Question orale n° 754 :
télévision

12e Législature

Question de : M. François Rochebloine
Loire (3e circonscription) - Union pour la Démocratie Française

M. François Rochebloine demande à M. le ministre de la culture et de la communication d'informer l'Assemblée nationale sur l'état d'avancement du projet de chaîne d'information internationale. Il souhaiterait savoir si la Commission européenne s'est prononcée sur la compatibilité du schéma retenu par les pouvoirs publics français avec les règles communautaires en vigueur en matière de concurrence et d'aides publiques au secteur audiovisuel. Il souhaiterait également savoir si le fait d'avoir confié la responsabilité de la chaîne à un opérateur privé sans procéder par appel d'offres n'est pas contraire aux dispositions de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 assurant la transparence des délégations de service public. Il aimerait savoir quelles sont les perspectives de financement de la future chaîne au titre du projet de loi de finances pour 2005 et quelle sera l'imputation budgétaire des crédits nécessaires à son fonctionnement (redevance audiovisuelle, audiovisuel extérieur, budget généraI). Enfin, iI lui demande de bien vouloir lui indiquer si le CSA exercera un contrôle sur la chaîne.

Réponse en séance, et publiée le 26 mai 2004

ÉTAT D'AVANCEMENT DU PROJET DE CHAÎNE
D'INFORMATION INTERNATIONALE

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour exposer sa question, n° 754, relative à l'état d'avancement du projet de chaîne d'information internationale.
M. François Rochebloine. Permettez-moi tout d'abord, monsieur le secrétaire d'État aux affaires étrangères, en dépit de toute l'amitié que je vous porte, que je sais être réciproque, de regretter l'absence de M. le ministre de la culture et de la communication, même si je ne doute pas que vous répondrez d'une manière très précise aux différentes questions que je vais vous poser.
Mon intervention a trait à la future chaîne d'information internationale, dont l'idée a été lancée en février 2002 par le chef de l'État. Je souhaiterais rappeler ici les différentes étapes de ce projet, et vous poser plusieurs questions sur le statut et le financement de la future chaîne.
En décembre 2002, la commission des affaires culturelles et la commission des affaires étrangères ont décidé de créer une mission d'information commune sur la future chaîne. Parallèlement, le ministre des affaires étrangères en charge de l'audiovisuel extérieur - à l'époque M. Dominique de Villepin - a demandé à M. Philippe Baudillon de lui fournir un rapport sur ce sujet. Enfin, un groupe de travail consacré à cette chaîne était créé à Matignon peu de temps après.
Le rapport Baudillon et la mission d'information commune ont tous deux conclu à la nécessité d'organiser la chaîne sur la base d'un partenariat public-privé, afin de mutualiser les moyens et de remédier à la dispersion existant actuellement dans le secteur audiovisuel extérieur.
Je souligne par ailleurs que les propositions de la mission d'information commune de l'Assemblée ont été adoptées, après un important travail d'audition, à l'unanimité des groupes parlementaires, fait assez rare pour être souligné, a fortiori dans un domaine aussi sensible que celui de la politique audiovisuelle.
Sans attendre les premières conclusions de la mission d'information parlementaire, rendues publiques en mai 2003, les services du Premier ministre ont lancé en avril de la même année un appel à projets, sans définition d'un véritable cahier des charges.
Trois offres ont été remises à cette occasion. L'une publique, émanant de France Télévisions et de RFI, les deux autres privées, remises respectivement par TF1 et CanalPlus. C'est dans ce contexte que le Premier ministre a décidé en juin 2003 de désigner l'un des membres de la mission d'information commune comme parlementaire chargé de mission, ladite mission consistant à élaborer de nouvelles propositions. Celui-ci a remis en septembre 2003 un rapport en ce sens, préconisant la création d'une société privée comportant deux actionnaires, TF1 et France Télévisions, mais dont le financement serait entièrement public, et pour partie gagé par des redéploiements dans le secteur audiovisuel public. D'après ce rapport, la future chaîne ne serait pas diffusée en France, et échapperait pour l'essentiel au contrôle du CSA. Comme vous le savez, monsieur le ministre, malgré l'approbation de ce schéma par le Premier ministre, aucun crédit n'a été inscrit en loi de finances pour 2004.
Par ailleurs, la commission européenne a été saisie du montage retenu, afin qu'elle rende un avis sur la compatibilité de celui-ci avec les règles communautaires en matière de concurrence. Elle n'a, à ce jour, pas rendu son avis.
Il y a donc, monsieur le ministre, tout lieu d'être inquiet pour la réalisation de ce projet, alors même qu'un consensus s'est fait jour sur la nécessité pour la France de disposer d'un tel outil. L'opacité de la méthode choisie par l'exécutif sur ce dossier a malheureusement abouti à un projet juridiquement mal ficelé, et dépourvu des moyens nécessaires à son fonctionnement. Je souhaiterais donc obtenir de votre part des éclaircissements sur le sujet.
S'agissant du statut de la chaîne, les PDG de TF1 et de France Télévisions ont indiqué, lors de leur audition par la commission des affaires culturelles et la commission des affaires étrangères le 18 mai dernier, qu'il serait défini par une simple convention entre le Premier ministre et les deux sociétés actionnaires. Selon eux, cette convention doit prévoir les modalités de financement de la chaîne, et les conditions dans lesquelles l'État exercera son contrôle. Une telle base juridique vous semble-t-elle suffisante, monsieur le ministre, alors même que le statut des opérateurs audiovisuels exerçant une mission de service public est défini soit par un traité international - comme c'est le cas pour TV5 et Arte - soit par la loi - comme c'est le cas pour France Télévisions, Radio France, RFI et RFO ? Le CSA sera-t-il compétent pour nommer le président de la chaîne et pour en contrôler le contenu ? Par ailleurs, n'aurait-il pas fallu procéder à un appel d'offres avant d'établir cette convention, conformément aux dispositions de la loi du 29 janvier 1993 sur la délégation de service public ? Se réfugier derrière le statut privé de la chaîne ne tient en effet pas compte du fait qu'elle exerce une mission d'intérêt général, tout en étant entièrement financée par l'État, ce qui place clairement la future société dans le champ de la loi de 1993.
L'audition du 18 mai dernier a montré l'attachement des parlementaires des différents groupes à la diffusion de la chaîne en France. Il serait en effet injustifiable qu'elle soit financée par le contribuable sans être pour autant visible par nos concitoyens. Cependant, et je ne crains pas de le dire haut et fort, une telle diffusion nuirait sans doute aux intérêts de l'actionnaire privé de la future chaîne, soucieux de protéger sa propre chaîne d'information en continu, LCI.
L'argument selon lequel la plupart des chaînes internationales existantes ne sont pas diffusées dans le pays où elles ont leur siège n'est pas très pertinent. Ainsi, Deutsche Welle n'est pas visible en Allemagne pour des raisons historiques qui interdisent la diffusion des chaînes relevant directement du gouvernement dans le pays. BBC World et CNN International fonctionnent en totale synergie avec les chaînes domestiques relevant de ces groupes. Quant à Al Jazira, elle est diffusée au Qatar. Je vous pose donc une question simple, monsieur le ministre, à laquelle je vous demanderai de répondre par oui ou non : pouvez-vous vous engager en faveur de la diffusion de la chaîne en France ?
Enfin, au moment où sont rendus les arbitrages budgétaires, pouvez-vous nous indiquer sur quels crédits les 70 millions d'euros au minimum nécessaires au fonctionnement de la chaîne seront imputés ? Sur la redevance, l'audiovisuel extérieur, le budget général ? Ou envisagez-vous de procéder à un redéploiement au sein de l'audiovisuel public pour financer la nouvelle chaîne ?
Permettez-moi, monsieur le ministre, de vous souhaiter bon courage pour les réponses que vous allez m'apporter. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État aux affaires étrangères.
M. Renaud Muselier, secrétaire d'État aux affaires étrangères. Monsieur le député, je sais l'intérêt que vous portez à la future chaîne d'information internationale, essentielle pour le rayonnement de la France et de la langue française à travers le monde. Vous partagez en cela la préoccupation du Président de la République, lui aussi très attentif à ce dossier.
En ce qui me concerne, mes fonctions de secrétaire d'État aux affaires étrangères m'amènent à voyager à travers le monde, et lorsque j'ai l'occasion de regarder les programmes des chaînes étrangères, je regrette parfois que notre langue ne soit pas aussi bien représentée qu'elle devrait l'être. Vous m'avez posé des questions très précises et je comprends que vous ayez à coeur de surveiller ce dossier de près, compte tenu de son importance. Je vais essayer de vous apporter des éléments d'information très concrets, afin de répondre au souci de défendre l'intérêt général, qui, comme toujours, vous anime.
En ce qui concerne, pour commencer, la procédure au terme de laquelle l'État a choisi d'apporter son soutien au projet présenté par TF1 et France Télévisions, je vous précise que l'article 38 de la loi du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques n'est applicable qu'aux délégations de service public.
Ce cadre juridique ne peut être celui dans lequel s'inscrira la relation entre l'État et la future chaîne, ne serait-ce que parce que la loi dite " Sapin " précise qu'il ne peut y avoir de délégation de service public que si la rémunération du délégataire est " substantiellement liée aux résultats de l'exploitation du service ", ce qui ne sera pas le cas en l'espèce.
Par conséquent, ni la loi du 29 janvier 1993 ni aucune autre disposition de droit national ou européen ne prévoyait de procéder à un appel d'offres.
En ce qui concerne, ensuite, la compatibilité entre le financement public de la chaîne et les règles communautaires relatives aux aides d'État, des contacts préliminaires informels ont eu lieu avec les services de la Commission européenne pour préparer la notification officielle du projet, qui aura lieu dans les tout prochains jours. À compter de cette notification officielle, la commission disposera d'un délai de deux mois pour statuer.
S'agissant en toute hypothèse d'un financement public, l'imputation budgétaire des crédits nécessaires est sans incidence sur la décision de la Commission européenne. Cette question sera tranchée définitivement dans le cadre de la préparation du projet de loi de finances pour 2005.
Les partenaires constitueront une société détenue à parité par France Télévisions et TF1. La constitution de cette société ouvrira la voie à la signature de la convention la liant à l'État et à la notification de l'opération aux autorités nationales de concurrence.
L'instruction du dossier sera alors du ressort de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie et des finances.
Une fois l'ensemble de ces décisions obtenues, c'est-à-dire dans les tout prochains mois, le projet entrera dans sa phase de réalisation opérationnelle en vue de la diffusion de la chaîne. A ce moment, elle devra bien entendu être conventionnée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, comme toute chaîne diffusée depuis la France. A ce titre, le CSA contrôlera le respect de la convention par la chaîne.
En vertu des règles de droit européen, cette convention passée avec le CSA permettra en outre à la chaîne d'être diffusée en Europe sans avoir à solliciter une autorisation dans chaque pays de réception.
Vous le voyez, monsieur le député, nous avançons. Certes, tout n'est pas encore réglé. Mais, en tout cas, cette chaîne devrait apporter une contribution essentielle au rayonnement politique et culturel de notre pays à travers le monde.
M. le président. La parole est à M. François Rochebloine.
M. François Rochebloine. Monsieur le secrétaire d'État, je ne vous en veux pas pour ces non-réponses. Si elle m'avait été présentée par le ministre de la culture et de la communication, j'aurais été plus sévère, en revanche. Certes, la volonté de rendre la France plus présente dans le monde, grâce à cette chaîne, est clairement exprimée. Le Président de la République en a manifesté le souhait et nous le partageons tous. Je regrette cependant que le Gouvernement n'ait pas pris en considération le rapport de la mission commune entre la commission des affaires étrangères et la commission des affaires culturelles - adopté à l'unanimité, rappelons-le - qui préconisait une opération " public-privé ", mais à partir de l'audiovisuel public. Je déplore donc qu'on ait cédé à certaines personnes - je ne citerai pas de noms mais chacun sait de qui il s'agit - pour favoriser des intérêts privés. Je dénonce dès lors qu'un financement public soit utilisé pour cette chaîne dont les émissions ne seront même pas visibles en France. Sur ce point, vous n'avez d'ailleurs pas pu me répondre clairement alors que je sais que vous souhaiteriez, personnellement, qu'elle soit diffusée à Marseille.
J'espère que, tous ensemble, nous parviendrons à trouver une solution. Malheureusement, nous avons déjà pris beaucoup de retard. Or, compte tenu des délais nécessaires notamment avec la Commission européenne, un an au minimum sera nécessaire avant la diffusion. Cela nous amène en 2005-2006, ce qui nous rapproche de 2007 et des élections présidentielles. Peut-être que d'autres candidats annonceront alors un projet de chaîne internationale ...

Données clés

Auteur : M. François Rochebloine

Type de question : Question orale

Rubrique : Audiovisuel et communication

Ministère interrogé : culture et communication

Ministère répondant : culture et communication

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 mai 2004

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