Question orale n° 1510 :
DOM-ROM : Guyane

14e Législature

Question de : Mme Chantal Berthelot
Guyane (2e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

Mme Chantal Berthelot interroge Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche sur la mise en place effective du bilinguisme dans les écoles primaire de Guyane dans lesquelles la langue maternelle des enfants n'est pas le français, en particulier dans les villages amérindiens et bushinenges du Maroni et de l'Oyapock. Malgré l'existence de dispositifs pour favoriser l'apprentissage de la lecture et de l'écriture du français, dans le cadre d'une médiation entre le français et la langue maternelle comme les intervenants en langue maternelle, ceux-ci sont loin d'être généralisés et ne constituent qu'une mesure insuffisante. Aucune mesure n'a encore été prise, aucune expérimentation n'a encore été menée, dans un cadre scolaire ou extrascolaire, pour favoriser un co-apprentissage dans la langue maternelle et le français au-delà d'une simple médiation linguistique. Un enfant qui apprend le français en même temps qu'il apprend à lire et à écrire n'est pas placé dans les mêmes conditions de réussite qu'un enfant francophone. L'échec scolaire dans ces villages est dû en grande partie, non pas à la maîtrise du français, mais bien à celle de la lecture et de l'écriture. Elle lui demande quelles mesures le Gouvernement entend prendre pour favoriser le bilinguisme et garantir à ces enfants les mêmes chances de réussite avec une adaptation du système scolaire à la réalité linguistique de la Guyane.

Réponse en séance, et publiée le 16 juin 2016

BILINGUISME DANS LES ÉCOLES PRIMAIRES DE GUYANE
M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot, pour exposer sa question, n°  1510, relative au bilinguisme dans les écoles primaires de Guyane.

Mme Chantal Berthelot. Madame la secrétaire d'État chargée de la ville, ma question s'adresse à Mme la ministre de l’éducation nationale, ainsi qu'à Mme la ministre de la culture.

Depuis 1996, les Recommandations de La Haye concernant les droits des minorités nationales à l'éducation préconisent la langue maternelle de l'enfant comme vecteur idéal de l'enseignement au niveau de l'école primaire. En décembre 2011, les principales recommandations des États généraux du multilinguisme dans les outre-mer qui se déroulèrent à Cayenne sous l'égide du ministère de la culture, insistaient encore sur la reconnaissance du « droit de tout enfant à apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle, et le fait d'offrir un cadre institutionnel à cet apprentissage, y compris en dehors du système scolaire ».

Or, dans la plupart des villages du Maroni et de l'Oyapock, ainsi que sur le littoral, qu'ils soient amérindiens ou bushinengués, nos enfants n'ont pas le français pour langue maternelle. La reconnaissance de l'identité de ces peuples nous impose le respect et la défense de la spécificité de chacune de leurs langues, d’ailleurs reconnues comme langues de France. L'échec scolaire de nos enfants est dû en grande partie à leurs difficultés à entrer dans les processus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture du français. C'est pourquoi l'adaptation du système scolaire à nos particularités linguistiques est indispensable, pour garantir à ces enfants les mêmes chances de réussite.

Si je salue aujourd'hui le travail des intervenants en langue maternelle, véritables passerelles entre le français et la langue maternelle de l'enfant, je constate que ce dispositif est loin d'être généralisé et reste insuffisant. Je regrette également qu'aucune mesure ni expérimentation n'ait pu être menée pour favoriser, au sein de l'école ou dans un cadre extrascolaire, un co-apprentissage de la lecture et de l'écriture dans la langue maternelle et le français. Or les linguistes réunis à Cayenne en 2011 ont affirmé que le bilinguisme demeure l'une des conditions essentielles de la réussite scolaire des enfants.

Madame la secrétaire d'État, quand le Gouvernement mettra-t-il en œuvre cet impératif de réussite éducative ?

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la ville.

Mme Hélène Geoffroy, secrétaire d'État chargée de la ville. Madame la députée, je vous prie d'excuser Mme la ministre de l'éducation nationale qui m'a chargée de vous répondre.

Le ministère de l’éducation nationale, vous le savez, est déterminé à préserver les langues régionales : il l'a démontré dès 2012 en inscrivant dans la loi de refondation de l'école de la République la possibilité du recours à ces langues pour l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture, et en l'étendant aux enseignements du second degré et à l'ensemble des disciplines. C'est en ce sens que l'académie de la Guyane souhaite conforter la place des langues et des cultures de son territoire, avec l'ambition forte de se doter dans les dix prochaines années de plusieurs écoles primaires bilingues à parité horaire, notamment le long du Maroni et de l’Oyapock que vous avez évoqués.

Nous souhaitons aujourd'hui aller du bilinguisme de substitution actuel, confiné au cycle 1 du niveau pré-élémentaire, vers un bilinguisme additif, généralisé sur la continuité des cycles 1 à 3 et sur plusieurs écoles du territoire. Ce projet, vous l’imaginez bien, engage un effort important non seulement de recrutement et de formation de cadres enseignants, mais également en matière d'outillage didactique et d'ingénierie pédagogique, totalement pris en compte par le projet et la démarche académiques actuels. À ce titre, un calendrier de réalisation est en cours d'élaboration afin de baliser temporellement la mise en œuvre de ces ambitions et de rendre visible et lisible la volonté académique à ce sujet.

Plusieurs étapes marquent déjà des avancées significatives : c'est le cas du projet de dictionnaire et lexique bilingues des langues de Guyane, dont l'édition est prévue pour 2017, ainsi que du parcours de professionnalisation qui a été mis en place pour les intervenants en langue maternelle, afin de leur reconnaître une véritable compétence plurilingue et multiculturelle. Il convient de ne pas oublier non plus la création de formations et d'habilitations à enseigner dans les langues de Guyane, qui concerneront les locuteurs natifs de ces langues, à l'image de ce qui existe déjà pour les professeurs des écoles des sections bilingues français/créole guyanais du littoral.

Enfin, une expérimentation pédagogique et didactique en cycle 2 est en préparation pour la rentrée scolaire prochaine, pour les langues kali'na et wayana, à l'école Yanamalé d'Awala, à l'école Yukaluwan d'Iracoubo, ainsi que dans les écoles de Taluhwen, Antekum, Kayodé et Élahé.

Vous le voyez, madame la députée, c'est en restant attentif à la place accordée aux langues et cultures régionales dans les enseignements scolaires et en formant les intervenants que le ministère de l’éducation nationale continue de mener son action.

M. le président. La parole est à Mme Chantal Berthelot.

Mme Chantal Berthelot. Je remercie Mme la secrétaire d'État des perspectives qu'elle a tracées ainsi que du calendrier qu'elle nous a annoncé, au nom de la ministre de l'éducation nationale. Nous espérons que ce calendrier sera tenu afin que les enfants de Guyane aient toutes leurs chances de réussite. La République le leur doit bien.

Données clés

Auteur : Mme Chantal Berthelot

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

Ministère répondant : Éducation nationale, enseignement supérieur et recherche

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 7 juin 2016

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