détenus
Question de :
Mme Maryse Joissains-Masini
Bouches-du-Rhône (14e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire
Mme Maryse Joissains-Masini appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur le « droit de cantiner ». Par tradition, les prisonniers, quel que soit leur territoire, ont la possibilité de faire venir des produits de l'extérieur afin d'améliorer leur ordinaire. Cette possibilité entraîne la reproduction de schémas détestables et une inégalité de traitement entre les détenus : ceux de haut vol, qui ont de l'argent, et les autres, qui sont ainsi soumis à l'autorité des plus puissants. Sur le plan de l'égalité, de l'éthique et de la justice, c'est très grave, car cette tolérance entraîne un effet pervers pour les jeunes auxquels il est clairement démontré qu'en prison les « caïds » continuent de faire régner leur loi en toute impunité (principe de la péréquation par le bas). Elle lui demande quelle mesure il entend prendre afin que le principe d'égalité soit respecté en prison et que ce scandale cesse.
Réponse en séance, et publiée le 30 avril 2003
INÉGALITÉS DE TRAITEMENT DANS LES PRISONS
M. le président. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini, pour exposer sa question, n° 282, relative aux inégalités de traitement dans les prisons.
Mme Maryse Joissains-Masini. Ma question s'adresse à M. le ministre de la justice.
Il y a un peu plus de dix jours, nous avons eu à déplorer une évasion à la prison d'Aix-en-Provence. Je ne poserai pas la question : « que faire ? », car je suis consciente du retard accumulé. Il va falloir du temps pour construire des prisons, les moderniser, former du personnel, embaucher. Une seule requête : ne perdons pas de temps !
Je veux parler d'un problème qui joue un rôle indirect, mais important, dans le développement de la nouvelle criminalité, toujours plus dangereuse et malheureusement trop souvent attractive pour de jeunes délinquants primaires, du fait qu'en prison on reproduit des schémas dangereux d'un modèle de société à proscrire. Il concerne le droit de cantiner.
Par tradition, quel que soit l'endroit, les prisonniers ont la possibilité de faire venir des produits de l'extérieur afin d'améliorer leur ordinaire. Cette possibilité entraîne la reproduction de schémas détestables et une inégalité de traitement entre les détenus ceux de haut vol, qui ont de l'argent, et les autres, qui se retrouvent soumis à l'autorité des plus puisssants.
Sur le plan de l'égalité, de l'éthique, de la justice, c'est très grave, car cette tolérance a un effet pervers pour les jeunes : elle leur montre clairement qu'en prison les caïds continuent de faire régner leur loi en toute impunité.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre afin que le principe d'égalité, qui devrait être incontournable, soit respecté en prison ? Il faut mettre fin à ce qui est un véritable scandale.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au commerce extérieur.
M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur. Madame la députée, voici la réponse que Dominique Perben m'a demandé de vous apporter à cette question qui relève bien évidemment de sa compétence :
« Le tableau que vous avez brossé semble bien sombre et je tiens à vous rassurer sur la pratique des cantines dans les établissements pénitentiaires.
Conformément aux dispositions du code de procédure pénale, les détenus ont en effet la possibilité d'acquérir avec les sommes figurant sur le compte nominatif ouvert par l'administration pénitentiaire objets, denrées ou prestations de service, en supplément de ce qui leur est octroyé par l'administration pénitentiaire au titre de son devoir d'entretien.
Cette faculté, qui peut être suspendue par mesure disciplinaire, s'exerce sous le contrôle du chef d'établissement et dans les conditions prévues par le règlement intérieur de l'établissement pénitentiaire.
Ainsi le règlement intérieur de l'établissement prévoit-il les modalités pratiques de fonctionnement de la cantine et précise-t-il les différents types de cantines existants, la liste des produits cantinables, la périodicité, la procédure de commande et la possibilité de commandes exceptionnelles.
Si l'administration pénitentiaire a pour tâche de leur assurer des conditions de vie en détention satisfaisantes, l'existence des cantines permet aux détenus d'améliorer leur quotidien par l'achat de produits de consommation courante.
La prison n'est en effet que le reflet de la vie à l'extérieur ; les inégalités qui existent dans le monde libre ne disparaissent pas au moment de l'incarcération. Lorsque ces inégalités favorisent la manifestation d'une corruption des relations, l'administration pénitentiaire se fait un devoir de lutter contre cette dérive.
La suppression des cantines que vous semblez appeler de vos voeux pour lutter de façon radicale contre l'inégalité des conditions de vie en détention n'est évidemment pas une solution.
Si le "caïdat est un phénomène qui ne peut être nié, l'administration pénitentiaire fait le nécessaire pour le réprimer, en usant des moyens juridiques dont elle dispose. Le trafic, la menace de violences ou de contrainte ou l'exercice de violences physiques à l'encontre d'un détenu constituent une faute disciplinaire, sanctionnée avec vigueur. Par ailleurs, l'administration pénitentiaire signale aux parquets tous les faits susceptibles d'êtres poursuivis pénalement.
Il apparaît surtout que le meilleur moyen pour limiter les débordements auxquels vous faites référence consiste, d'une part, à lutter contre l'indigence en détention, d'autre part, à améliorer le taux d'activité des détenus.
La lutte contre l'indigence passe dans un premier temps par le repérage des indigents en permettant la mise en oeuvre d'une aide matérielle, grâce au recueil d'informations socio-économiques sur le détenu lors de son incarcération.
Elle passe dans un second temps par une volonté politique affirmée de limiter la pauvreté en prison, en incitant notamment à exercer une activité rémunérée : travail ou formation professionnelle.
Il est évidemment indispensable d'améliorer le taux d'activité des détenus. Il est aussi nécessaire de permettre l'augmentation des rémunérations perçues.
C'est un des objectifs visés par l'administration pénitentiaire, objectif réalisé pour partie par la suppression des frais d'entretien auxquels étaient astreints un grand nombre de détenus travailleurs, décidée dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002. »
M. le président. La parole est à Mme Maryse Joissains-Masini.
Mme Maryse Joissains-Masini. Par ma profession, je connais toutes ces règles : aucune n'est appliquée. Assez d'angélisme ! Les caïds cantinent en prison de façon outrancière, donnant aux jeunes délinquants qui n'ont pas de moyens l'impression qu'il faut aller plus loin dans la délinquance pour devenir un chef.
Je ne propose pas comme solution de supprimer le droit de cantiner, encore que, quand on est en prison, on purge une peine qui doit être la même pour tous. Mais il est de notre devoir de ne pas ignorer la réalité : même en prison, des caïds se font servir par de jeunes délinquants. En ignorant cette réalité et en cédant à l'angélisme, on donne aux jeunes qui sont en prison l'impression que, pour avoir un statut, ils doivent devenir encore plus violents, encore plus délinquants. Or n'oublions pas que certains d'entre eux n'ont pas eu d'éducation et que celle qu'on leur offre, c'est cette vision-là.
Il faut donc se pencher sur l'inapplication totale des règles dans ce milieu fermé et cesser de croire que tout se passe normalement. Les chefs d'établissement n'ont pas les moyens, à leur niveau, de faire respecter la loi. Si l'on ignore cela, tous les moyens qu'on mettra en place pour lutter contre la délinquance, quels qu'ils soient, seront totalement inopérants.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. le ministre délégué au commerce extérieur. Madame la députée, je suis très sensible à ce que vous venez de dire. Je vous ai rappelé, au nom de Dominique Perben, les règles et la politique qu'il souhaite appliquer dans ce domaine mais, fort de votre témoignage, je lui ferai part des arguments que vous avez développés dans votre seconde intervention.
Auteur : Mme Maryse Joissains-Masini
Type de question : Question orale
Rubrique : Système pénitentiaire
Ministère interrogé : justice
Ministère répondant : justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 avril 2003