pouvoirs publics
Question de :
M. François de Rugy
Loire-Atlantique (1re circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain
Question posée en séance, et publiée le 21 janvier 2015
RÉPONSE GLOBALE AUX ATTENTATS ET AUX FRACTURES DE LA SOCIÉTÉ
M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.
M. François de Rugy. Monsieur le Premier ministre, faire vivre l'esprit du 11 janvier suppose de la lucidité à l'égard des contradictions qui traversent notre société comme le monde. Ces contradictions ont vu, par exemple, les représentants de certains pays défiler dans les rues de Paris puis, de retour chez eux, y interdire la diffusion de Charlie Hebdo.
Ces contradictions ont également vu des pays exprimer leur solidarité tout en continuant sur leur sol à condamner les tenants de la liberté d'expression. Je pense douloureusement, en cet instant, au jeune blogueur saoudien Raif Badawi, dont le martyre doit tous nous révolter. (Applaudissements sur de très nombreux bancs.)
Ces contradictions n'épargnent pas la société française. À Nantes, où 75 000 personnes avaient manifesté leur attachement aux valeurs de la République, le Mémorial de l'abolition de l'esclavage a été profané par des messages à caractère raciste.
Ne nous berçons pas d'illusions : la question, ce n'est pas un face-à-face entre « eux » – une communauté fantasmée ou des individus perdus, sans repères ni avenir – et « nous ». La question c'est « nous », ce « nous » collectif qui trop souvent ferme les yeux sur les atteintes à la dignité et à la liberté des femmes ; qui tolère, pour finalement s'en accommoder, des inégalités sociales et relégations territoriales de plus en plus criantes. Ce « nous » aspire à concilier la sécurité de tous et les libertés individuelles.
Être responsables, ce n'est pas faire croire que nous résoudrons toutes ces contradictions, mais réussir à les surmonter. C'est tenir la promesse républicaine de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Il convient de réaffirmer le rôle protecteur et régulateur de l'État et des collectivités locales, en ce qui concerne notamment la sécurité, la justice, l'école et la politique de la ville.
Vous pouvez, monsieur le Premier ministre, compter sur nous dans cette tâche à laquelle les élus écologistes souhaitent prendre toute leur part. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Mesdames et messieurs les députés, monsieur le président François de Rugy, oui, il faut faire preuve de lucidité. Ce mot est d'ailleurs celui qu'ont utilisé de nombreux orateurs ici la semaine dernière, notamment Barbara Pompili.
Lucidité d'abord quant au degré de menace auquel nous faisons face. Je l'ai rappelé ce matin lors de mes vœux à la presse ministérielle, je le répète ici, comme je l'ai fait il y a une semaine : cette menace est réelle. Vous la connaissez. Elle est d'un niveau très élevé et ne concerne pas seulement la France mais de nombreux autres pays européens. Vous avez évidemment tous à l'esprit les événements de la semaine dernière en Belgique.
Nous devons répondre à cette menace avec beaucoup de force et de détermination, en consultant, bien sûr, le Parlement. Bernard Cazeneuve sera auditionné demain par la commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes présidée par Éric Ciotti et dont le rapporteur est Patrick Mennucci, afin précisément de travailler sur des mesures que nous présenterons et détaillerons demain. Je ne reviens pas aujourd'hui, vous pouvez le comprendre, sur ces mesures concernant le soutien aux services de renseignement et la sécurité. Le Président de la République, pour sa part, réunit un conseil de défense. Quant à notre action diplomatique internationale, Laurent Fabius a déjà eu l'occasion de vous la rappeler.
La lucidité s'impose également sur les fractures de notre société. Je n'y reviens pas : vous l'avez dit et je reprends vos mots, ces fractures sont évidentes. Oui, il nous faut lutter contre l'antisémitisme et le racisme. Au-delà de la laïcité, vous avez ajouté un autre élément important : la lutte pour l'égalité entre les hommes et les femmes, combat qui ne se limite pas, bien sûr, à notre pays.
S'il nous faut être lucides sur ces fractures de notre société, il nous faut aussi dire les choses clairement. Nous allons adopter toute une série de dispositifs, car nous savons qu'il faut agir – et pour ce qui est de la sécurité de nos concitoyens, nous l'avons déjà fait. Mais sur bien d'autres sujets, au-delà de ce qui a déjà été engagé, il nous faudra, aussi, du temps. Pour ce qui concerne l'école, les quartiers, le sentiment de relégation ou de ségrégation, dire qu'il serait possible de résoudre les problèmes en quelques jours ou en quelques semaines n'aurait aucun sens. Si nous parlions ainsi, nous ne répondrions d'ailleurs pas à l'exigence exprimée par les Français. Dans certains domaines, ce sera, en effet, l'affaire d'une génération.
Mais il faut bien sûr agir. C'est tout le sens de la réunion de travail que nous aurons avec les ministres et les secrétaires d’État sur ces questions fondamentales de l'école, des valeurs de la République et de la laïcité, la ministre de l'éducation nationale y est revenue il y a un instant.
Il nous faut également faire preuve de lucidité quant au message à adresser à nos concitoyens en matière de laïcité, d'autorité, de respect des règles, mais aussi de droits et de devoirs, pour reprendre les mots du Président de la République.
Au fond, le choc, le traumatisme, la douleur, que le pays a subis il y a une dizaine de jours nous obligent sans doute tous à revoir non seulement nos politiques publiques mais aussi, et dans bien des domaines, nos discours.
Enfin, notre lucidité doit s'exercer sur la manière dont nous nous adressons les uns aux autres. Cet état d'esprit du 11 janvier nous oblige les uns et les autres. Il ne s'agit pas de nier les différences. Et M. Poisson a eu raison de poser une question relative à la politique économique. C'est ainsi que vit la démocratie.
M. Jean-Patrick Gille. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre. On a voulu attaquer la démocratie, la liberté de pensée et la liberté de la presse. La meilleure réponse à cette attaque n'est autre que la démocratie elle-même. Il faut faire vivre le débat, mais dans la dignité. Celui-ci doit être à la hauteur du message que les Français ont adressé. Le débat existe, il n'est pas question de le nier, mais il faut, tout simplement, se placer au bon niveau et prendre assez de hauteur.
M. Jean-Paul Bacquet. Très bien !
M. Manuel Valls, Premier ministre . Nous devons être capables de répondre non seulement au choc que nous venons de subir mais aussi à la crise que nous traversons, crise économique, crise sociale mais aussi crise d'identité et crise de confiance.
Si, sans nier nos différences, nous en sommes capables tous ensemble, en nous hissant au niveau de dignité et d'exigence demandé par les Français, alors je pense que nous aurons fait du bien à notre pays et que nous aurons répondu à l'attente de nos compatriotes. (Vifs applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)
Auteur : M. François de Rugy
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : État
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 janvier 2015