Question orale n° 884 :
SNCF

14e Législature

Question de : Mme Marie-Françoise Bechtel
Aisne (4e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain

Mme Marie-Françoise Bechtel attire l'attention de M. le secrétaire d'État, auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche sur les conditions dans lesquelles la France s'est engagée à verser une compensation pour le transport de déportés par la SNCF entre 1940 et 1944. Les motivations économiques d'un tel accord ne doivent pas prendre le pas sur l'honneur national. Cet accord a été passé sans qu'il soit tenu aucun compte des 2 480 cheminots qui ont fait acte de résistance et qui ont été pour cela emprisonnés, déportés ou fusillés. Elle lui demande par quelles mesures il entend restaurer l'équilibre dû à cette mémoire, alors même que l'accord passé n'a pas considéré la manière dont la SNCF, par ses personnels, a participé à l'œuvre des Français Libres aux cotés des Alliés, y compris en fournissant une aide décisive à leurs troupes lors de la bataille de Normandie.

Réponse en séance, et publiée le 11 février 2015

ATTITUDE DE LA SNCF ET DE SES PERSONNELS PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel, pour exposer sa question, n°  884, relative à l'attitude de la SNCF et de ses personnels pendant la Seconde Guerre mondiale.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Ma question s'adressait à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.

Par cette question, madame la secrétaire d'État chargée des droits des femmes, je souhaite me faire l'écho de la consternation d'un certain nombre de nos concitoyens devant la manière pour le moins singulière dont a été récemment mis en œuvre dans notre pays le devoir de mémoire.

La France s'est en effet engagée, en décembre dernier, à verser des compensations à hauteur de 50 millions d'euros aux victimes américaines déportées dans les wagons de la SNCF entre 1940 et 1944. Le risque d'entrave de plusieurs projets de développement de la SNCF aux États-Unis ainsi que la pression de certains états américains sur cet établissement public, au cours des dernières années, hélas relayée par certaines actions nationales, ont paru suffisants pour que notre pays offre un dédommagement substantiel, sans le moindre rappel, sans la moindre considération des réalités historiques.

Il s'agit de la manière dont la SNCF et ses personnels ont participé héroïquement à la lutte contre l'occupant, puis à la libération du territoire, en fournissant notamment une aide importante aux alliés et à leurs troupes au cours de la bataille de Normandie. Cette dernière action, en retardant considérablement les renforts allemands, a été décisive, si je m'en réfère à certains manuels militaires américains qui reconnaissent que les alliés ont gagné plus de 48 heures, à partir de la veille du jour J, grâce aux 5 000 Résistants qui ont fait sauter quelques centaines de ponts qui enjambaient les voies ferrées de la SNCF.

Cet hommage, les Américains l'ont rendu à l'époque aux héros que sont les cheminots de la SNCF qui, par le sabotage de locomotives, la destruction de ponts stratégiques, l'effondrement de tunnels et l'organisation d'innombrables changements d'aiguillage, ont participé à la libération du territoire après avoir largement contribué à lutter contre l'occupant.

Il est bien tard aujourd'hui pour rétablir la vérité des choses. Je demande toutefois à M. le secrétaire d’État quelles mesures il envisage de prendre en vue de rétablir l'équilibre dû à la mémoire que je viens d'évoquer, celle des héros de la bataille du rail, en particulier des 2 480 cheminots qui ont fait acte de résistance et ont été pour cette raison emprisonnés, fusillés ou eux-mêmes déportés.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée des droits des femmes.

Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État chargée des droits des femmes. Votre question, madame la députée Marie-Françoise Bechtel, s'inscrit dans la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la libération des camps de concentration et d'extermination nazis. Elle est légitime et convoque avec le recul de l'histoire la mémoire des actes ayant contribué à maintenir l'honneur de la France dans les heures sombres de la guerre.

Permettez-moi tout d'abord de préciser que l'accord franco-américain qui vient d'être conclu ne concerne aucunement la SNCF. Celle-ci n'a jamais été tenue responsable de la déportation et a été un rouage de la machine d'extermination nazie contre son gré. Elle n'est donc ni visée ni partie à cet accord qui a pour objet l'indemnisation de certaines victimes de la déportation vers les camps d'extermination nazis n'ayant pas eu accès à notre régime de pensions d'invalidité des victimes civiles de la guerre.

Rappelons que la France a mis en place des régimes de réparation matérielle visant à venir en aide aux victimes des persécutions antisémites perpétrées par les autorités allemandes d'occupation ou les autorités de fait relevant du gouvernement de l'État français et à assumer ses responsabilités historiques. Ces dispositifs ont été mis en place par étapes depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et le champ des réparations a été progressivement étendu.

Toutefois, certaines victimes de la déportation depuis la France n'ont pas eu accès aux pensions d'invalidité des victimes civiles de la guerre en raison de leur nationalité ni bénéficié de mesures de réparations versées par d'autres pays ou institutions au titre de la déportation. L'accord auquel vous faites référence vise précisément à indemniser ces victimes ou leurs ayant-droits.

Nul ne conteste les actions héroïques dont ont fait preuve de très nombreux cheminots de la SNCF. Comme vous l'avez rappelé, madame la députée, plusieurs milliers d'entre eux ont payé un très lourd tribut afin que la France demeure un pays libre. Il convient de rendre hommage aux cheminots résistants car ils sont l'honneur de la SNCF et de la France.

Le devoir de mémoire impose aussi de se souvenir qu'il s'agit d'une période sombre pour la France et pour la SNCF alors réquisitionnée par les autorités allemandes ou au service du régime de l'État français. Il convient à ce propos de saluer l'action des dirigeants de l'entreprise ferroviaire qui ont délibérément engagé leur entreprise depuis plusieurs années dans un travail de mémoire au prix parfois de vives critiques. La SNCF a ainsi noué des partenariats avec le Mémorial de la Shoah à Paris et plusieurs centres mémoriaux à l'étranger tels le « Yad Vashem » en Israël. Elle a par ailleurs facilité l'accès des chercheurs à ses archives de la Seconde guerre mondiale et soutenu diverses actions à vocation pédagogique et éducative. Comprendre et connaître cette période sombre ne fait que fortifier le respect dû à ceux qui ont eu le courage de se lever et de lutter au sein même d'une entreprise réquisitionnée. Cela ne ternit pas leur mémoire mais au contraire la ravive et l'honore.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Françoise Bechtel.

Mme Marie-Françoise Bechtel. Certes, mais l'accord vient à point nommé. Tout le monde sait que la SNCF était bloquée par la loi relative à l'immunité de juridiction des États-Unis dans le cadre de l'obtention de certains marchés. La diplomatie française, on ne peut en être dupe, a endossé un accord que la SNCF était dans l'impossibilité de passer afin d'obtenir des marchés, il suffit de lire la presse pour le savoir. Par ailleurs, on peut regretter que la SNCF ne rende pas un hommage suffisamment équilibré à ses propres cheminots et s'en tienne à une attitude assez lourdement équivoque au sujet de la manière dont elle a été réquisitionnée par l'occupant comme par le régime de Vichy dont il faut rappeler sans cesse qu'il n'était pas le régime légitime de la France.

Données clés

Auteur : Mme Marie-Françoise Bechtel

Type de question : Question orale

Rubrique : Transports ferroviaires

Ministère interrogé : Transports, mer et pêche

Ministère répondant : Transports, mer et pêche

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 février 2015

partager