Question de : M. Christophe Premat
Français établis hors de France (3e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

M. Christophe Premat alerte Mme la garde des sceaux, ministre de la justice sur la décision de la Cour Européenne des Droits de l'Homme (CEDH) venant de condamner la Turquie le 6 mars dernier à payer 7 500 euros d'amende à une personne transsexuelle pour lui avoir imposé la condition de stérilité pour changer de sexe. L'intéressé a estimé que l'État turc bafouait son intimité en imposant cette condition, ce qui a été confirmé par l'arrêt de la CEDH. En France, les juges n'ont rien à voir dans le changement de sexe physique des personnes transsexuelles puisque ce sont des médecins qui se prononcent sur l'opportunité de l'opération. Les juges leur demandent une preuve de l'irréversibilité du changement de sexe que cela fasse suite à une ablation ou à un traitement hormonal afin d'accorder un changement de sexe à l'état civil. En d'autres termes, cela signifie que la condition de stérilité figure dans l'évaluation de cette modification. Afin de marquer une différence fondamentale entre la sphère privée et la sphère publique pour éviter ce que le philosophe Michel Foucault a nommé l'émergence de la biopolitique (multiplication des normes témoignant d'une gestion de nos vies privées par le pouvoir politique), il aimerait savoir si notre législation pourrait exclure cette condition de stérilité afin de respecter l'intégrité de ces personnes transsexuelles et de ne pas les discriminer dans leur mutation.

Réponse publiée le 23 août 2016

Le ministère de la justice porte une attention particulière à la question de la procédure de modification de la mention du sexe à l'état civil, dont il connaît les contraintes. A la différence de la situation de la plupart des Etats européens voisins, il n'existe pas, en droit français, de procédure législative ou règlementaire spécifique permettant la modification de la mention du sexe à l'état civil. Le processus de changement d'état civil des personnes transsexuelles est le fruit d'une construction jurisprudentielle ancienne, fondée sur deux arrêts rendus le 11 décembre 1992 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'Homme le 25 mars 1992. Le changement de la mention du sexe est en pratique autorisé sur le fondement de l'article 99 du code civil, relatif à la rectification des actes de l'état civil, lorsque le requérant établit, selon la formulation retenue par la Cour de cassation, "la réalité du syndrome transsexuel […] ainsi que le caractère irréversible de la transformation de son apparence" (1ère chambre civile, 7 juin 2012 et 13 février 2013). Cette construction jurisprudentielle est source d'insécurité juridique et peut s'avérer, en termes procéduraux, lourde pour les requérants. Elle appelle la définition en droit français d'un cadre procédural spécifique et allégé, qui ne saurait se dispenser du recours à une décision exclusivement judiciaire, l'identité sexuelle étant une composante de l'état des personnes soumis au principe d'ordre public d'indisponibilité. L'avis rendu par la CNCDH le 27 juin 2013 ainsi que le rapport du commissaire européen aux droits de l'homme en date d'octobre 2009 et les différentes propositions de loi déposées sur ce sujet ont conduit à ce qu'il soit prévu dans le cadre de du projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, une évolution significative de notre droit interne afin de définir un nouveau cadre légal procédural spécifique et allégé, respectueux d'un juste équilibre entre, d'une part, les exigences conventionnelles, relatives à la protection du droit à l'identité et à la vie privée des personnes concernées, et, d'autre part, le principe de l'indisponibilité de l'état, lequel ne peut, en tout état de cause, faire de la procédure de changement de sexe, une procédure reposant sur une simple déclaration des intéressés. Il est en particulier proposé de clarifier la place des exigences médicales aujourd'hui discutée en jurisprudence afin que celles-ci ne puissent conduire le juge à rejeter une demande, ce qui constitue une évolution fondamentale du droit français.

Données clés

Auteur : M. Christophe Premat

Type de question : Question écrite

Rubrique : État civil

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 14 avril 2015
Réponse publiée le 23 août 2016

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