mariage
Question de :
M. Stéphane Demilly
Somme (5e circonscription) - Union des démocrates et indépendants
M. Stéphane Demilly attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'impuissance des maires face aux demandes de mariage impliquant des étrangers en situation irrégulière. En effet, dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que, la liberté du mariage étant un principe fondamental et une composante de « la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 », le respect de ce principe « s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé ». Il n'est évidemment pas question de remettre en cause les composantes de la liberté individuelle, et bien sûr la décision du Conseil constitutionnel s'impose à toutes les autorités publiques et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Toutefois, cette décision est choquante, car elle s'applique de façon absolue. Ainsi, comme beaucoup de maires, il a été récemment confronté à un mariage où l'un des futurs époux était en situation irrégulière et où il était manifeste que la motivation première dudit futur époux n'était pas l'amour mais l'intérêt, celui d'obtenir un titre de séjour voire, au bout d'un certain temps de vie commune, une carte de résident ou même la nationalité française ! Ayant signalé cet état de fait au tribunal de grande instance de son département, il lui a été opposé la décision du Conseil constitutionnel. Le mariage a donc été célébré, et comme c'était prévisible, il n'a fallu que très peu de temps pour que l'époux en question, ayant obtenu ce qu'il voulait, oublie totalement les sentiments qui soi-disant l'animaient... Ce genre de situation est absolument incompréhensible, non seulement pour les maires, mais tout simplement pour nos concitoyens, qui ne comprennent légitimement pas qu'on ne puisse, dans ces circonstances précises, refuser de célébrer le mariage. Bien sûr, on pourra répondre que des poursuites peuvent toujours être engagées ultérieurement, mais cela n'enlève rien au caractère choquant de la situation. Il lui demande donc, d'une part, de lui donner son point de vue sur cette question et, d'autre part, de lui préciser les moyens dont dispose un maire pour s'opposer à ce cas de figure.
Réponse en séance, et publiée le 24 avril 2013
MARIAGES D'ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly, pour exposer sa question, n° 270, relative aux mariages d'étrangers en situation irrégulière.M. Stéphane Demilly. Je souhaite attirer l'attention de Mme la garde des sceaux sur l'impuissance des maires face aux demandes de mariage impliquant des étrangers en situation irrégulière.
Dans sa décision du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que la liberté du mariage est un principe fondamental et une composante " de la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ". De ce fait, le respect de ce principe "s'oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d'un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l'intéressé ".
C'est là que le bât blesse et que les principes se heurtent malheureusement à la réalité. Naturellement, il n'est pas question pour moi de remettre en cause les composantes de la liberté individuelle. Quant à la décision du Conseil constitutionnel, elle s'impose à toutes les autorités publiques et ne peut faire l'objet d'aucun recours.
Toutefois - et je l'ai écrit récemment au Président du Conseil Constitutionnel - cette décision est choquante car elle est appliquée par les tribunaux de façon absolue et sans discernement.
Ainsi, comme beaucoup de maires, et peut-être, monsieur le ministre, comme vous-même à Palaiseau, j'ai été récemment confronté à un mariage où l'un des futurs époux était en situation irrégulière. Et surtout il était manifeste pour tout le monde - sauf peut-être malheureusement pour la future mariée - que la motivation première du futur époux n'était pas l'amour mais l'intérêt, celui d'obtenir un titre de séjour voire, au bout d'un certain temps de vie commune, une carte de résident ou, pourquoi pas, la nationalité française !
Estimant que c'était mon devoir, pour la première fois depuis vingt-quatre ans que je suis maire, j'ai aussitôt signalé cet état de fait au tribunal de grande instance d'Amiens - je ne désespère pas de pouvoir le faire à l'avenir au TGI de Péronne, dont j'attends avec impatience la réouverture -, mais on m'a opposé la décision du Conseil constitutionnel.
Je suis respectueux de la loi et le mariage a donc été célébré. Comme c'était prévisible, il n'a fallu que très peu de temps pour que le nouvel époux, ayant obtenu ce qu'il voulait, oublie totalement les sentiments qui soi-disant l'animaient. " Bien mal acquis ne profite jamais "... Le proverbe, si l'on se réfère à cet exemple concret, n'est pas exact !
Monsieur le ministre, ce genre de situation est absolument incompréhensible pour les maires, mais aussi pour nos concitoyens. Personne ne peut comprendre que nous ne puissions légitimement, dans ces circonstances précises, refuser de célébrer le mariage !
Vous me répondrez que des poursuites peuvent toujours être engagées ultérieurement. Mais cela n'enlève rien au caractère choquant de la situation.
Je vous demande donc de me donner votre point de vue sur cette question et de me préciser les moyens dont dispose un maire pour s'opposer à ce cas de figure.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville.
M. François Lamy, ministre délégué chargé de la ville. Monsieur le député Demilly, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Mme la Garde des Sceaux, actuellement retenue au Sénat.
Vous l'avez interrogée sur les moyens dont disposent les maires pour s'opposer à un mariage entre une personne étrangère en situation irrégulière et une personne de nationalité française, dès lors qu'il est manifeste que la motivation est d'obtenir, pour le futur époux ou la future épouse en situation irrégulière, un titre de séjour. Vous regrettez " l'impuissance " des maires face à ce type de situation. Vous citez dans votre question la décision rendue le 20 novembre 2003 par le Conseil constitutionnel qui s'applique, selon vous, de " façon absolue ", interdisant tout recours préalable au mariage.
La liberté du mariage, qui est une composante de la liberté personnelle, est protégée par les articles 2 et 4 de la déclaration des droits de l'Homme de 1789. Au nom de ce principe, le caractère irrégulier du séjour ne peut, à lui seul, faire obstacle au mariage de l'intéressé. C'est ce qu'a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision. Ainsi, l'irrégularité de la situation administrative sur le territoire national d'un des deux époux ne peut-elle, au nom de ces principes supérieurs, constituer un motif suffisant, à lui seul, pour prétendre à une nullité du mariage ou s'opposer à sa célébration.
Néanmoins, en application de la loi, notamment de l'article 175-2 du code civil, le maire doit effectuer avant la célébration du mariage des vérifications afin de s'assurer de la véritable intention matrimoniale des futurs mariés, c'est-à-dire de leur consentement à une véritable union matrimoniale. Le magistrat peut dans ce cas soit laisser faire opposition, soit surseoir à sa célébration dans l'attente des résultats d'une enquête qu'il peut diligenter.
Ces dispositions de l'article 175-2 du code civil s'appliquent dès lors que le maire à un doute sur la réalité du consentement, et ce quel qu'en soit le motif, notamment le détournement du mariage pour couvrir une régularisation. En cas de litige, seul le tribunal appréciera. Il appartient ensuite à l'autorité judiciaire d'apprécier s'il convient de s'opposer à la célébration du mariage, cette opposition ne pouvant être formée qu'au motif que la nullité du mariage pourrait être demandée.
Ainsi, en 2012, 980 demandes visant à faire reconnaître la nullité d'un mariage, ont été présentées, tous motifs confondus, soit 0,4 % de l'ensemble des mariages célébrés.
Auteur : M. Stéphane Demilly
Type de question : Question orale
Rubrique : Famille
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 avril 2013