- Texte visé : Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, visant à lutter contre les contenus haineux sur internet le 22 janvier 2020, T.A. n° 388
- Stade de lecture : Lecture définitive
- Examiné par :
Alinéa 15
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Les contenus retirés ou rendus inaccessibles à la suite d’une notification doivent être temporairement conservés par les opérateurs de plateformes pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de les mettre à la disposition de l’autorité judiciaire. Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, définit la durée et les modalités de leur conservation. »
Cet amendement, déposé au Sénat par le Rapporteur Christophe-André FRASSA, concerne l'obligation de conservation des contenus illicites retirés par les hébergeurs en vue de faciliter d’éventuelles poursuites ultérieures, et vise à rétablir la rédaction du Sénat en première lecture.
Il propose d'encadrer strictement cette conservation (temporaire, et en vue d'une transmission à la justice) et d'en renvoyer à un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNIL la fixation de la durée et des modalités (mesures de sécurité, notamment).
En effet, il s’agit ici de trouver un équilibre délicat entre la facilitation des enquêtes et les contraintes imposées aux hébergeurs.
Exiger une conservation obligatoire des contenus illicites "pendant le délai de prescription de l’action publique", sans plus de précision, posera de graves et nombreux problèmes :
- la durée de conservation sera variable en fonction de chacune des différentes infractions que constituent les contenus retirés ; or ces infractions ne sont pas de même nature - les unes relèvent du régime spécifique du droit de la presse instauré par la loi de 1881, les autres du droit pénal général ; elles ont aussi chacune des délais variables de prescription ;
- le calcul de cette durée est lui-même d'une appréciation complexe, qui incomberait au cas par cas aux hébergeurs, alors que ce délai dépend de la qualification juridique de l'infraction et d'éléments extérieurs (notamment les actes ou circonstances interruptifs de prescription, dont les intermédiaires techniques n'ont pas forcément connaissance) ;
- au total, la durée de conservation des contenus retirés risque d'être manifestement excessive, notamment au regard du droit européen de la protection des données des personnes concernées par les contenus litigieux (RGPD et directive "police-justice").
Enfin, on peut vivement s'inquièter de la nature extrêmement sensible des fichiers que risquent de constituer ainsi les hébergeurs pour conserver aussi longtemps tous les contenus illicites signalés : c'est prendre le risque de voir se constituer de véritable banques de données privées de contenus odieux exposés aux risques de fuites ou de détournements.