Question orale n° 582 :
DOM : Martinique

12e Législature

Question de : M. Louis-Joseph Manscour
Martinique (1re circonscription) - Socialiste

M. Louis-Joseph Manscour appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales sur la crise persistante de l'agriculture à la Martinique et plus précisément, en ce début 2004, sur l'absence totale de perspectives des producteurs de bananes et d'ananas confrontés à des difficultés quasiment insurmontables. S'agissant de la banane, le quotidien des planteurs est constitué d'une spirale infernale : surapprovisionnement du marché franco-européen par la banane « dollar », effondrement des cours générant des pertes d'exploitation, sous compensation de l'OCM, endettement chronique vis-à-vis des groupements. Cette situation est celle, il faut le dire, de faillite pour plusieurs centaines de planteurs sur les neuf cents constituant la profession à la Martinique dont certains sont obligés de s'inscrire au RMI. S'agissant de l'ananas, à échelle moindre, la spirale est du même ordre : non-compétitivité des prix sur le marché franco-européen, réduction drastique des plantations ramenées aux seuls besoins d'approvisionnement de l'usine SOCOMOR avec l'appui du FEOGA. Face à ces difficultés de l'agriculture martiniquaise, les prêts de l'ODEADOM et l'aide compensatoire de l'OCM ne sont pas à la dimension de la crise et des besoins de restructuration de ce secteur déterminant pour la Martinique. En effet, outre le fait que ces mesures sont ponctuelles, les prêts engendreront un surendettement pour les producteurs et l'aide de l'OCM reste insuffisante. Le projet de loi sur le développement des territoires ruraux, soumis à la représentation nationale, n'offre lui non plus aucune perspective à la crise alors que la Martinique a justement besoin d'outils de développement. Il lui demande donc de bien vouloir l'informer des éventuelles initiatives que son ministère compte prendre pour que l'agriculture des DOM, et notamment à la Martinique, redevienne un secteur de développement.

Réponse en séance, et publiée le 28 janvier 2004

SITUATION DES PRODUCTEURS DE BANANES
ET D'ANANAS EN MARTINIQUE

Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour, pour exposer sa question n° 582, relative à la situation des producteurs de bananes et d'ananas en Martinique.
M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, je veux attirer votre attention sur la crise persistante de l'agriculture, premier secteur productif aux Antilles et en Martinique. En ce début 2004, les producteurs de bananes et d'ananas sont confrontés à des difficultés quasiment insurmontables, et ne se voient offrir aucune perspective décente.
S'agissant de la banane, le quotidien des planteurs est constitué d'une spirale infernale : surapprovisionnement du marché franco-européen par la banane-dollar, effondrement des cours générant des pertes d'exploitation, sous-compensation de l'OCMB - Organisation commune des marchés de la banane -, endettement chronique vis-à-vis des groupements. Cette situation entraîne la faillite de plusieurs centaines de planteurs sur les 900 constituant la profession en Martinique.
La filière de l'ananas connaît, à une moindre échelle, une situation tout aussi catastrophique. Le prix du produit sur le marché franco-européen reste non compétitif, malgré l'appui du POSEIDOM, et l'usine de jus de la SOCOMOR connaît d'énormes problèmes de trésorerie, ce qui génère des difficultés en chaîne pour les petits producteurs. La situation empire d'année en année. Dans les années soixante, les deux tiers du marché français étaient réservés pour les DOM-TOM. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, ce dispositif s'est effrité à un point tel qu'en 1993, l'Union européenne a réservé pour l'Europe 20 % des achats de bananes aux opérateurs communautaires.
Comme vous le savez, monsieur le ministre, ce dispositif de l'OCM-banane a été remis en cause en avril 2001. L'Europe et la France ont ainsi cédé petit à petit face à la banane-dollar. L'élargissement de l'Union européenne ne nous rassure en rien, puisque l'accord d'avril 2001 bénéficiera à la banane américaine, produite dans des conditions humaines et environnementales condamnables, et qu'à partir de 2006 le marché sera ouvert sur des bases uniquement tarifaires.
La Martinique et les autres régions d'outre-mer ont besoin aujourd'hui du courage et de la détermination de la France et de l'Union européenne, face à la concurrence déloyale de cette banane-dollar. Une réforme de l'OCM-banane apparaît plus que nécessaire, afin d'assurer de manière structurelle l'accès sécurisé de notre banane sur le marché européen. De même, un plan pluriannuel permettrait la reconversion des petites unités qui, face à la crise, souhaiteraient réorienter leurs activités.
Quant à la seule filière européenne de l'ananas, qui se situe, je le rappelle, à la Martinique, elle doit retrouver son équilibre et sa rentabilité dans le cadre des aides européennes. Mais les aides ponctuelles ne suffisent plus, et les prêts annoncés par l'office départemental de l'économie agricole des DOM engendreront un endettement additionnel pour les petits producteurs agricoles. La situation est grave, et le projet de loi sur le développement des territoires ruraux, soumis à la représentation nationale, n'offre aucune perspective réelle à la crise, alors que la Martinique et les Antilles en général ont justement besoin d'outils de développement efficaces créateurs d'emplois.
Député élu dans une circonscription à forte dominante agricole, je peux témoigner de la profonde détresse de centaines de petits planteurs exsangues, et d'ouvriers restant plusieurs mois sans salaire, souvent contraints à s'inscrire au RMI. Monsieur le ministre, face à cette situation catastrophique, je vous demande de nous informer des éventuelles mesures que compte prendre le Gouvernement pour sortir l'agriculture martiniquaise, voire « domienne », de l'état de crise et de survie dans laquelle elle se trouve.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.
M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Monsieur le député, comme vous le savez, le Gouvernement suit avec une particulière attention les évolutions de l'agriculture en Martinique, et notamment les difficultés des filières de l'ananas et de la banane.
Pour appuyer l'adaptation de ces secteurs aux évolutions des marchés communautaire et français, le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales, en lien étroit avec le ministère de l'outre-mer, a engagé une démarche structurée qui comprend d'abord la défense de la spécificité de nos départements d'outre-mer auprès des services de la Commission dans l'application de l'ensemble de ses textes, ensuite le soutien, via l'ODEADOM et avec l'aide des collectivités locales, des programmes financés par les fonds structurels et la promotion de nouveaux programmes, un audit de filière pour définir, en cas de besoin, les axes d'intervention de l'Etat et des soutiens spécifiques au revenu des producteurs, enfin, l'élaboration de solutions pour améliorer leur compétitivité et leur positionnement sur le marché européen et assurer le maintien de prix de vente rémunérateurs face à la concurrence internationale.
S'agissant de l'ananas, le Gouvernement s'attache à relancer l'amont agricole en pérennisant les exploitations et en incitant les producteurs à replanter et à rechercher des surfaces nouvelles par la mise en place d'un nouveau programme de soutien communautaire et l'octroi d'un soutien national exceptionnel, à soutenir et développer les débouchés de la production, en particulier vers le marché local de l'ananas frais, enfin, à conforter le processus de restructuration engagé en 1999, qui repositionnait l'usine de transformation vers des produits à forte valeur ajoutée, notamment les cubes d'ananas destinés aux industries agroalimentaires.
Pour mettre fin à un système d'aide inadapté à la production de cubes d'ananas et enrayer la baisse des subventions communautaires, le Gouvernement a fait approuver par la Commission, en octobre 2002, un nouveau programme d'appui à la filière qui, en maintenant l'appui à la transformation, développe un nouveau volet d'aides à la production.
En août 2003, un programme sur quatre ans, de 2003 à 2006, a renforcé ces nouvelles orientations - aide aux petits producteurs, aide à la plantation de nouvelles variétés adaptées au marché - et maintenu, malgré un budget communautaire contraint, les montants annuels alloués, et offert ainsi aux planteurs une réelle visibilité.
Au niveau national, en lien avec ma collègue Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer, j'ai demandé au Comité permanent de coordination des inspections d'engager une expertise sur la restructuration de l'usine de transformation de la société coopérative agricole du Morne Rouge, la SOCOMOR. La mission d'audit a dressé un état des lieux technique et financier, et analysé la rentabilité de l'outil industriel existant. Sur cette base, un programme de restructuration de la production industrielle et de retour à l'équilibre financier a été proposé et mis en oeuvre par la SOCOMOR depuis fin mai 2003, une proposition de reconstitution de fonds propres avec l'aide des pouvoirs publics a été élaborée, une étude de marché sur l'ananas frais de Martinique a été commanditée par la SOCOMOR et un comité de suivi, placé sous l'autorité du préfet, a été constitué pour suivre, à un rythme trimestriel, la mise en oeuvre de ce plan d'action.
Dans le cadre de la restructuration de la filière engagée grâce au programme communautaire et sur les recommandations de l'audit, le Gouvernement a souhaité, en lien avec les collectivités territoriales, apporter un soutien financier à la SOCOMOR pour lui permettre de retrouver un financement normal de son cycle d'exploitation. L'aide, accordée sous forme de subvention pour le renforcement des fonds propres, est d'un montant de 2,856 millions d'euros, c'est-à-dire 1,9 million d'euros pour l'Etat, 0,5 million d'euros pour la région, et 0,456 million d'euros pour le département.
S'agissant de la banane, le Gouvernement travaille en étroite relation avec les professionnels dans le cadre d'une stratégie globale de défense de la banane antillaise. En effet, confrontée à une grave crise due à une baisse des prix sur le marché communautaire depuis deux ans et à la nécessité d'améliorer sa compétitivité dans le cadre de l'évolution de l'organisation commune des marchés de la banane, la filière banane martiniquaise s'est engagée dans un processus de restructuration.
Conscients de ces difficultés, les pouvoirs publics ont mis en place différentes mesures à l'échelle communautaire et nationale pour soutenir les producteurs. En 2002, pour améliorer la trésorerie des planteurs, la France a obtenu une revalorisation de l'avance sur l'aide compensatoire de 28,40 euros par tonne. En 2003, le Gouvernement est intervenu auprès de la Commission pour obtenir un complément d'aide compensatoire pour la Martinique et la Guadeloupe, soit respectivement un appui supplémentaire de 8,8 millions d'euros et 4,3 millions d'euros. Parallèlement, le ministère chargé de l'agriculture défend les intérêts de la filière concernant l'évolution de l'organisation commune des marchés de la banane : évolution du volet interne, négociations liées à l'élargissement, passage au système tarifaire.
Quant aux organisations de producteurs, pour favoriser la restructuration des hauts de bilan et permettre d'améliorer l'intervention des banques, le Gouvernement a décidé, en 2003, de transformer partiellement en subventions les prêts de 1997 accordés par l'ODEADOM aux groupements, soit 1,28 million d'euros de subvention pour la Martinique et 2,458 millions d'euros pour la Guadeloupe.
Face aux difficultés majeures de marché rencontrées en 2003 par les planteurs, le Gouvernement a décidé la mise en place auprès des organisations de producteurs antillaises d'un prêt sur cinq ans d'un montant global de 13 millions d'euros, garanti par l'Etat et bonifié à taux nul. Cette action traite d'une manière efficace les problèmes de trésorerie rencontrés par les groupements et les planteurs qui y adhèrent. Elle permet d'assurer les engagements des organisations de producteurs et des planteurs - salaires, dettes aux fournisseurs -, de relancer la production, de renforcer le système de préfinancement des prix de vente et de l'avance sur l'aide compensatoire, afin de consolider la trésorerie des planteurs. Le montant de 13 millions d'euros a été réparti également à hauteur de 6,5 millions d'euros entre chacune des filières martiniquaise et guadeloupéenne. Enfin, en accord avec Mme la ministre de l'outre-mer, j'ai confié la réalisation d'un audit au conseil général du génie rural des eaux et forêts, afin d'identifier très précisément les difficultés d'adaptation du secteur de la banane antillaise. Sur cette base et en liaison avec les professionnels, des propositions d'action pourraient être prochainement dégagées pour améliorer les conditions de production et de commercialisation de la filière pour les cinq prochaines années.
Au-delà des questions de marché, qui ont une dimension locale, européenne, mais aussi internationale, avec les négociations devant l'Organisation mondiale du commerce, l'agriculture de nos départements d'outre-mer comporte un certain nombre de sujets structurels à régler. Comme vous le savez, à partir du printemps, nous allons élaborer une loi de modernisation de l'agriculture, qui contiendra un certain nombre de dispositions spécifiques à l'outre-mer, sur lesquelles nous travaillons avec Brigitte Girardin, et sur lesquelles nous allons engager la concertation dans les mois qui viennent.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis-Joseph Manscour.
M. Louis-Joseph Manscour. Monsieur le ministre, je prends acte des mesures que vous annoncez et des aides que vous voulez bien accorder à l'agriculture antillaise, et singulièrement martiniquaise. C'est une bonne chose. Mais il est plus important, selon moi, que le Gouvernement garantisse l'accès sécurisé de la banane sur le marché européen. Il faut surtout faire en sorte que tous les dispositifs relevant de la préférence communautaire soient mis en place. La PAC refuse, en effet, de reconnaître notre production comme une production communautaire prioritaire. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir prendre en compte ces deux aspects.

Données clés

Auteur : M. Louis-Joseph Manscour

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : agriculture, alimentation et pêche

Ministère répondant : agriculture, alimentation et pêche

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 janvier 2004

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