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Question de :
M. Serge Letchimy
Martinique (3e circonscription) - Socialiste, écologiste et républicain
M. Serge Letchimy attire l'attention de M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique sur l'accès aux marchés publics des TPE, qui constituent l'essentiel du tissu économique des départements et régions d'outre-mer. Il s'agit en effet d'une question centrale pour le dynamisme de l'activité. Il attire son attention sur deux éléments susceptibles de soutenir les potentialités offertes dans ce domaine. Le retard dans le paiement des cotisations sociales et/ou patronales est tout d'abord un problème récurrent pour une fraction conséquente des entreprises dans les départements et régions d'outre-mer. Selon la réglementation en vigueur (art. 46, al. 2 du code des marchés publics), ces entreprises ne peuvent être candidates à un marché public. Si cette réglementation est légitime dans son principe, son application stricte génère des difficultés particulières dans les départements et régions d'outre-mer car les TPE sont fréquemment victimes des retards de paiement des donneurs d'ordre publics. Cette situation génère un cercle vicieux, non seulement pour la situation financière des entreprises concernées, mais également pour la vie économique globale des territoires concernés. Il souhaiterait qu'une solution puisse être trouvée afin que les entreprises connaissant des retards dans le paiement de leurs cotisations sociales ou patronales, mais bénéficiant de créances d'un montant équivalent ou supérieur auprès d'un donneur d'ordre public, puissent néanmoins accéder aux marchés publics. L'impossibilité de favoriser les entreprises locales dans l'attribution des marchés publics est une seconde difficulté. Si cette règle découle du principe d'égalité de traitement des candidats à un marché public, aussi bien le droit européen que le droit national ont créé des voies de droit sur lesquelles le pouvoir adjudicateur peut se fonder pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse (environnement, insertion des publics en difficulté ou encore approvisionnements directs de produits de l'agriculture). Ces règles déjà existantes peuvent se conjuguer avec les possibilités offertes par l'article 73 de la Constitution d'adapter, dans les départements et régions d'outre-mer, le droit commun applicable aux contraintes et caractéristiques de ces collectivités, une disposition qui fait écho à l'article 349 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoyant la possibilité de mesures spécifiques d'application du traité dans les régions ultrapériphériques de l'Union européenne. Il souhaiterait qu'un plein effet soit donné aux possibilités juridiques d'adaptation du principe d'égalité de traitement dans l'accès au marché public afin d'améliorer la contribution de la commande publique au développement économique et au développement durable des outre-mer.
Réponse en séance, et publiée le 13 février 2015
ACCÈS DES TPE AUX MARCHÉS PUBLICS DANS LES DÉPARTEMENTS ET LES RÉGIONS D'OUTRE-MER
M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy, pour exposer sa question, n° 919, relative à l’accès des TPE aux marchés publics dans les départements et les régions d'outre-mer.
M. Serge Letchimy. La situation des entreprises et leur accès aux marchés publics sont chez nous assez particuliers. En effet, 97 % des entreprises locales outre-mer sont des petites entreprises et même des TPE.
On est confronté à une situation assez complexe, puisque ces entreprises vivent beaucoup de la commande publique, c'est-à-dire des collectivités locales. L'équation est compliquée parce que, d'un côté, ces TPE dépendent de la commande publique et, de l'autre, elles détiennent souvent des créances importantes à l'égard de ces collectivités locales, en raison de retards de paiement.
Bien sûr, le code des marchés publics s'applique, mais le problème tient surtout aux règles d'accès aux marchés. En effet, j'y insiste, pour se porter candidates aux marchés publics, ces entreprises doivent être à jour de leurs cotisations sociales et fiscales. Ce n'est pas sans poser de problème. D'ailleurs, Jean-Marc Ayrault avait eu l'occasion d'aborder le sujet lors de son déplacement en Martinique. Comment expliquer que l'on interdise l'accès aux marchés publics à des entreprises détentrices de créances, mais qui ne peuvent payer leurs cotisations sociales et, plus généralement, leurs dettes fiscales et sociales ? À mes yeux, cela excède le seul champ juridique et technique ; c'est aussi un problème moral.
Deuxième problème extrêmement important : la quasi-impossibilité pour ces entreprises de bénéficier de ce que l'on appelle la préférence locale. Les règles de droit, tant européen que national, permettent à des entreprises locales d'accéder dans des conditions particulières à certains marchés publics en vertu de la préférence donnée à un approvisionnement de proximité ou au respect de critères environnementaux. Mais ces règles ne vont pas assez loin : je considère qu'en l'espèce il serait intéressant, compte tenu de l'éloignement, de permettre aux entreprises concernées d'accéder directement aux marchés publics en vertu de la préférence locale.
J'ai déposé deux amendements au projet de loi dit Macron pour permettre, d'une part, de régler ce problème d'interdiction d'accès aux marchés publics pour des entreprises pourtant détentrices de créances sur des collectivités, d'autre part, de trouver une solution pour accompagner ces TPE et leur accorder le bénéfice de la préférence locale dans l'accès aux marchés publics. L'article 73 de la Constitution et l'article 349 du traité de Lisbonne en offrent la possibilité juridique.
Madame la secrétaire d'État, ce que je souhaite, c'est que l'on puisse adapter, sur le plan juridique, le principe d'égalité de traitement, pour faciliter l'accès de ces petites entreprises aux marchés publics. Je demande par ailleurs que l'on adopte des mesures plus efficaces que les simples possibilités de moratoire accordé à ces entreprises dans le règlement de leurs dettes vis-à-vis de la Sécurité sociale ou du fisc. Il faudrait dire très clairement que les entreprises possédant des créances à l'égard de collectivités publiques, parce que celles-ci n'ont pas payé à temps leurs factures, peuvent tout de même accéder aux marchés publics, compte tenu du montant de ces créances – lequel peut excéder celui des dettes fiscales et sociales desdites entreprises.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la politique de la ville.
Mme Myriam El Khomri, secrétaire d'État chargée de la politique de la ville. Je vous prie de bien vouloir excuser le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, retenu par la préparation de son projet de loi, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.
La mobilisation des outils de la commande publique pour stimuler et promouvoir l'activité, et donc l'emploi, en particulier dans les départements et régions d'outre-mer, est une préoccupation constante du Gouvernement.
En tant que régions ultra-périphériques soumises au droit de l’Union européenne, les départements et régions d'outre-mer bénéficient déjà de mesures de simplification.
S'agissant du premier point de votre question, relatif à l'accès aux marchés publics, la réglementation actuelle et les nouvelles directives font obstacle à ce qu'un opérateur économique qui ne serait pas en règle au regard du paiement de ses cotisations fiscales et sociales puisse postuler à l'attribution d'un marché public. Les directives renforcent même le dispositif en en faisant – comme vous l'avez indiqué – une cause d'exclusion obligatoire des opérateurs économiques.
Il est cependant rappelé qu'en vertu des règles nationales actuelles, sont considérées comme étant en situation régulière les personnes qui, si elles n'ont pas réglé leurs impôts ou leurs cotisations, ont constitué des garanties jugées suffisantes et ont conclu un accord contraignant avec les organismes chargés du recouvrement. Ces règles seront reprises dans les nouveaux textes de transposition au titre des mesures d'auto-apurement prévues par les nouvelles directives. S'agissant de l'outre-mer, les administrations fiscales ou sociales peuvent tenir compte de la situation spécifique des entreprises outre-mer dans la conclusion des accords de régularisation des dettes fiscales et sociales.
Sur le second point, relatif à l'accès des entreprises locales aux marchés publics, la loi du 20 décembre 2014 relative à la simplification de la vie des entreprises vient d'habiliter le Gouvernement à transposer, par voie d'ordonnance, les nouvelles directives européennes « Marchés publics ». Le ministère des outre-mer, qui a été étroitement associé à l'élaboration du décret du 26 septembre 2014, l'a été également à l'élaboration de ce projet d'ordonnance. Une concertation publique sur ce projet d'ordonnance vient de s'achever. Les travaux se poursuivent afin d'identifier les adaptations qui pourraient éventuellement être apportées outre-mer, dans la limite de leur compatibilité avec le droit de l'Union européenne. Les institutions d'outre-mer seront toutes consultées sur ce projet de réforme, tant en ce qui concerne les mesures d'ordre législatif que les mesures réglementaires qui les compléteront.
M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.
M. Serge Letchimy. Madame la secrétaire d'État, j'ai bien noté que, parmi les solutions que vous proposez figure la conclusion d'accords de régularisation avec les entreprises, mais cela existe déjà. Mais les agents de Bercy ont reçu pour instruction de tout faire pour que les entreprises paient immédiatement. Les accords ne s'appliquent donc pas systématiquement.
Ce que nous proposons, et j'insiste beaucoup sur ce point devant la représentation nationale, c'est que les entreprises aient accès de droit aux marchés publics. Lorsque l'État, une collectivité, une commune crée une difficulté à une entreprise parce qu'elle ne paie pas à temps ses factures – le délai de paiement normal étant parfois dépassé de trois, voire six mois – et que cette entreprise se trouve dès lors dans l'impossibilité de s'acquitter de ses dettes fiscales, il faut, à mon sens, créer les conditions de droit pour que soient reconnues les créances dues par l'État, la collectivité, la commune. Il faut obliger la Sécurité sociale et l'administration fiscale à en tenir compte, sur une base juridique et non pas simplement d'un accord, car vous savez pertinemment que Bercy demeure un État dans l'État et peut imposer ce qu'il veut.
Permettez-moi donc de vous dire, avec tout le respect que je vous dois, que cette réponse ne me satisfait pas.
Auteur : M. Serge Letchimy
Type de question : Question orale
Rubrique : Marchés publics
Ministère interrogé : Économie, industrie et numérique
Ministère répondant : Économie, industrie et numérique
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 3 février 2015