Question orale n° 860 :
établissements

12e Législature

Question de : M. François Rochebloine
Loire (3e circonscription) - Union pour la Démocratie Française

M. François Rochebloine attire l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation alarmante que connaissent actuellement les prisons françaises du fait de la surpopulation carcérale. Très régulièrement dénoncée depuis plusieurs années, cette situation ne cesse néanmoins de se dégrader, malgré les efforts entrepris par le Gouvernement, notamment dans le domaine immobilier, mais dont les résultats ne sauraient être immédiats. Il lui cite le cas de la maison d'arrêt départementale de La Talaudière (Loire) dont la création remonte à 1969 et qui a accueilli en moyenne sur l'année 2003 près de 450 détenus alors qu'elle avait été conçue pour en recevoir 285. Il observe que les difficultés quotidiennes de fonctionnement qui résultent de cette surpopulation carcérale suscitent de profondes inquiétudes, tant en ce qui concerne la sécurité au sein de la maison d'arrêt, que le respect de la dignité humaine et les conditions de travail des personnels pénitenciaires. Aussi, il lui demande de bien vouloir lui préciser quelles mesures il compte prendre pour améliorer concrètement les conditions de détention dans cet établissement.

Réponse en séance, et publiée le 30 juin 2004

CONSÉQUENCES DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE À LA MAISON D'ARRÊT DE LA TALAUDIÈRE
DANS LA LOIRE

M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour exposer sa question, n° 860, relative aux conséquences de la surpopulation carcérale à la maison d'arrêt de La Talaudière dans la Loire.
M. François Rochebloine. Madame la secrétaire d'État aux droits des victimes, comme l'ont fait de nombreux collègues, je souhaite soulever le problème des conditions de détention et de fonctionnement des prisons françaises.
Aujourd'hui, avec le recul de deux années d'une politique de lutte contre l'insécurité et de répression pénale, force est de constater que le maillon faible du dispositif reste le système pénitentiaire. Non pas que la compétence ou la volonté des acteurs soient en cause, mais l'augmentation actuelle de la population carcérale a des conséquences préoccupantes qu'aucun d'entre nous ne doit ignorer.
J'en veux pour preuve les dernières statistiques nationales qui ont été rendues publiques. Au 17 mars 2004, la France a enregistré le nombre record de 61 032 détenus, ce qui représente un taux d'occupation moyen des établissements pénitentiaires de 125 %. Dans certaines prisons, il dépasse les 200 %.
Tout cela est, hélas, bien connu et nous avons tous présents à l'esprit les conclusions des différents rapports qui ont attiré l'attention de l'opinion publique sur l'état des établissements pénitentiaires. L'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où j'ai l'honneur de siéger, s'en est émue récemment, constatant que la situation s'était aggravée, en quinze ans, dans l'ensemble de l'Europe. Cette assemblée a souligné qu'il conviendrait de rétablir des conditions de détention plus inspirées du souci de réinsérer le détenu à sa sortie de prison.
Nous nous trouvons ainsi confrontés à une situation qui ne cesse de se détériorer : des conditions de vie déplorables pour les détenus, un non-respect des normes minimales d'hygiène et de sécurité. On ne peut que dénoncer une telle situation. Le surpeuplement de détenus ne provoquera, à terme, que découragement et lassitude parmi les personnels et leur encadrement. N'y a-t-il pas là des facteurs de risque très préoccupants ?
Le Gouvernement lui-même a retenu, au titre de ses priorités, un programme de construction des établissements très volontariste et dont nous attendons beaucoup. Mais il demandera du temps pour produire ses effets. Notre pays a accumulé un gros retard en ce domaine, qu'il est bien difficile aujourd'hui de résorber.
Certes, tout ne saurait être résolu par l'immobilier. J'en suis conscient. Il est évident que d'autres pistes devront être explorées si l'on veut rendre un minimum de dignité et d'humanité à la vie carcérale. Je ne me contenterai pas, madame la secrétaire d'État, de ces quelques considérations très générales sur l'état de la prison en France.
En effet, je voudrais illustrer mon propos par un exemple de terrain très révélateur et proprement alarmant : la maison d'arrêt de La Talaudière, située dans ma circonscription.
Cet établissement, créé en 1969 et agrandi en 1990 - il est donc assez récent -, a une capacité théorique de 285 places, alors que le nombre de détenus accueillis est nettement supérieur. Jugez-en : sur la seule année 2003, cette maison d'arrêt a accueilli en moyenne près de 450 détenus, chiffre sans précédent qui représente un taux d'occupation de 170 %. Songeons un seul instant aux problèmes de fonctionnement que ce surpeuplement peut provoquer au quotidien. Membre de la commission de surveillance de cet établissement, j'ai lu son rapport d'activité pour 2003 et je puis vous assurer que les légitimes motifs d'inquiétude sont multiples. La gestion de l'établissement relève d'un véritable tour de force, tant la précarité, la promiscuité permanente et l'accumulation des tensions qui en découle, peuvent entraver, voire rendre inopérant, le fonctionnement d'une organisation forcément dépassée. Un tel état de saturation peut aussi rendre inadaptés les locaux.
La sécurité devient alors une préoccupation constante, que dis-je, une obsession. Les problèmes chroniques d'effectifs concernant les surveillants et les cadres, l'insuffisance de moyens matériels ou encore l'état de dégradation importante des infrastructures de sécurité, contribuent à remettre en cause l'équilibre fragile obtenu au prix d'efforts permanents. Comment ne pas signaler également les risques engendrés par le mélange des populations carcérales : mélange des prévenus et des condamnés, mélange des différentes catégories de délinquants ? Tout cela provoque des situations criminogènes et des tensions peu contrôlables. Et que dire de la difficulté à conduire, dans le même temps, des travaux de rénovation et de maintenance ? Aussi, comment ne pas céder au découragement lorsqu'on a la mission de gérer, d'encadrer, de surveiller et d'accompagner des détenus, d'accueillir leurs familles, etc ? L'établissement n'a pas été conçu pour héberger près de 500 détenus, comme c'est parfois le cas.
À cela s'ajoutent des problèmes autour de la maison d'arrêt, aux abords mêmes de ses murs. Ainsi, je veux rappeler les nuisances subies par les riverains, qui doivent supporter depuis des années des intrusions des familles, des parloirs sauvages et des jets d'objets en tous genres. Il faut avoir vu tout cela pour se rendre compte de l'ampleur des difficultés. Et croyez bien, madame la secrétaire d'État, que je me suis rendu sur les lieux à de nombreuses reprises.
Madame la secrétaire d'État, quelles réponses concrètes pouvez-vous apporter, dans des délais rapprochés ? La situation est plus que préoccupante, elle est humainement intolérable et globalement très alarmante.
M. le président. Monsieur Rochebloine,...
M. François Rochebloine. Je conclus, monsieur le président.
Bien sûr, ce que je viens de décrire n'est hélas pas unique. D'autres prisons françaises, pour certaines très anciennes, sont indignes d'un pays comme la France.
Madame la secrétaire d'État, je n'ignore pas l'ampleur de la tâche à accomplir. Mais cette situation ne peut perdurer. Il est indispensable d'agir vite et d'apporter des réponses concrètes à cette angoisse, que j'ai pu mesurer aussi bien chez les personnels que chez les riverains, les détenus et leurs familles. Car comment ne pas s'interroger plus largement, madame la secrétaire d'État, même si je doute que vous puissiez me répondre ce matin, sur l'efficacité de notre système carcéral ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux droits des victimes.
Mme Nicole Guedj, secrétaire d'État aux droits des victimes. Monsieur le député, Dominique Perben me charge de vous présenter ses excuses pour son absence, et me demande de vous transmettre la réponse suivante.
Il a pris ses fonctions de garde des sceaux il y a plus de deux ans, et a trouvé une situation dans les prisons très dégradée, une " France pénitentiaire " malade et en retard : 102 prisons sur 185 ont été construites avant 1912. La surpopulation actuelle dans les détentions est due au manque de places, mais le nombre de détenus est comparable à celui de nos proches voisins européens. Cette situation résulte incontestablement d'un manque d'initiatives.
La majorité, comme elle l'avait déjà fait autrefois, a seule soutenu le lancement par le Gouvernement d'importants programmes de construction : le programme Chalandon, lancé en 1986, portait sur 13 000 places ; le programme Méhaignerie, voté en 1995, portait sur 4 000 places ; le programme Perben, voté par le Parlement en 2002, porte sur 13 200 places.
La politique du Gouvernement fait la synthèse entre deux impératifs : l'exigence de sécurité et l'exigence d'humanisation des prisons.
D'abord, notre programme de construction de 13 200 places va permettre d'accroître le nombre de places disponibles et de moderniser les conditions de travail des personnels et les conditions de vie et de détention des détenus.
C'est dans ce cadre qu'est notamment prévue la construction d'un centre de détention à Roanne en 2008. Une large partie des condamnés de la maison d'arrêt de Saint-Étienne, qui représentent plus de la moitié du nombre de détenus dans cet établissement, auront vocation à être affectés dans ce nouvel établissement.
Il faut souligner, en second lieu, que les personnels ont un rôle crucial dans le fonctionnement des établissements et il convient de rendre hommage à leur professionnalisme et à leur courage.
C'est pourquoi la loi du 9 septembre 2002 prévoit la création de 3 740 emplois supplémentaires entre 2003 et 2007, et le recrutement de 2 000 personnels de surveillance par an. La direction régionale de Lyon et la maison d'arrêt de Saint-Étienne bénéficieront évidemment de ce programme.
En troisième lieu, il convient de rappeler que la prison n'est pas la réponse unique à l'ensemble des situations pénales et qu'il faut éviter les sorties de prison sans aucune préparation. C'est la raison pour laquelle la loi du 9 mars 2004 pose le principe d'un aménagement des fins de peine sous les formes de la semi-liberté, du placement extérieur et du bracelet électronique. S'agissant de ces derniers, 90 étaient utilisés au mois de janvier 2003, et 737 au 15 juin 2004, avec un objectif de 2 000 à la fin de 2004 et de 3 000 en 2005. Les places de semi-liberté seront accrues dans le département de la Loire dès l'année prochaine.
Enfin, des mesures sont prises pour soulager les maisons d'arrêt les plus peuplées de la direction régionale de Lyon, notamment celle de La Talaudière : les détenus condamnés sont prioritaires sur les places disponibles dans les centres de détention ; un programme de désencombrement des maisons d'arrêt surpeuplées est mis en oeuvre ; enfin, dans les mois qui viennent, la direction régionale de Lyon va bénéficier d'un accroissement des capacités - 1 500 places d'ici la fin de 2005 - dans l'attente de l'ouverture des nouveaux établissements.
M. le président. La parole est à M. François Rochebloine, pour une brève intervention.
M. François Rochebloine. Je m'efforcerai d'être bref, monsieur le président, mais la question est tellement importante que vous me permettrez sans doute d'ajouter quelques mots aux propos de Mme la secrétaire d'État.
Je voudrais tout d'abord la remercier pour toutes les informations qu'elle a bien voulu m'apporter. Comme elle, je suis bien conscient que le garde des sceaux a trouvé au moment de son arrivée était particulièrement dégradée. Par contre, madame la secrétaire d'État, vous avez fait référence aux autres pays européens en semblant dire que nous n'étions pas plus mal lotis qu'eux. Mais ce n'est pas une référence. Comme le Conseil de l'Europe l'a dit, et comme je vous l'ai dit tout à l'heure, la situation est particulièrement délicate.
Je note avec intérêt que des places supplémentaires en semi-liberté sont prévues pour la maison d'arrêt de La Talaudière. Dans les réunions de la commission de surveillance, cette question a été évoquée à plusieurs reprises. Je pense que c'est une réponse positive que vous apportez là.
Je voudrais à mon tour souligner la qualité du travail des personnels. Dans les conditions qu'ils connaissent actuellement, avec parfois pendant la nuit un seul surveillant pour un étage, il arrive qu'ils en viennent à courir des risques. Il y a vraiment urgence, je le répète.
Cela dit, je suis bien conscient, comme vous l'avez vous-même souligné, madame la secrétaire d'État, que la prison ne règle pas tout, et que c'est un vaste débat que nous devons engager ensemble pour apporter des solutions.

Données clés

Auteur : M. François Rochebloine

Type de question : Question orale

Rubrique : Système pénitentiaire

Ministère interrogé : justice

Ministère répondant : justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 29 juin 2004

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