ministère des affaires étrangères a donc, au préalable, mené une enquête, entre février et avril 2006, auprès de soixante-dix-huit filiales d'entreprises françaises implantées à l'étranger dans trente-trois pays. Il en résulte - et les chiffres sont très clairs -, que 99 % des filiales interrogées pensent que les entreprises ont un rôle à jouer dans le rayonnement de la France à l'étranger ; 59 % d'entre elles ont d'ailleurs déjà participé à un projet culturel en partenariat avec les services de telle ou telle ambassade de France.
Cette enquête révèle aussi que, pour 41 % des filiales interrogées, la connaissance du français entre en ligne de compte lors du recrutement des salariés locaux ; pour 24 %, c'est même une condition expresse du recrutement des cadres. Au total, la connaissance du français entre en ligne de compte lors du recrutement dans 65 % des filiales interrogées.
La filiale de PSA en Slovaquie en offre un bon exemple puisque l'apprentissage du français - et j'ai pu le vérifier -, y est l'une des conditions d'embauche. PSA offre des cours de français intensifs à ses salariés ; l'institut français de Bratislava a ainsi pu former plus de 800 personnes l'an dernier. L'emploi de la langue française en interne, au sein de la filiale, est essentiel pour 69 % des directeurs de filiales, alors interrogés à titre personnel. Cependant, seules 36 % des filiales utilisent le français comme l'une des langues de travail en interne et la tendance est plutôt à l'utilisation conjointe du français et de l'anglais afin de ne pas exclure les cadres locaux qui ne seraient pas francophones.
Lorsque le siège du groupe est français, la maîtrise de la langue française représente un plus pour les cadres de la filiale en termes d'évolution des carrières. Au total, la pratique du français influe donc sur la mobilité des salariés locaux dans 72 % des cas ; 55 % des filiales proposent des cours en français à leur personnel - c'est un chiffre intéressant -, 40 % d'entre elles sont impliquées dans le financement d'une formation francophone ou d'une école mise en place par les instances éducatives françaises. Nombreux sont donc les groupes qui sont conscients de l'importance de l'apprentissage, mais aussi de l'usage du français comme vecteur de formation et de fidélisation des personnels autour d'une culture partagée.
Monsieur le député, le ministère des affaires étrangères partage donc votre conviction que l'approche des enjeux de la formation linguistique et professionnelle doit être renforcée, voire renouvelée. Parmi les suites données à cette initiative pour encourager les entreprises françaises installées à l'étranger à offrir à leurs salariés locaux non francophones la possibilité d'apprendre le français figurent notamment la diffusion des bonnes pratiques relevées chez les filiales à l'étranger d'entreprises françaises, la mise au point d'offres de formation en français et le développement d'approche incitative pour encourager la francophonie dans le fonctionnement interne des entreprises par la formation en français de leurs salariés recrutés locaux.
Si vous me le permettez, monsieur le député, j'invite les parlementaires qui le désireraient à parrainer cette initiative " Oui, je parle français " également ouverte aux personnalités élues ou issues de la société civile.
M. le président. La parole est à M. Bruno Bourg-Broc.
M. Bruno Bourg-Broc. Je vous remercie, madame la ministre, des informations que vous avez bien voulu me donner ou confirmer.
Je retiens la volonté du Gouvernement, que vous venez de réaffirmer, de développer l'usage du français y compris dans les entreprises implantées à l'étranger. Vous comprendrez bien, toutefois, que votre réponse ne peut pas me satisfaire au fond parce que l'initiative que vous avez rappelée existe effectivement, mais s'avère largement insuffisante. Il faut être d'autant plus volontaire que les entreprises ne le sont pas toujours, car ce n'est pas la première préoccupation pour nombre d'entre elles. L'incitation fiscale me paraît être une bonne solution, même si ce n'est peut-être pas l'unique. Le Gouvernement peut, du reste, en fixer les modalités. Il ne faut plus que l'on puisse dire, madame la ministre, que l'anglais est la langue des entreprises. Au demeurant, ce sont avant tout les hommes qui font vivre l'entreprise.

Données clés

Auteur : M. Bruno Bourg-Broc

Type de question : Question orale

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : coopération, développement et francophonie

Ministère répondant : coopération, développement et francophonie

Date : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue au Journal officiel du 30 mai 2006

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