Question orale n° 614 :
suppression

14e Législature

Question de : Mme Marie-Françoise Bechtel
Aisne (4e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

Mme Marie-Françoise Bechtel interroge Mme la ministre de la réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique sur le futur projet de loi de décentralisation. Le Président de la République l'a souligné en janvier 2014, l'organisation du territoire apparaît aujourd'hui « trop compliquée, trop lourde, trop coûteuse », avec ses doublons et ses « échelons qui se superposent les uns aux autres ». Elle est devenue « illisible pour nos concitoyens » et nécessite une clarification des compétences. Si ce diagnostic fait aujourd'hui consensus, le remède à apporter est plus discutable. D'aucuns considèrent ainsi que ce qu'il est convenu d'appeler le mille-feuilles territorial gagnerait en lisibilité et en efficacité par un renforcement du pouvoir des régions. À quoi cela conduirait-il ? Essentiellement à éloigner encore davantage le pouvoir politique exercé à l'échelon régional des citoyens. Pour nombre de ces derniers, en effet, la région demeure lointaine, ses instances de décision abstraites, le bon échelon de proximité et par là même de démocratie restant celui de la commune et du département. Aux yeux de nos concitoyens, le département, d'ailleurs doté d'une vraie légitimité historique, est le garant d'un maillage territorial efficace en ce qui concerne notamment l'accès aux services publics. Un renforcement du pouvoir des régions au détriment des départements n'irait donc pas dans le sens d'un renforcement de la démocratie, alors même que c'est ce dernier objectif qui a constamment été invoqué lors des vagues successives de décentralisation depuis 1982. D'autres, les plus audacieux sans doute, prônent la fusion des départements dans des régions élargies, organisant ainsi la disparition des départements. C'est un contresens si l'on admet que, compte tenu de la taille et de la diversité du territoire national, il est indispensable de trouver un cadre géographique approprié pour que le citoyen ne se sente pas trop éloigné des échelons de décision et de gestion. Rien n'empêcherait en revanche de se pencher sur l'opportunité d'une fusion de départements, en général deux à deux, aboutissant à un cadre plus large sans qu'il ne soit démesuré. La décentralisation n'est pas la régionalisation souhaitée par certains notables. La décentralisation, celle qui répond à un esprit de modernisation, doit servir l'intérêt général, non les intérêts de systèmes politiques locaux tendant naturellement à l'expansion, ou ceux des tenants de l'autonomie identitaire. Le cadre régional constitue un bon échelon pour l'aménagement du territoire, la concertation entre les acteurs locaux et la définition des grandes lignes de l'action publique. De ce point de vue, nous en sommes arrivés, avec la loi dite MAP, à un point qui ne saurait être dépassé sans mettre en péril l'équilibre tout entier du territoire national, avec un État qui d'un côté viendrait au secours des régions les moins favorisées et de l'autre serait condamné à regarder passer le train d'initiatives destinées à accroître sans cesse les pouvoirs et le rayonnement de telle ou telle baronnie. Les Français, attachés à une égalité de traitement qui ne se confond pas, comme on feint parfois de le croire, à l'uniformité, n'y trouveraient pas leur compte. La simplification des structures territoriales de la France pourrait sans doute s'accommoder, outre la fusion de certains départements évoquée précédemment, d'une métropolisation étendue à certaines zones moyennement peuplées, reposant sur l'incitation à des projets collectifs, au renforcement de l'égalité devant les services publics et globalement à la meilleure prise en compte possible de la diversité des problèmes que rencontrent nos territoires. Elle l'interroge donc sur l'approche qu'elle entend privilégier en ce qui concerne l'évolution de nos structures territoriales.

Réponse en séance, et publiée le 7 mai 2014

MAINTIEN DU RÔLE DES DÉPARTEMENTS DANS LE CADRE DU PROJET DE RÉFORME TERRITORIALE
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour exposer sa question, n°  614, relative au maintien du rôle des départements dans le cadre du projet de réforme territoriale.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Merci, monsieur le président, mais ce n'est pas tout à fait l'objet central de ma question. Nous savons depuis la déclaration de politique générale du Premier ministre et certaines de vos interventions, madame la ministre, que les projets du Gouvernement prévoient la réduction du nombre des régions, la suppression du département et le renforcement des intercommunalités – soit trois volets. Ce diagnostic semble reposer sur l'idée que ce qu'il est convenu d'appeler le mille-feuille territorial gagnerait en lisibilité et en efficacité par un renforcement du pouvoir de régions élargies au détriment du département dont les intercommunalités reprendraient les attributions. Telle est, d'après ce que j'ai compris, la logique de ce projet. Ce schéma en apparence rationnel demande cependant à être confronté aux réalités. Si, en premier lieu, les intercommunalités devaient se substituer entièrement au département, ne peut-on pas craindre un certain effet de dispersion ? Là où une seule collectivité territoriale, bien identifiée, analysait les besoins et répartissait les moyens, ce seront des EPCI qui agiront dans des territoires plus restreints mais surtout très hétérogènes. Il est donc à redouter qu'un système lourd et complexe de péréquation soit monté et que l'action de la collectivité devenue compétente – l'EPCI – ne soit pas lisible pour les citoyens.

En sens inverse de cette absence de lisibilité, le découpage du territoire français en super-régions risque d'éloigner encore davantage les citoyens d'un pouvoir exercé à pareille échelle. Nul ne pourrait en effet soutenir, après trente ans de décentralisation, que la région est le lieu d'une démocratie vivante. C'est en réalité un échelon territorial utile pour la planification de besoins plus larges que ceux du département, tels que la formation professionnelle ou les projets à grande échelle, les contrats de plan État-région ou les attributions de FEDER. Dans ces conditions ne serait-il pas préférable – ce n'est sans doute qu'une piste parmi d'autres – de procéder à la fusion de certains départements de manière à obtenir un cadre suffisamment homogène mais qui ne soit pas trop lointain pour la population ?

M. Éric Straumann. Très bien !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Simultanément, l'échelon régional pourrait soit rester, en quelque sorte, dans le schéma actuel, soit – car on sait bien que ce n'est pas lui qui coûte cher –, dans le cas de grands découpages régionaux, être redéfini – j'ai bien conscience de l'ambition de ma proposition ! – non plus comme une collectivité territoriale au sens de la Constitution mais comme un échelon de concertation avec les élus et de programmation de projets économiques. Une telle réforme, également ambitieuse – et qui demande d'ailleurs une modification de la Constitution, comme dans le cas de la suppression du département –, aurait l'avantage d'avancer dans la voie de la simplification de notre organisation territoriale, sans créer au sein de celle-ci des inégalités qui seraient difficiles à faire accepter à nos concitoyens, surtout si elles devaient fleurir dans de grandes baronnies dont notre histoire a connu les dangers.

Mme Marie-George Buffet. Les féodalités !

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma question porte ainsi, madame le ministre, sur l'approche que vous entendez privilégier en ce qui concerne l'évolution de nos structures territoriales, et non pas du seul département.

Mme Marie-George Buffet. Très bien !

M. Damien Abad et M. Éric Straumann . Bravo !

M. le président. La parole est à Mme la ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique.

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation, de la réforme de l'État et de la fonction publique. Je vous remercie pour votre question, madame Bechtel. Effectivement, le débat est extrêmement ouvert. J'ai toujours réfuté cette idée de « baronnies », car je pense que tous les élus sont légitimes : qu'ils soient présidents de conseil général ou d'une toute petite commune, ce ne sont jamais des barons.

Nous avons plusieurs voies pour réussir cette réforme. Je rappelle toujours, parce que cela a peut-être échappé à beaucoup pour des raisons de temps, que dans la première loi, j'ai demandé, par expérience et par respect des citoyens qui demandent des réformes compréhensibles, à ce que, dans chaque région, une conférence territoriale de l'action publique de France, permette de discuter entre régions, départements et intercommunalités, mais également agglomérations ou métropoles, s'il y en a, de la meilleure façon de conduire non pas une répartition des compétences, mais une délégation des compétences. Nous avons accepté dans ce texte de loi quelque chose qui était demandé par tous : la reconnaissance de la diversité des régions françaises. Ce n'est pas la même chose de vivre en Île-de-France, en Aquitaine ou en Bretagne. Nous avons voulu cette conférence pour préparer un échange extrêmement responsable entre les élus, qui ne sont ni laxistes ni prompts à la gabegie, contrairement à ce que l'on dit beaucoup trop souvent. Ils pourront ainsi dire qu'il vaut mieux, par exemple, confier dans tel type de région, la gestion des collèges aux intercommunalités ou à la région –en Île-de-France, mais pas ailleurs.

Mme Marie-George Buffet. Les collèges, ce sont les départements !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. La prochaine conférence territoriale de l'action publique de la région Île-de-France va poser cette question : faut-il confier les collèges aux intercommunalités ou aux régions ? À la question de savoir s'il faut imaginer des systèmes différents, la réponse est oui. Quant à savoir s'il y a une différence entre les grandes zones urbaines et les grandes zones rurales, la réponse est également oui. À partir de ce constat, une première étude, dont nous aurons les résultats cet été, a été lancée sur la métropole du Grand Paris : elle doit montrer comment être plus juste dans l'attribution des compétences et éviter, par exemple, d'avoir du fait de l'existence et des frontières des départements, des départements riches et des départements pauvres. J'entends souvent cette critique concernant la réforme territoriale : elle serait une marche vers l'inégalité de droit. Mais celle-ci existe déjà et elle est prégnante aujourd'hui ! Il existe de l'hyper-richesse et de l'hyper-pauvreté : nous devons trouver des solutions. Nous pensons, dans le cas du Grand Paris, que la solidarité doit être obligatoire, ce qui impose sans doute une disparition des départements. S'agissant des départements ruraux, j'en appelle à une réflexion menée avec les intercommunalités. Mais il est bien difficile, madame Bechtel, de répondre en si peu de temps à une question aussi vaste ! Garantir aux communautés de communes rurales l'égalité d'accès aux services publics est une question citoyenne d'égalité des droits et de réécriture de la ressource. Aujourd'hui, en effet, rien n'est juste et le débat s'ouvre pour quelques semaines.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Je retiens surtout de ce que vous avez dit, madame la ministre, qu'en dehors du Grand Paris, où les choses sont plus fixées, la réflexion reste encore ouverte. Je veux également appeler votre attention sur l'hétérogénéité que vous avez vous-même soulignée : elle n'existe pas seulement entre territoires urbains et territoires ruraux, mais aussi dans cette fameuse « rurbanité », dans ces zones de relégation tantôt périurbaines, tantôt encore rurales où vivent trop de nos concitoyens. J'insiste sur le fait que le cadre dans lequel s'exerce la démocratie locale soit un cadre identifié par nos concitoyens et pas trop lointain.

Données clés

Auteur : Mme Marie-Françoise Bechtel

Type de question : Question orale

Rubrique : Départements

Ministère interrogé : Réforme de l'État, décentralisation et fonction publique

Ministère répondant : Décentralisation, réforme de l'État et fonction publique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er avril 2014

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