Question orale n° 367 :
collectivité départementale : Mayotte

12e Législature

Question de : M. Mansour Kamardine
Mayotte (1re circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Mansour Kamardine appelle l'attention de M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur les modalités de mise en oeuvre des dispositions de l'ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte. Cette ordonnance crée des prestations dont un régime de retraite de base obligatoire de sécurité sociale applicable aux résidents salariés et assimilés afin de garantir une pension de retraite aux assurés mahorais. Le financement est assuré par le produit des cotisations dues par tout employeur et tout assuré, assises, dans la limite d'un plafond, sur l'ensemble des sommes versées en contrepartie ou à l'occasion du travail. L'ordonnance prévoit par ailleurs qu'un décret fixe le plafond ainsi que les taux des cotisations qui sont recouvrées par la caisse de prévoyance sociale de Mayotte dans les conditions prévues par l'ordonnance du 20 décembre 1996. Dans la perspective de la parution des décrets d'application, une mission a été diligentée à Mayotte par le ministère afin d'évaluer les modalités de mise en oeuvre de ce nouveau dispositif. Or, il semblerait que les cotisations soient dues à compter du 1er janvier 2003, ce qui n'est pas sans poser de graves difficultés pour les entrepreneurs mahorais et les salariés dans l'hypothèse de l'application de la mesure avec effet rétroactif. En effet, le paiement des cinq derniers mois entraînerait un effort que les trésoreries des entreprises et les salariés les plus modestes ne peuvent pas se permettre. Aussi, il lui demande de lui indiquer les conditions de mise en oeuvre de cette ordonnance en tenant compte de la nécessité de ne pas appliquer rétroactivement le paiement des charges patronales et salariales. Enfin, il lui demande de lui préciser la date précise de parution de ces textes qui accusent désormais un retard préjudiciable.

Réponse en séance, et publiée le 28 mai 2003

MODALITÉS DE MISE EN OEUVRE DU RÉGIME
DE RETRAITE INSTITUÉ À MAYOTTE

M. le président. La parole est à M. Mansour Kamardine, pour exposer sa question, n° 367, relative aux modalités de mise en oeuvre du régime de retraite institué à Mayotte.
M. Mansour Kamardine. Tirant les conséquences de l'accord du 26 janvier 2000, approuvé par près de 73 % des Mahorais, le Gouvernement a décidé, par l'ordonnance du 27 mars 2002, la modernisation de la protection sociale et sanitaire à Mayotte.
Ce texte pose, à mes yeux, plus de problèmes qu'il n'en règle, car la question de l'organisation de la sécurité sociale à Mayotte est d'abord politique. Il s'agit de savoir quel niveau de protection nous voulons.
En décidant de confier cette évolution à la Caisse de prévoyance sociale, cette survivance de la période coloniale et post-coloniale de l'île, l'ancienne majorité a choisi de considérer que les Mahorais étaient des Français entièrement à part.
Avec l'avènement de l'actuelle majorité et la dernière réforme constitutionnelle qui a consacré l'appartenance de Mayotte à la République, j'ai la candeur de croire que le Gouvernement souhaite réserver aux Mahorais toute leur place, la même place qu'aux autres Français, dans notre système de protection sociale.
Dans cette perspective, la création de la caisse de sécurité sociale de Mayotte, à l'instar de ce qui existe sur le reste du territoire, est une ardente revendication. La loi de programme pour l'outre-mer peut servir de cavalier pour réformer l'ordonnance sur ce point. Ce texte demeure à ce jour inappliqué faute de décret d'application, malgré l'attente légitime de la population locale.
De nombreuses missions se sont rendues sur place pour réfléchir à un dispositif spécifique. La dernière remonte au 13 mai dernier. Avant de quitter l'île, elle a rendu public un communiqué qui n'a pas permis de dissiper nos inquiétudes les plus légitimes.
Premièrement, ce communiqué ne précise pas la date de publication du décret d'application et son entrée en vigueur. Je ne peux pas croire que ce retard soit utilisé dans cette période budgétaire, je le reconnais, difficile, que le pays traverse, pour faire quelques économies dérisoires sur la sécurité sociale et sanitaire à laquelle cette population a droit.
Deuxièmement, la mission n'aurait pas exclu la rétroactivité au 1er janvier dernier de recouvrement de nouveaux prélèvements que le texte envisage. Dans l'affirmative, je veux attirer l'attention du Gouvernement sur les risques d'une telle mesure, qui amputerait très fortement les revenus déjà faibles des salariés et mettrait en difficulté la trésorerie des entreprises.
Quelle est, en effet, la réalité locale ? Un SMIC à 510 euros, qui ne permet pas aux Mahorais de subvenir à leurs besoins élémentaires, et un tissu économique d'une extrême fragilité.
Qui peut penser une seconde que la rétroactivité des cotisations n'aura pas de conséquences catastrophiques sur les ménages aux fins de mois difficiles, et sur les entreprises mahoraises, dont les trésoreries sont des plus vulnérables. D'autant, monsieur le ministre, que s'instaurerait un cercle vicieux qui serait fatal à l'économie mahoraise. En effet, en privant subitement les consommateurs d'une partie de leur pouvoir d'achat, ce sont in fine les entreprises qui seront pénalisées et plus fragilisées encore. Cela aggraverait encore la situation de l'emploi déjà sinistrée sur l'île.
Sur bien des points, les propositions vont dans le bon sens. Je pense notamment à la couverture accordée aux Mahorais lors de leurs déplacements en métropole ou dans les DOM.
Néanmoins, pour faire connaître l'état sanitaire et social de l'île et au vu des propositions faites lors des réunions de travail qui se sont déroulées à Mayotte, je souhaiterais me faire l'écho des préoccupations locales, notamment des élus, des médecins et des patients.
Ces préoccupations portent, d'une part, sur la prise en charge des affections de longue durée ; d'autre part, sur la mise en place d'un ticket modérateur ; enfin, sur les conséquences du système actuel sur l'immigration clandestine.
S'agissant du premier point, il semblerait que les malades chroniques devront payer leur ticket modérateur chez les médecins privés, pharmaciens, biologistes et radiologues, alors qu'en métropole et dans les autres DOM-TOM, les ALD sont prises en charge à 100 %. Ce système ne peut pas fonctionner puisqu'on demande à la population la plus modeste de fournir l'effort le plus important. Par ailleurs, les conséquences seraient néfastes pour le développement du secteur libéral à Mayotte.
Une telle orientation ne prendrait pas suffisamment en compte la situation de Mayotte qui connaît le taux de chômage le plus important de France, avec près de 50 % de sa population active. Les Mahorais ne pourraient ni s'acquitter du ticket modérateur ni même adhérer à la mutuelle qui pourrait prendre en charge tout ou partie de ce ticket modérateur. Ainsi, seul le dispensaire sera à leur portée. Autrement dit, c'est le statu quo qui prévaudra.
Or c'est surtout à l'égard des malades chroniques ou de longue durée qu'il faut faire des efforts tant la prise en charge dans les dispensaires n'est pas toujours adaptée à leur situation. L'exonération au cas par cas envisagée n'est pas souhaitable. La seule solution repose sur l'alignement du système déjà en vigueur car, sans la reconnaissance de l'ALD et sans l'exonération du ticket modérateur, les pathologies chroniques ne seront pas correctement prises en charge.
S'agissant des modalités de mise en place du ticket modérateur, je voudrais vous interroger sur le niveau qui sera fixé. Il semble que l'on veuille l'aligner sur celui de la métropole. Or je vous répète que le niveau de vie des Mahorais ne leur permettra pas de s'en acquitter.
Les missions qui nous ont rendu visite ont écarté l'extension de la CMU à Mayotte sans en préciser les raisons. Là encore, je souhaiterais connaître votre position, d'autant que le système envisagé n'apporte pas de véritable solution à l'engorgement permanent des dispensaires et ne favorise pas non plus un développement véritable du système libéral. Le système est discriminatoire dans la réalité, puisque les pauvres consulteront dans les dispensaires et les autres dans les cabinets privés. Je ne suis pas sûr que ce soit là l'objectif recherché par votre gouvernement, que nous soutenons.
En troisième lieu, j'ai rencontré récemment aux Comores les autorités médicales de ce pays. Elles m'ont assuré que l'immense majorité des Comoriens cherchent à se rendre à Mayotte pour s'y faire soigner, leur système de santé étant entièrement payant. De fait, le système actuellement en vigueur à Mayotte constitue une incitation alarmante à l'immigration clandestine. Ainsi, et à titre d'exemple, la maternité de Mamoudzou a connu en mars dernier 103 naissances dont 80 en provenance de l'immigration clandestine. La réflexion en cours doit intégrer ces données et probablement donner les moyens à l'hôpital de développer la coopération régionale dans ce domaine, afin de favoriser le maintien des populations dans leur pays.
Enfin, je souhaiterais savoir si le décret en cours d'élaboration envisage d'inciter l'installation des médecins dans les villages éloignés de la capitale.
Voilà, monsieur le ministre, les questions que je souhaitais soumettre à la sagacité du Gouvernement. Elles ne sont pas uniquement techniques. Elles sont, d'abord et surtout, politiques. Les administrations compétentes y ont suffisamment travaillé. Il vous revient, après les réflexions qu'elles ont conduites, de trancher en répondant très clairement à la question centrale : quelle place le Gouvernement entend-il réserver à la sécurité sociale à Mayotte ? Je suis persuadé que la représentation nationale, comme les Mahorais, sera heureuse d'être éclairée sur l'ensemble de ces interrogations.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux personnes âgées.
M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées. Monsieur le président, monsieur le député, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de François Fillon, qui, vous le savez, est retenu par un emploi du temps particulièrement chargé.
L'ampleur du champ ministériel des questions abordées ne me permettra pas de répondre aussi précisément que vous le souhaitez. Par ailleurs, je ferai part de vos questions à M. Jean-François Mattei, qui ne manquera pas de les examiner avec une attention particulière.
Je ne peux que confirmer l'attachement du Gouvernement aux améliorations à apporter à la protection sociale des Mahorais. Le texte du 27 mars 2002 ne résout pas toutes les difficultés, et l'application concrète de ses dispositions demandera du temps.
S'agissant maintenant des conditions de mise en oeuvre du régime de retraite de base obligatoire de sécurité sociale prévu par l'ordonnance du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte, je peux vous confirmer que le décret correspondant est actuellement en cours de contreseing des ministres. Il devrait paraître au Journal officiel dans les tout prochains jours.
Les dispositions retenues par le Gouvernement ont été soumises pour avis, selon les règles en vigueur, aux trois caisses nationales de sécurité sociale concernées, ainsi qu'au conseil général de Mayotte. Ce dernier a rendu un avis favorable le 31 janvier 2003. Les dispositions prévues par ce texte ont donc pu bénéficier, depuis cette date, d'une large publicité auprès de l'ensemble des acteurs locaux intéressés et n'ont pas été modifiées.
Votre inquiétude porte plus particulièrement sur le fait que les dispositions du décret seront applicables rétroactivement au 1er janvier 2003. Vous craignez en effet que cette rétroactivité ne présente un impact trop important sur les entreprises et les salariés les plus modestes.
Le Gouvernement a choisi de ne pas modifier, par rapport au dispositif antérieur, les taux des cotisations qui financeront le nouveau régime. Ces taux sont de 10 % pour la part patronale et de 4 % pour la part salariale. Seul le plafond de rémunération est modifié, puisqu'il passe de 686 à 825 euros. Ce relèvement du plafond permet d'accroître parallèlement le niveau des pensions de retraite qui seront servies et de répondre ainsi à une attente forte et ancienne des Mahorais.
Avec le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées, nous avons souhaité prendre des mesures transitoires. C'est pour cette raison que le Gouvernement a demandé au préfet et à la caisse de prévoyance sociale d'appliquer, pour la période courant entre le 1er janvier 2003 et la date de parution du décret, les dispositions antérieures, et donc de recouvrer, depuis le début de l'année, les cotisations correspondantes sur la base de l'ancien plafond.
La rétroactivité de la mesure ne concernera donc en pratique que la partie des cotisations comprise entre l'ancien et le nouveau plafond pour la fraction des salariés dont le salaire excède l'ancien plafond de 686 euros.
Seuls 37 % des salariés de Mayotte ont des salaires supérieurs à l'ancien plafond. L'impact financier pour les entreprises sera ainsi limité.
Les salariés concernés, vous le savez, sont dans l'attente du relèvement du plafond afin de bénéficier de meilleures pensions. C'est précisément l'un des objectifs essentiels du nouveau régime de retraite de Mayotte.
Il n'a pas paru souhaitable de les priver de cet avantage pour les premiers mois de l'année, alors que l'ordonnance prévoit l'entrée en vigueur du nouveau régime à compter du 1er janvier 2003.
Aussi, au vu de ces différents éléments, et pour ne pas risquer de différer davantage la parution du décret, je vous confirme que ce dernier prévoira l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions au 1er janvier 2003 et garantira ainsi, dès cette date, les nouveaux droits des salariés.
Toutefois, je suis en mesure de vous annoncer que, pour répondre à vos préoccupations et tenir compte des intérêts des salariés et des entreprises de Mayotte, et dans un souci de simplification administrative, la circulaire d'application donnera instruction à la caisse de prévoyance sociale de dispenser les entreprises du versement des régularisations de cotisations correspondant à la période transitoire précédant la parution du décret. Cette disposition me paraît de nature à saluer, en la plaçant sous les meilleurs auspices, la naissance du nouveau régime de retraite de Mayotte.
Tels sont les éléments de réponse, monsieur le député, dont je souhaitais vous faire part.

Données clés

Auteur : M. Mansour Kamardine

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : affaires sociales, travail et solidarité

Ministère répondant : affaires sociales, travail et solidarité

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 26 mai 2003

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