Question au Gouvernement n° 2499 :
commémoration de la Libération

14e Législature

Question de : M. François de Rugy
Loire-Atlantique (1re circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

Question posée en séance, et publiée le 28 janvier 2015


SOIXANTE-DIXIÈME ANNIVERSAIRE DE LA LIBÉRATION D'AUSCHWITZ-BIRKENAU

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, pour le groupe écologiste.

M. François de Rugy. Monsieur le président, le groupe écologiste s'associe à l'hommage rendu aux neuf soldats français morts hier en Espagne.

Monsieur le Premier ministre, sur le monument à la mémoire des victimes du camp de concentration d'Auschwitz, on lit ces mots : « Que ce lieu où les nazis ont assassiné un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants, en majorité des Juifs de divers pays d'Europe, soit à jamais pour l'humanité un cri de désespoir et un avertissement. » Il nous faut lancer aujourd'hui tous ensemble un avertissement, car l'antisémitisme est là, multiforme.

Il se traduit par des mots blessants, prononcés dans nos rues, les cours de nos écoles, sur les réseaux sociaux. Il conduit à des actes insupportables contre des lieux de culte et à des agressions contre des personnes. À Toulouse en 2012, à Paris voilà trois semaines, l'antisémitisme a tué.

L'antisémitisme, ce sont toujours les vieux préjugés religieux, les vieilles haines sociales ressassées, la vieille technique du bouc émissaire, la vieille vision paranoïaque du complot. Mais c'est aussi, et cela est nouveau, le fruit d'un conflit territorial, un conflit que certains tentent d'importer dans les têtes pour mieux développer une entreprise politique qui n'est qu'une forme nouvelle de fascisme habillé d'intégrisme religieux.

Ces formes d'antisémitisme sont différentes, mais comme toutes les formes de rejet de l'autre, elles ont les mêmes alliés : l'oubli et la banalisation. L'oubli, c'est le risque de voir nos enfants, une fois les survivants des camps disparus, ne plus se sentir porteurs de la mémoire de la Shoah. La banalisation, c'est la négation du caractère singulier – par la profondeur de ses racines idéologiques, la méticulosité de sa planification et la monstruosité de son exécution – du génocide nazi. Oubli et banalisation pourraient finalement tenir en un seul mot : l'ignorance.

Comment pouvons-nous ensemble, monsieur le Premier ministre, combattre cette ignorance qui avilit, cette ignorance qui tue ? (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Président de la République ce matin au Mémorial de la Shoah, où beaucoup d'entre vous étaient présents, et le ministre de l'intérieur il y a un instant ont prononcé de fortes paroles.

Je voudrais, en vous répondant, monsieur le président François de Rugy, initier la réflexion suivante, si elle est possible dans cet hémicycle : interrogeons-nous, en ce jour particulier du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau – pour être exact, de la découverte par les troupes soviétiques de l'horreur concentrationnaire – sur la signification même de cette journée, et plus généralement de la particularité de la Shoah et de l'antisémitisme dans l'histoire.

Le racisme, le rejet de l'autre ont toujours existé et perdurent, et touchent ô combien de citoyens, en France et dans le monde. D'autres génocides ont eu lieu, qui ont été rappelés ce matin. C'est d'ailleurs tout à l'honneur du Mémorial que de travailler aussi sur les autres génocides : le génocide du Rwanda, le génocide du Cambodge, le génocide arménien.

M. Franck Gilard. Et l'Ukraine ? Et la Vendée ?

M. Manuel Valls, Premier ministre. Mais il y a une spécificité de la Shoah, et il ne faut jamais l'oublier. Celle-ci tient tout d'abord au fait que les Juifs ont subi cet antisémitisme, ce racisme, ces persécutions depuis des millénaires. Elle tient, ensuite, à la volonté de destruction totale et absolue manifestée par une grande nation, l'Allemagne, appuyée sur une organisation terrible, scientifique, pensée, voulue, et qu'on a souhaité mener jusqu'au bout.

Enfin, cette spécificité nous concerne aussi, et c'est pour cela que notre réponse doit être implacable, comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire. L'antisémitisme fait en effet partie de l'histoire de la République : c'est l'affaire Dreyfus et la manière dont beaucoup ont réagi à ce moment-là qui a sans doute permis à la République progressivement de se refonder.

M. Yves Durand. Très bien !

M. Manuel Valls, Premier ministre . Il y eut également 1940 et les lois scélérates du régime de Vichy, qui appartiennent en grande partie à notre patrimoine, si j'ose dire.

Que soixante-dix ans après, et nous l'avons tous dit, on crie de nouveau « mort aux Juifs ! » dans les rues de Paris, que soixante-dix ans après on tue des Français parce qu'ils sont Juifs, que soixante-dix ans après des enfants disent dans l'enceinte de leur école que leur ennemi c'est le Juif, que soixante-dix ans après, malgré les témoignages et le travail de mémoire qui a été fait, cet antisémitisme traditionnel soit toujours présent, et que soixante-dix ans après s'y adjoigne un nouvel antisémitisme sur fond de misère et d'antisionisme, sur fond de haine d'Israël et de rejet de l'autre, cela signifie que nous devons nous rebeller.

Les événements que nous venons de connaître, qui coïncident avec cet anniversaire, nous obligent, comme l'a rappelé le chef de l'État, à être intraitables sur la question de la mémoire, intraitables sur la question de l'éducation, de la diffusion et de l'apprentissage de la mémoire, donc de ce qui s'est passé voilà soixante-dix ans, intraitables sur la question de la sécurité que nous devons à nos compatriotes, intraitables sur les sanctions que nous devons opposer à cet antisémitisme, tant quand il s'exprime sur Internet que quand il prend la forme d'une parole antisémite.

L'antisémitisme et le racisme sont des maux identiques tout en étant deux choses différentes ; la loi permettra désormais, pour l'un comme pour l'autre, de prendre des sanctions impitoyables, et la garde des sceaux y travaille. Car nous savons, et chacun doit l'entendre, que les mots tuent. C'est bien pour cela que la République est debout, pour dire que ce qui s'est passé est inacceptable et qu'à partir de maintenant la République répondra coup pour coup à ces mots et à ces actes. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR et RRDP, ainsi que sur les bancs du groupe UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.)

Données clés

Auteur : M. François de Rugy

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Cérémonies publiques et fêtes légales

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2015

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