Question orale n° 214 :
politiques communautaires

12e Législature

Question de : M. Jean-Louis Léonard
Charente-Maritime (2e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Jean-Louis Léonard interpelle Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les périmètres Natura 2000 et les études d'incidence imposées dans le cadre Natura 2000 et instruites par la DIREN. Concernant les périmètres, l'ensemble des usagers s'interroge sur le périmètre Natura 2000 qui sera retenu in fine. En effet beaucoup craignent que le projet de périmètre, proposé pour mener les inventaires biologiques et permettant l'identification d'espèces présentant un intérêt communautaire, ne soit pas modifié même si certaines zones de ce périmètre d'étude ne présentent aucun habitat ou espèces d'intérêt communautaire. Concernant les études d'incidence, lorsque les inventaires biologiques préalables au documents d'objectif n'ont pas été menés, la DIREN demande aux porteurs de projet de faire, c'est-à-dire de financer les investigations complémentaires sur les sites Natura 2000, et formule des demandes excessives à partir de son interprétation du décret 2001 introduisant dans le code rural des études d'incidences Natura 2000. Ainsi, la DIREN considère par exemple que si les espèces communautaires ne fréquentent pas un site, leurs proies peuvent être affectées par les travaux. De même, lorsque les travaux sont éloignés d'un site Natura 2000 de plusieurs kilomètres, cette administration souhaite une appréciation des perturbations sur les espèces et souhaite un suivi scientifique avec la réalisation d'un état initial puis d'un suivi de la recolonisation par la faune aux frais du porteur de projet. Sur le premier point, il souhaiterait avoir l'assurance que les périmètres Natura 2000 seront exclusivement ceux présentant un intérêt communautaire. Concernant le second point, considérant que la législation actuelle donne lieu à de nombreuses interprétation il estime qu'il est urgent de la préciser par des textes réglementaires pour éviter les blocages sur le terrain.

Réponse en séance, et publiée le 19 mars 2003

DÉFINITION DES PÉRIMÈTRES
DES SITES NATURA 2000

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Léonard, pour exposer sa question n° 214, relative à la définition des sites Natura 2000.
M. Jean-Louis Léonard. Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, il n'est pas question pour moi de revenir sur le décret de 2001 et de remettre en route le grand débat sur l'opportunité de la définition des sites Natura 2000, mais je tiens à porter à votre connaissance un certain nombre de dérives préjudiciables non seulement à la réalisation des projets, mais aussi et surtout, au débat qui s'est ouvert - et qui, grâce aux efforts conjugués des élus et des usagers des zones humides concernées par Natura 2000, a débuté dans d'assez bonnes conditions.
Je souhaite attirer votre attention sur deux phénomènes bien précis : tout d'abord, la définition des périmètres, et, ensuite, les études d'incidence qui nous sont imposées.
Il avait été entendu, dès le départ, que les périmètres qui avaient été fixés - je n'irai pas jusqu'à dire arbitrairement, mais en tout cas autoritairement - par le précédent gouvernement, et qui avaient été transmis sans aucune concertation, ne seraient que des périmètres d'étude, voire d'expérimentation. Or, il s'avère, dans les comités de pilotage - et je tiens à souligner que rien qu'en Charente-Maritime, on compte douze sites Natura 2000 et que rien que dans ma circonscription, 17 000 hectares y appartiennent - que la DIREN les considère de plus en plus comme des sites définitifs. Cela voudrait dire que les territoires qui, après études et inventaires, se sont révélés ne présenter aucun intérêt communautaire faunistique ou floristique resteraient dans le périmètre Natura 2000. Cela aurait des conséquences considérables. Tout le monde sait que, lorsqu'ils seront actés par un DOCOB, ces périmètres, devenus sites d'intérêt communautaire, se superposeront aux ZICO et aux ZPS. Ils deviendront donc opposables aux tiers, ce qui signifie que nous ne pourrons plus rien y faire, alors même qu'ils ne présentent aucun intérêt communautaire.
Il est important, madame la ministre, que vous nous précisiez aujourd'hui très clairement qu'il ne s'agit que de périmètres d'étude, et que les périmètres déclarés définitifs seront ceux qui feront complètement abstraction des territoires dont les inventaires auront prouvé qu'ils n'ont aucun intérêt communautaire. Cette précision est essentielle si nous voulons poursuivre la concertation dans de bonnes conditions.
Les études d'incidence donnent lieu également à des dérives qui ont un impact direct sur le coût des projets et leur avancement. Je vais en donner quelques exemples.
Nous devons faire face, sur notre littoral, à des problèmes de défense de nos côtes et de désensablement. Or, aujourd'hui, dans des sites qui ne sont que des « présites » d'intérêt communautaire, c'est-à-dire où n'a été menée aucune étude d'inventaire et pour lesquels aucun document d'objectif n'a été établi, la DIREN, interprétant le texte de 2001, nous impose des études d'incidence et des contraintes considérables, à tel point que, pour un chantier d'un million d'euros, le coût des études se monte à 200, 300, voire 500 000 euros, ce qui n'a pas de sens. Cela décourage les intervenants, les communes et les maîtres d'ouvrage, retarde la réalisation des projets et renchérit considérablement leur coût. Là encore, il va falloir donner des directives très claires. Le texte n'est pas à interpréter : le document d'objectifs ne concerne que les sites d'intérêt communautaire définis par un DOCOB. Sur les autres sites, c'est le droit commun qui s'applique. Je ne vois pas pourquoi les maîtres d'ouvrage auraient à remplacer les opérateurs, et à intégrer dans le coût de leurs ouvrages celui des documents d'objectifs, qu'ils auraient à réaliser sur leurs propres deniers.
Deuxième exemple : l'interprétation de la notion de proximité. Aucun texte n'impose, lorsqu'on a à intervenir sur un site ou un présite d'intérêt communautaire, de mener une étude d'incidence sur un site voisin. Or, dans un courrier de février, la DIREN nous précise qu'il vaut mieux, dans certains cas, faire une étude d'incidence sur un site situé à dix, vingt, voire quelquefois trente kilomètres, que sur le site d'implantation lui-même. Là encore, cela n'a pas de sens. Pour réaliser un projet sur l'île d'Oléron, faudra-t-il mener une étude d'incidence sur l'île de Noirmoutier ou sur le Marais breton ? Cela risque de remettre en cause bon nombre de travaux. Et, dans le cas des travaux de sécurité, nécessités par la défense de nos côtes, qui est l'exemple que j'ai pris, cela peut être castastrophique.
Avec le troisième exemple, nous touchons au ridicule. Selon une autre interprétation de la DIREN, il est recommandé, lorsque des travaux sont à réaliser sur un présite ou un site d'intérêt communautaire, de tenir compte également d'autres sites au titre de la directive « Oiseaux » au motif que là où est prévue l'intervention vivent des oiseaux qui peuvent se nourrir ailleurs. Il est demandé de tenir compte de la perturbation - c'est le mot qui convient ! - que cela va créer dans les sites avoisants.
Comme s'il fallait, pour réaliser des travaux en Charente-Maritime, se préoccuper de la nourriture de migrateurs qui s'en iraient hiverner du côté de Chambéry, et prendre toutes précautions pour ne pas perturber la grenouille de Charente-Maritime, supposée nourrir le héron de Savoie ! Nous sommes en pleine dérive, madame la ministre... Nous avons besoin, pour continuer à engager nos travaux, que les choses soient reprécisées afin d'éviter les interprétations totalement fallacieuses qui sévissent dans certaines directions de l'équipement ou DIREN et retrouver des conditions normales dans notre fonctionnement, mais aussi dans les discussions sur la préparation des documents d'objectifs. Nous attendons avec impatience votre réponse.
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, vous avez appelé mon attention, d'une part, sur le périmètre des sites Natura 2000 et, d'autre part, sur les études d'incidence.
Tout d'abord, je tiens à rappeler qu'en droit français, et ce depuis 1976 - Natura 2000 ne date pas d'aujourd'hui -, les travaux doivent donner lieu à notice ou étude d'impact et qu'aucune espèce protégée ne peut être détruite.
Il est utile de rappeler que Natura 2000 traduit un effort de l'Etat français et de l'Europe pour soutenir les activités humaines permettant la conservation d'espèces et de milieux - autrement dit des habitats - particulièrement riches en terme de biodiversité.
Les habitats et espèces relevant de la directive « habitat » sont d'intérêt communautaire. Ce sont eux, et eux seuls, qui motivent la labellisation du site Natura 2000. Autrement dit, celle-ci ne porte pas sur le site en lui-même, mais en tant qu'élément « porteur » d'habitats et d'espèces.
Cela implique la nécessité de définir des périmètres - on ne peut intervenir partout - fondés sur des données scientifiques objectives.
La délimitation d'un site Natura 2000 est une procédure complexe. Elle traduit le meilleur compromis possible permettant à des habitats naturels et des espèces cohabitant sur un même territoire d'être maintenus sur le long terme.
Bien sûr, d'autres milieux naturels, bien que ne relevant pas de la directive, peuvent aussi être présents dans le site, parce qu'ils jouent un rôle non négligeable dans le fonctionnement de l'ensemble. Ainsi, ils peuvent être présents parce qu'ils renforcent la cohérence interne du site et lui permettent de mieux satisfaire à l'objectif de maintenir - ou de rétablir - dans un état de conservation favorable les habitats naturels et les espèces pour lesquels le site est désigné ; ou parce qu'ils jouent un rôle de relais pour des espèces d'intérêt communautaire lors de leur cycle biologique ou dans le déplacement de populations en transit ou en migration ; ou encore parce qu'ils assurent une cohésion spatiale de l'ensemble des habitats entrant dans le champ de la directive en évitant le morcellement du site.
Le DOCOB - le document d'objectifs - décrit l'état initial de conservation et la localisation des habitats et des espèces d'intérêt communautaire. C'est sur éléments que sont identifiées et concertées les mesures de gestion et de conservation.
Deuxième partie de votre question : vous souhaitez que soit précisée, par des textes réglementaires, la législation relative aux évaluations des incidences, afin de faciliter son application sur le terrain.
Je le redis : aucun régime d'autorisation nouveau n'a été créé pour le réseau Natura 2000. Les procédures existantes continuent donc à s'appliquer. L'évaluation de l'incidence de tout projet soumis à autorisation ou approbation vise à vérifier l'absence d'effets significatifs sur l'état de conservation du site. Si tel est le cas, le projet pourra être autorisé, dans le respect de la législation française. Sinon, l'autorisation pourra être examinée sous réserve de certaines conditions : absence de solution alternative, raisons impératives d'intérêt publics, mesures compensatoires assurant la cohérence globale du réseau. Je m'inscris donc en faux contre la vision qui voudrait qu'un site Natura 2000 soit sanctuarisé ou gelé et qu'il ne soit plus possible de rien y faire.
Pour les projets soumis, par la législation française, à autorisation, cette évaluation d'incidence est intégrée dans les notices ou études d'impact, ou dans les documents d'incidence de la loi sur l'eau. Elle répond, de ce fait, aux même règles que ceux-ci pour ce qui touche au financement de l'étude : c'est au maître d'ouvrage de payer les études liées à son projet.
Le souci qui prévaut est celui du pragmatisme, de la simplification et de l'efficacité, pour les maîtres d'ouvrage comme pour les services instructeurs. J'ai donné des ordres en ce sens à Mme et MM. les préfets.
Dans cet esprit, une circulaire en cours de rédaction viendra prochainement compléter les textes législatifs et réglementaires existants afin d'en préciser les modalités d'application par les services de l'Etat concernés.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Léonard.
M. Jean-Louis Léonard. Madame la ministre, votre dernière phrase était très importante : cette circulaire ministérielle - les parlementaires, forts de leur expérience, pourraient utilement participer à sa rédaction - aura sans nul doute le mérite d'empêcher certaines dérives et je vous en remercie. Elle devra surtout préciser aux services responsables de l'Etat que les sites d'intérêt communautaire ne peuvent être opposables que pour peu qu'ils aient fait l'objet d'un DOCOB. J'ai bien noté que, en attendant, c'est la loi sur l'eau qui s'applique et aucune autre. Je saurai le rappeler dans ma bonne Charente-Maritime.
Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. Bon courage ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Léonard. Notre échange d'aujourd'hui, croyez-le bien, n'aura pas été inutile.
Pour qui touche aux périmètres, j'ai également bien pris note de votre réponse. Je souhaite simplement, sans aller jusqu'à la circulaire, qu'une note précise aux opérateurs Natura 2000 que les périmètres qu'ils étudient aujourd'hui n'ont rien de définitif, et que les périmètres définitifs excluront bien toutes les parcelles et territoires dont l'intérêt communautaire n'aura pas été démontré lors de l'inventaire. C'est là une condition essentielle pour la poursuite de notre collaboration avec vos services.

Données clés

Auteur : M. Jean-Louis Léonard

Type de question : Question orale

Rubrique : Environnement

Ministère interrogé : écologie

Ministère répondant : écologie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 17 mars 2003

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