Question orale n° 1748 :
courrier

12e Législature

Question de : M. Jacques Brunhes
Hauts-de-Seine (1re circonscription) - Député-e-s Communistes et Républicains

M. Jacques Brunhes attire l'attention de M. le ministre délégué à l'industrie sur les nombreux problèmes qui affectent le service public postal dans sa circonscription des Hauts-de-Seine comprenant Gennevilliers, Colombes et Villeneuve-la-Garenne et d'une manière générale dans tout le pays. C'est ainsi que les quartiers populaires urbains et les territoires ruraux sont particulièrement concernés par la dégradation des conditions d'accueil et de traitement des usagers ainsi que par des dysfonctionnements divers qui peuvent aller jusqu'à la non-distribution du courrier en raison de l'adressage. Il en découle de graves conséquences pour nos concitoyens... C'est le résultat de la logique marchande qui suit l'ouverture à la concurrence des activités postales imposées par la commission européenne entraînant suppression d'emplois, aggravation des conditions de travail et un service minimum. Dans ce contexte, il lui demande d'une part, s'il compte s'opposer au projet de directive européenne visant la libéralisation totale de ce secteur adopté le 18 octobre dernier, seul moyen de sauvegarder ce service public et d'autre part ce qu'il compte faire pour améliorer les services rendus aux usagers dans sa circonscription et ailleurs en France.

Réponse en séance, et publiée le 6 décembre 2006

DYSFONCTIONNEMENTS DE LA POSTE
DANS LES HAUTS-DE-SEINE

M. le président. La parole est à M. Jacques Brunhes, pour exposer sa question, n° 1748, relative aux dysfonctionnements de La Poste dans les Hauts-de-Seine.
M. Jacques Brunhes. Monsieur le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, par une question écrite posée le 23 mai dernier, j'avais fait part à M. le ministre délégué à l'industrie d'un problème, que pose, dans ma circonscription, la non-distribution par La Poste des courriers dont l'adresse ne comporte pas le numéro d'appartement. Sa réponse du 8 août dernier n'étant pas claire, je l'ai donc à nouveau interrogé par courrier le 2 octobre. J'ai reçu hier sa réponse. Je sais gré à M. le ministre délégué à l'industrie de l'attention qu'il porte à ce dossier et je vous demande, monsieur le ministre, de bien vouloir lui transmettre mes remerciements.
Néanmoins je ne trouve pas cette nouvelle réponse plus satisfaisante que la précédente. En effet le ministre y indique d'une part que la norme française AFNOR de 1997, qui définit la bonne rédaction des adresses, prévoit la mention de tous les éléments nécessaires à la localisation du destinataire ; et, d'autre part, que la Poste mène une campagne nationale pour un adressage de qualité.
Ces réponses font abstraction du fait que les annuaires courants ne comportent que très rarement le numéro d'appartement, lequel ne figure pas davantage sur les pièces officielles - carte d'identité, carte grise - ce qui rend difficile le respect par l'expéditeur de la norme française. Surtout, je ne sais toujours pas si La Poste est autorisée ou non à refuser de distribuer un courrier pour ce motif, notamment au regard de ses obligations commerciales. Selon M. Loos la norme élaborée par l'AFNOR n'est pas obligatoire et n'a pas fait l'objet d'un texte réglementaire. D'ailleurs le fait que certains courriers, tels que les déclarations d'impôts sur le revenu, qui ne portent pas non plus la mention du numéro d'appartement, parviennent toujours à leur destinataire, montre bien qu'il n'y a aucune impossibilité technique. Par ailleurs, comment expliquer que ce problème est d'origine récente alors que la norme française date de 1997 ?
La vraie réponse, monsieur le ministre, c'est que de nombreux dysfonctionnements - les facteurs et agents postaux n'y sont pour rien - sont intimement liés à l'ouverture à la concurrence des activités postales que la Commission européenne s'évertue à imposer depuis plus d'une décennie, et qui est désormais consacrée dans le droit français pour une part importante de ce marché. Début 2006, l'envoi des plis dépassant 50 grammes a été libéralisé, après celui des plis de plus de 350 grammes puis celui des plis de plus de 100 grammes. La Commission européenne a confirmé, dans un projet de directive, le 18 octobre, la date du 1er janvier 2009 comme échéance de l'ouverture globale du marché postal.
Cette libéralisation signifie de fait le remplacement du service public par un service universel régi par les lois du marché, la rentabilité financière, la compétitivité, la performance, et par des restructurations se traduisant forcément par la réduction des effectifs, la diminution des droits des salariés et ceux des usagers. L'exemple suédois où le monopole de la poste a été supprimé en 1993 est révélateur à cet égard : en dix ans le prix du timbre a doublé, le nombre des bureaux de poste a été divisé par cinq et près de 3 000 points poste ont été installés dans des supérettes ou des stations service ; 30 000 des 70 000 emplois de l'entreprise publique ont disparu. En Allemagne l'évolution a été analogue.
La déréglementation des services postaux et des économies de gestion résultant d'une approche strictement marchande, entraînent inévitablement des entorses à l'égalité d'accès au service public et à l'égalité tarifaire, comme les maires ruraux ont eu l'occasion de le souligner, notamment lors du congrès des maires de France.
Pire, si le projet de directive du 18 octobre de libéralisation totale du marché était appliqué, il en résulterait un accroissement des tarifs pour les particuliers et une inégalité de traitement tarifaire entre les régions à forte densité de population et les autres, la mort du service public en somme.
La non-distribution du courrier dans ma circonscription, à population modeste et aux nombreux quartiers sensibles, s'inscrit dans le même mouvement. Lorsque les emplois stables sont remplacés par les contractuels précaires et à temps partiels, lorsque les sous-effectifs entraînent le recours fréquent aux remplaçants, lorsque performance et rentabilité sont les valeurs suprêmes, comment trouver le temps pour localiser le destinataire ? Les temps sont en effet loin où le postier, habitué à son quartier, aux immeubles qu'il desservait, n'avait pas trop de mal à effectuer la distribution malgré l'absence du numéro de l'appartement.
Les conséquences en sont graves. Ainsi je reçois régulièrement à ma permanence des concitoyens qui se plaignent des majorations pour des amendes qu'ils n'avaient jamais reçues - l'un d'eux m'écrit même, avec un certain humour, " pour les contraventions, on pourra faire un procès à La Poste, puisqu'il n'y a pas de numéro d'appartement sur les cartes grises. "
Parfois cela est beaucoup plus grave : des convocations aux examens ou à un entretien d'embauche n'ont jamais été reçues. Par exemple l'une des lettres qui m'a été envoyée à ce sujet indique : " Le dernier courrier retourné venait du conseil général des Hauts-de-Seine et concernait le maintien à domicile pour ma mère âgée de quatre-vingt-treize ans, courrier expédié le 12 juillet après enquête de l'APA et retourné et reçu, après réexpédition, la deuxième semaine de septembre. "
Ce sont des emplois que l'on perd, des examens que l'on ne passe pas, des résultats de suivi médical ou des réponses de demandes de maintien à domicile jamais parvenus. Cela est d'autant plus préoccupant que les usagers les plus touchés sont toujours les plus vulnérables, ceux qui habitent les quartiers les moins favorisées.
Je vous pose donc trois questions.
La Poste est-elle autorisée ou non à refuser de distribuer un courrier pour défaut de mention du numéro de l'appartement ?
Entendez-vous vous opposer au projet de directive de libéralisation totale du marché ?
Il y a deux poids deux mesures. Les attentes aux guichets, les anomalies de distribution, c'est dans les bureaux des quartiers populaires qu'on les subit. Ces problèmes n'existent pas dans les beaux quartiers. Que comptez-vous faire pour améliorer les services rendus aux usagers partout en France, notamment dans les régions ou les quartiers les plus vulnérables ?
M. le président. Monsieur Brunhes, la longueur de votre question ne laisse plus beaucoup de temps au ministre pour vous répondre !
La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme de l'État.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, quel que soit le respect que j'ai pour vous, je m'étonne de vous voir transformer cette procédure des questions orales en un débat de politique générale. Cela est extrêmement frustrant pour moi car j'aurais beaucoup à répondre puisque vous avez fait des procès d'intention à peu près à tous les étages.
Comme vous le savez, la loi de régulation des activités postales du 20 mai 2005 définit les missions de La Poste en affirmant que le " service de distribution est effectué, dans des installations appropriées, au domicile de chaque personne physique ou morale, ou par dérogation, dans des conditions déterminées par décret ". Ces missions, La Poste et ses agents les mènent au quotidien avec responsabilité et exigence.
Il est vrai que, dans certains cas de figure, particulièrement en habitat collectif, l'absence de données précises sur l'enveloppe, tel que le numéro d'immeuble ou d'appartement, rend la distribution du courrier particulièrement complexe.
Ainsi, lorsqu'il est impossible de déterminer exactement où se trouve le destinataire et en l'absence de gardien d'immeuble, La Poste se voit parfois contrainte de suspendre la distribution à domicile. Toutefois, monsieur le député, il s'agit naturellement d'une solution de dernier recours, mise en oeuvre de manière exceptionnelle.
Néanmoins, consciente de ces difficultés, La Poste mène un plan national de communication rappelant aux clients émetteurs et destinataires l'importance d'un adressage de qualité. Au plan local, les responsables de La Poste travaillent avec les autorités communales, en concertation avec les collectivités, les bailleurs et les résidents pour permettre l'identification sans ambiguïté de tous les accès aux immeubles collectifs.
Cet attachement au bon fonctionnement du service public postal, a un prix abordable sur l'ensemble du territoire, est une préoccupation constante du Gouvernement. Dans ces conditions, la France entend participer activement à la négociation sur la troisième directive postale. C'est dans ce cadre que François Loos a adressé, le 13 novembre 2006, un courrier à M. McCreevy, membre de la Commission européenne chargé du marché intérieur et des services, pour lui signifier que, si les garanties du financement du service universel en France n'étaient pas réunies, la France pourrait demander le report de la date de libéralisation du marché postal.
En effet, un service universel de qualité, à un prix abordable sur l'ensemble du territoire implique un financement efficace. Le " secteur réservé " a fait ses preuves, en France comme dans plusieurs États membres, et permis de financer le surcoût des charges induites par la fourniture du service universel. Or, à l'heure actuelle, l'efficacité des solutions alternatives de financement proposée dans le projet de la commission de libéralisation n'est pas démontrée, c'est pourquoi il convient de trouver un financement au moins équivalent au dispositif actuel.

Données clés

Auteur : M. Jacques Brunhes

Type de question : Question orale

Rubrique : Postes

Ministère interrogé : industrie

Ministère répondant : industrie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 décembre 2006

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