Question orale n° 95 :
politiques communautaires

12e Législature

Question de : M. Étienne Mourrut
Gard (2e circonscription) - Union pour un Mouvement Populaire

M. Etienne Mourrut appelle l'attention de Mme la ministre de l'écologie et du développement durable sur les difficultés rencontrées par de nombreuses collectivités et nombreux propriétaires privés sur le littoral méditerranéen concernant les inconvénients majeurs engendrés par le décret du 8 novembre 2001 relatif à la procédure de désignation et de définition des périmètres des sites protégés européens du réseau Natura 2000. En effet, le législateur prévoit un mécanisme de consultation des collectivités territoriales concernées par la mise en place d'un réseau écologique européen mais qui en pratique se révèle inefficace. En outre les gestionnaires et usagers de l'espace rural ont quasiment été écartés de ce débat. De nombreuses collectivités auxquelles des propositions de sites d'intérêt communautaire ont été soumises, face à l'incohérence de ces proposition, ont émis un avis défavorable, voire ont refusé de délibérer. Face à cette situation de blocage on peut apprécier les limites de ce décret. Aussi et afin de permettre l'adhésion du plus grand nombre autour d'un projet réaliste et opportun, il lui demande de bien vouloir lui indiquer, d'une part, quelles mesures elle entend mettre en oeuvre afin de corriger les conséquences dommageables de la législation actuelle et, d'autre part, comment elle entend associer à cette réflexion les gestionnaires et usagers de l'espace rural.

Réponse en séance, et publiée le 15 janvier 2003

MISE EN OEUVRE DU RÉSEAU NATURA 2000
SUR LE LITTORAL MÉDITERRANÉEN

M. le président. La parole est à M. Etienne Mourrut, pour exposer sa question, n° 95, relative à la mise en oeuvre du réseau Natura 2000 sur le littoral méditerranéen.
M. Etienne Mourrut. Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, je souhaitais aborder un sujet qui nous concerne tous : la protection du patrimoine économique et culturel de notre pays, et plus précisément la mise en place du réseau Natura 2000 dans la région que je représente.
Si nous disposons aujourd'hui d'un patrimoine aussi digne d'intérêt, c'est qu'en amont, des hommes, des femmes ont participé par leur travail, par leur attention à en faire ce qu'il est. C'est l'héritage que nous nous transmettons de génération en génération et que nous devons préserver, et partant faire fructifier.
L'Europe s'est penchée sur la question, en adoptant les directives « Habitat » et « Oiseaux », puis Natura 2000, dont la philosophie initiale était louable.
Mais lorsqu'il a fallu transposer la réglementation européenne dans le droit français, la gauche plurielle a réalisé une prouesse en la vidant de toute sa substance. En effet, au lieu d'organiser un débat démocratique autour de la question et de consulter les parlementaires, elle a pris une ordonnance, évitant ainsi toute discussion.
Il est inadmissible d'avoir procédé de la sorte. Qui mieux que les élus de la nation était en mesure d'adapter cette réglementation européenne aux réalités françaises, et surtout aux spécificités locales ?
Nous ne pouvons toutefois revenir sur le passé. Il nous faut aujourd'hui gérer une situation localement explosive, du fait de la forte mobilisation des acteurs ruraux contre ce projet. A cet égard, madame la ministre, permettez-moi de vous faire part de mes craintes.
Le mécanisme de Natura 2000 devait se dérouler en trois phases : le repérage de zones, la transmission à la Commission européenne et la mise en place du réseau français.
Pour ce qui est du repérage, il a été effectué par des experts désignés en accord avec le Muséum d'histoire naturelle, mais ces derniers ont travaillé isolément, sans recueillir l'avis des usagers. Leur compétence est indéniable, mais leur analyse scientifique est bien loin de la réalité du terrain. D'où la nécessité d'organiser une consultation au niveau des acteurs locaux - communes, propriétaires, exploitants, associations de chasse, etc. - avant de transmettre ces zonages à la Commission, chose qui n'a pas été faite.
Les lettres de consultation adressées aux mairies, dont le contenu s'est révélé confus, avec des directives assez restrictives, n'ont pas permis aux collectivités concernées de se positionner objectivement. Soit la commune ne répondait pas dans un délai de deux mois, et elle était réputée accepter le zonage. Soit la commune refusait le zonage, mais ne fournissait pas suffisamment de raisons techniques : sa décision de refus était alors écartée. Soit elle acceptait purement et simplement, cas très rare. Et que dire des propriétaires qui ont été contraints de consulter individuellement le cadastre pour s'apercevoir que leurs terres étaient dans l'emprise de Natura 2000 ? Si c'est cela que le précédent gouvernement appelle une concertation, on comprend mieux le triste héritage qu'il nous laisse !
Certains diront que le document d'objectifs - DOCOB -, spécificité française, permet justement une adaptation de cette réglementation européenne aux particularités de nos régions. Certes, mais cela revient à oublier que ce fameux DOCOB n'a aucune valeur juridique au niveau européen. En définitive, toute cette réglementation tendant à mettre en place le réseau Natura 2000 en France est trop imprécise, à commencer par le DOCOB.
Venons-en à présent à l'aspect financier de Natura 2000. Il est demandé au propriétaire de signer un contrat qui met à sa charge de nombreuses obligations en termes d'entretien, de culture, de préservation, de plantation, que sais-je encore ! Officiellement, il ne s'agit pas d'une expropriation, et il ne peut donc être question de verser au propriétaire une contrepartie financière. Mais on frôle la voie de fait. Plus fort encore : on dévalue des terres qui, parce qu'elles entrent dans le périmètre de Natura 2000, sont grevées de servitudes que je qualifierai d'écolo-administratives. Les propriétaires de ces parcelles pourront-ils pour autant bénéficier d'allégements fiscaux ?
A présent, la situation est bloquée dans notre région : d'un côté, les revendications légitimes des usagers concernés par Natura 2000 et, de l'autre, une réglementation européenne qu'il faut mettre en place sous peine de sanctions. Face à ce lourd bilan, dû pour l'essentiel au manque de rigueur et de clairvoyance de nos prédécesseurs, il nous faut aujourd'hui marquer une pause afin de mettre en place un réseau cohérent, avec l'accord de tous, ne serait-ce qu'au nom des prescriptions européennes prévoyant que, dans chaque pays, le réseau Natura 2000 doit représenter 5 % du territoire national. En France, d'après mes informations, nous approchons des 6 % !
Agir sous la contrainte n'est pas le meilleur moyen d'obtenir un résultat, loin de là ! Aussi, madame la ministre, afin de permettre l'adhésion du plus grand nombre à un projet réaliste et opportun, quelles mesures pensez-vous pouvoir mettre en oeuvre pour corriger les conséquences dommageables de la législation actuelle et comment entendez-vous associer à cette réflexion les gestionnaires et usagers de l'espace rural ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, j'ai bien noté l'inquiétude de certains maires et propriétaires privés, dont vous vous faites le porte-parole, quant à la procédure de désignation des sites Natura 2000. Vous avez souligné que les gestionnaires et les usagers du monde rural doivent également être associés à cette réflexion. Je comprends vos interrogations et j'y suis d'autant plus sensible que je pilote un site Natura 2000 dans ma région.
Vous avez raison de dire que « nous disposons aujourd'hui d'un patrimoine digne d'intérêt parce que des hommes et des femmes ont participé, par leur travail, par leur attention, à en faire ce qu'il est ». Ce sont les populations de notre espace rural, de notre littoral, de nos montagnes, de nos plaines, qui ont façonné, sauvegardé et patiemment entretenu ces milieux, aujourd'hui reconnus comme exceptionnels pour leur biodiversité.
En ce sens, la labellisation « Natura 2000 », qui marque une rupture avec les approches antérieures de protection stricte et figée des espaces et des espèces, est un outil privilégié d'aménagement et de développement durable de ces territoires ruraux remarquables. C'est même un juste retour pour le monde rural, qui produit l'essentiel de nos ressources naturelles.
Cependant, nous sommes en désaccord sur un point. Je ne peux vous laisser parler de nouvelles « servitudes » grevant les terres localisées dans les sites Natura 2000. L'imposition juridique de servitudes relève en effet du seul droit français, et non du droit européen, et, pour ce qui concerne le patrimoine naturel, les servitudes ont été instituées dans le cadre de textes déjà anciens, dont la loi de juillet 1976 relative à la protection de la nature. Les directives européennes ne sont pas directement opposables aux tiers. Elles ne s'appliquent en droit interne qu'à travers leurs textes de transposition. Or l'ordonnance du 11 avril 2001 et ses décrets d'application ne prévoient nullement de porter atteinte au droit de propriété.
Mais revenons au décret du 8 novembre 2001 relatif à la procédure de désignation des sites Natura 2000. Il vient conforter le rôle essentiel des collectivités locales et des établissements publics de coopération intercommunale dans la procédure de désignation des sites et en précise le cadre juridique, afin de permettre aux différents acteurs de mettre en oeuvre de façon sûre et pérenne la gestion contractuelle des milieux naturels et des espèces pour lesquels des sites ont été désignés. En effet, forte de la subsidiarité permise par le traité de Maastricht, la France a choisi la voie de la concertation et du contrat.
La directive « Habitat » reconnaît que la conservation de la biodiversité passe par le maintien d'activités humaines. Aussi nous faut-il soutenir les efforts des propriétaires, des agriculteurs, des forestiers, des chasseurs, des élus, des associations, en faveur de notre patrimoine naturel en leur proposant un contrat. L'Etat passera donc contrat avec des volontaires - j'insiste sur ce terme -, mais comme il ne peut le faire partout, il cible son soutien dans les zones où la biodiversité est la plus riche. C'est pourquoi, la « labellisation » - je tiens à ce mot, car il ne s'agit pas d'un classement - Natura 2000 s'appuie sur un premier inventaire scientifique, validé notamment au niveau régional par les comités scientifiques régionaux du patrimoine naturel, puis par le Muséum national d'histoire naturelle et le Conseil national de protection de la nature.
Dans les sites labellisés, le cadre de la gestion est concerté - c'est le DOCOB, document d'objectifs - et l'engagement de chacun est volontaire : c'est le contrat de gestion. Au moment de la désignation de la labellisation, les communes sont invitées à présenter leurs observations sur les propositions de sites, mais il ne leur est évidemment pas demandé d'entreprendre des études naturalistes approfondies. Il s'agit d'assurer une bonne information des communes consultées.
Cette procédure de désignation est conforme non seulement aux directives « Oiseaux » de 1979 et « Habitat » de 1992, mais aussi et surtout à la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes selon laquelle les critères invoqués pour la sélection des sites et la définition de leur périmètre doivent être scientifiques. L'accroissement du volume de précontentieux communautaire est d'ailleurs éloquent en la matière.
Au-delà de la procédure de labellisation des sites, et comme je m'y étais engagée - vous avez eu raison de souligner que la concertation a bien souvent été malmenée, pour ne pas dire pourrie -, j'ai rappelé aux préfets, en juillet dernier, que la concertation au plus près du terrain était indispensable à tous les stades de la démarche, en associant toutes les parties prenantes qui exercent des activités sur ces territoires, c'est-à-dire non seulement les élus, bien entendu, mais également tous les représentants des gestionnaires et des usagers de ces espaces. La concertation concerne tant l'échelon local que les échelons départemental et régional.
A l'échelon local, elle se fera via les comités de pilotage des sites, qui doivent réunir l'ensemble des acteurs locaux et où toutes les questions doivent être abordées sans tabous. Six sites du département du Gard font d'ores et déjà l'objet d'une telle démarche.
A l'échelon départemental, les préfets ont réuni à ma demande une instance de débat, de concertation et de suivi dont les comptes rendus de séance montrent tout l'intérêt. La lecture de celui retraçant la réunion organisée dans le département du Gard le 9 octobre 2002 montre l'implication des gestionnaires locaux dans la démarche Natura 2000 - chambre de commerce et d'industrie, fédération des chasseurs, secteur forestier, profession agricole.
Enfin, à l'échelon régional, j'ai demandé aux préfets de se rapprocher des présidents des conseils régionaux afin d'organiser et de développer ensemble l'information, le partenariat et l'évaluation de la politique et des moyens engagés. J'ai souhaité qu'ils s'appuient sur les conseils scientifiques régionaux du patrimoine naturel, qui doivent apporter leur garantie scientifique.
L'ambition du Gouvernement est bien, à travers Natura 2000, de garantir la préservation de notre faune, de notre flore et de nos milieux naturels en permettant - vous l'avez justement rappelé - l'exercice d'activités économiques particulièrement indispensables au maintien des zones rurales et au développement des territoires. Je vous rappelle que la France a été condamnée deux fois par la Cour de justice des Communautés européennes. Pour éviter de lourdes astreintes, il faut donc, dans un dernier effort, poursuivre la désignation, la labellisation des sites, particulièrement pour les zones de protection spéciale relevant de la directive Oiseaux. Cela ne se fera pas sans la totale coopération des élus.
Il est désormais capital de conclure rapidement et en nombre des contrats de gestion qui permettent de rémunérer justement les prestations et services rendus en faveur du maintien de la biodiversité. De telles mesures contractuelles sont d'ores et déjà mises en oeuvre dans votre département. Il faut poursuivre la concertation et le dialogue. Natura 2000 ne doit pas être vécu comme une contrainte, sinon rien ne pourra fonctionner. Si un véritable partenariat est engagé avec les acteurs, nous serons dans un rapport « gagnant-gagnant ».
Vous le voyez, monsieur Mourrut, l'homme n'est pas chassé des sites Natura 2000. S'il l'a été, c'est à cause d'un défaut de procédure. Il s'agit, au contraire, de contribuer à leur développement par l'entretien de ces milieux naturels et d'oeuvrer ainsi à la prévention des incendies et des inondations, que votre département connaît malheureusement bien ! Monsieur le député, je le disais à votre collègue Daniel Spagnou il y a quelques semaines : Natura 2000 ne se fera pas contre nos concitoyens, mais avec eux.
Dans le cadre de la concertation à l'oeuvre avec tous les acteurs de terrain pour la désignation des sites et l'élaboration des DOCOB, ce qui me paraît essentiel, primordial, c'est que les élus locaux soient à la pointe de l'implication, du dialogue et de la construction de Natura 2000. Qui mieux que l'élu local connaît les activités traditionnelles de son territoire ? Qui mieux que lui peut animer la concertation, susciter le volontariat pour passer contrat ? La dynamique est en marche. Je compte sur vous et, d'avance, je vous remercie.

Données clés

Auteur : M. Étienne Mourrut

Type de question : Question orale

Rubrique : Environnement

Ministère interrogé : écologie

Ministère répondant : écologie

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 13 janvier 2003

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