Question orale n° 607 :
mariage

14e Législature

Question de : Mme Annie Genevard
Doubs (5e circonscription) - Les Républicains

Mme Annie Genevard alerte M. le ministre de l'intérieur sur les problèmes d'immigration déguisée par le biais de mariages pour lesquels il apparaît une très grande différence d'âge entre les époux, ce qui interroge quant à l'authenticité de ces unions. En effet, confrontée à cette situation particulière sur sa commune et souhaitant vérifier les motivations réelles d'un mariage, elle a contacté le consulat de France en Tunisie et a pu constater une situation alarmante faisant ressortir entre 2 500 et 3 000 mariages franco-tunisiens avec un taux record de 80 % de divorces dans les deux ans suivant le mariage.

Réponse en séance, et publiée le 16 avril 2014

SINCÉRITÉ DES INTENTIONS MATRIMONIALES DANS LES DOSSIERS PRÉSENTÉS AU CONSULAT DE FRANCE EN TUNISIE.
M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard, pour exposer sa question, n°  607, relative à la sincérité des intentions matrimoniales dans les dossiers présentés au consulat de France en Tunisie.

Mme Annie Genevard. Monsieur le ministre, en tant qu'élue municipale, j'ai été amenée à auditionner une habitante de ma commune âgée de soixante-huit ans, que je connais bien en raison des responsabilités qu'elle a exercées dans sa vie professionnelle, et désireuse de se marier en Tunisie avec un jeune Tunisien de trente et un ans son cadet. Au cours de l'audition, il m'est apparu que les motivations de ce mariage n'étaient peut-être pas de nature à protéger sa personne et ses biens.

Leur différence d'âge, la méconnaissance de l'autre induite par l'absence de maîtrise linguistique, le comportement pressant de la future belle-famille, le fait que mon administrée possède des biens en France me font craindre une motivation intéressée de la part de ce jeune homme.

J'ai donc pris contact avec le consulat de France en Tunisie et j'ai découvert une situation des plus alarmantes. En effet, selon les dires de mon interlocuteur au consulat, 2 500 à 3 000 mariages de ce type sont prononcés chaque année et suivis de 80 % de divorces dans les deux ans.

En raison d'un accord particulier entre la France et la Tunisie, l'obtention d'un titre de séjour d'un an, consécutif au mariage, donne lieu ensuite à l'établissement automatique d'un titre de séjour de dix ans, période pendant laquelle, souvent, les ressortissants Tunisiens épousent des femmes de leur âge et de leur nationalité avec lesquelles ils s'établissent en France. Selon le consulat, la situation est comparable, avec des délais différents, en Algérie, au Maroc ou au Sénégal.

Cette situation particulière à laquelle je me suis trouvée confrontée révèle une filière d'immigration à peine dissimulée, qui détourne légalement l'institution du mariage et peut plonger dans une grande détresse des femmes fragilisées et parfois dépouillées.

Qu'entendez-vous faire, monsieur le ministre, pour remédier à cette situation, qui peut se révéler très préjudiciable à nos compatriotes ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du gouvernement. Madame la députée, en prenant l'exemple d'une situation à laquelle vous avez été confrontée, vous avez souhaité attirer l'attention du ministre de l'intérieur sur les questions posées par les mariages simulés.

Depuis plusieurs années, la fraude au mariage est un problème sensible dans certains pays, dont la Tunisie. La détection de la lutte contre les mariages simulés, qui relève de la sauvegarde de l'ordre public, doit être conciliée avec un principe fondamental : la liberté de mariage, « composante de la liberté personnelle ».

Les mariages simulés ou fictifs ont un caractère frauduleux que l'administration, à qui incombe la charge de la preuve, établit à partir d'un faisceau de multiples indices concordants, démontrant l'absence d'intention matrimoniale réelle.

Le droit positif comporte un certain nombre de dispositions permettant aux autorités consulaires, préfectorales ou judiciaires, dans le respect de la liberté de mariage, de détecter, annuler et réprimer ces mariages fictifs ou frauduleux. Ainsi, le visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois peut être refusé à un conjoint étranger en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public.

Afin de permettre aux autorités consulaires de détecter ces mariages, l'article 171-4 du code civil prévoit que si des indices sérieux laissent présumer que le mariage envisagé encourt la nullité, l'autorité diplomatique ou consulaire saisit sans délai le procureur de la République compétent. Par ailleurs, l'article 171-2 du code civil rend obligatoire la délivrance d'un certificat de capacité à mariage avant la célébration de l'union. Sans ce certificat, la célébration de l'union peut être refusée par les autorités locales, de même que la transcription ultérieure du mariage sur les registres de l'état civil français.

Les autorités consulaires françaises ont ainsi la possibilité d'auditionner les deux futurs conjoints, éventuellement séparément, de demander à la préfecture du lieu du domicile du conjoint français d'effectuer une enquête et peuvent refuser la délivrance du visa s'il existe un faisceau d'indices concordants prouvant la fraude au mariage. Les préfectures disposent des mêmes pouvoirs lors du renouvellement du titre de séjour du conjoint étranger de Français.

Enfin, le droit pénal – article L 623-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – réprime également le fait de contracter un mariage dans le seul but d'obtenir un titre de séjour. Comme vous le savez, les services de l'État – officiers d'état civil, parquet, consulats et préfectures – sont mobilisés depuis plusieurs années pour lutter efficacement contre ce type de fraude.

Le Gouvernement n'entend pas rester inactif face à ces fraudes au séjour. Il proposera au Parlement, dans le cadre de la mise en œuvre du titre de séjour pluriannuel, de doter les préfectures de nouveaux outils juridiques pour détecter les fraudes, ce qui, je crois, permettra d'aller dans le sens que vous souhaitez.

M. le président. La parole est à Mme Annie Genevard.

Mme Annie Genevard. Merci, monsieur le ministre. Vous venez d'énumérer tous les dispositifs législatifs qui permettent d'éviter ce type de situations. Je voudrais apporter deux réflexions au débat. Tout d'abord, l'approche que vous venez de nous décrire résiste mal aux chiffres : lorsque vous l'interrogez, le consulat indique qu'il ne peut faire annuler qu'un très petit nombre de mariages et qu'il est extrêmement difficile de déterminer le caractère frauduleux de la démarche.

En tant que maire, j'en ai personnellement fait l'expérience dans ma commune, où j'ai eu toutes les peines du monde, avec le procureur, à empêcher le mariage d'une très jeune mineure. Le défaut de consentement était manifeste, mais je vous assure qu'il a été très difficile de le déterminer.

De l'intention à la faisabilité, il y a donc un monde. En tout cas, les chiffres attestent de la réalité de la situation et appellent une réaction déterminée des pouvoirs publics.

M. Jacques Myard. Très bien !

Données clés

Auteur : Mme Annie Genevard

Type de question : Question orale

Rubrique : Famille

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er avril 2014

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