Sur la succession des suicides dans la police nationale
Question de :
M. Bruno Bilde
Pas-de-Calais (12e circonscription) - Non inscrit
M. Bruno Bilde interroge M. le ministre de l'intérieur sur la nouvelle vague de suicides qui frappe la police nationale. En effet, le 29 juin 2020, un adjoint de sécurité âgé de 24 ans s'est donné la mort au commissariat de Rouen. Le même jour, un jeune gardien de la paix de 20 ans mettait fin à ses jours avec son arme de service dans les vestiaires du commissariat de Noailles à Marseille. Le 2 juillet 2020, on a déploré la perte d'un brigadier-chef de 49 ans qui est tombé de son plein gré à l'hôtel de police de Nancy. Ces derniers drames succèdent à deux suicides au mois de juin 2020 : un membre de la police aux frontières de Chambéry et un fonctionnaire attaché au 3e district de police judiciaire à Paris. Ils portent à 20 le compteur de la honte depuis le début de l'année. Rappelons qu'en 2019, 59 suicides avaient été recensés par le ministère de l'intérieur. Pour ces serviteurs de la République, pour ces héros du quotidien, il n'y aura pas de genou à terre, pas de poing levé, pas de minute de silence, pas de manifestations tapageuses, pas de campagnes de soutien sur les réseaux sociaux, pas de fresques artistiques dans les quartiers, pas d'émotion médiatique. En France, en 2020, les policiers tombent les uns après les autres sans susciter l'indignation de l'opinion publique et la réaction du Gouvernement. Aujourd'hui, le suicide n'est plus une exception mais une composante inhérente au métier de gardien de la paix. Si les comportements racistes sont des rares accidents toujours sanctionnés à grand renfort de publicité, les suicides sont, eux, une routine intolérable jamais traitée et passée sous silence. Les femmes et les hommes qui portent l'uniforme républicain sont aujourd'hui broyés par le désespoir et les difficultés d'un engagement devenu une mission impossible. Au manque de moyens humains et matériels, aux commissariats vétustes et insalubres, à la multiplication des mobilisations autour des manifestations qui dégénèrent à chaque fois, aux millions d'heures supplémentaires jamais payées, à la menace terroriste toujours présente, à la violence des racailles et des gangs qui appellent à « tuer les porcs », sont venus s'ajouter l'abandon et les humiliations de leur ancien ministre de tutelle qui préférait jeter le soupçon infamant de racisme sur toute une profession déjà durement éprouvée. Au-delà des revalorisations indispensables, au-delà des bâtiments à restaurer et des effectifs à regonfler, les fonctionnaires de police réclament de la confiance et du respect. De la confiance pour exercer pleinement leur mission au service de la sécurité publique et du respect de la part de ceux qui les emploient pour garantir les principes et les lois. Il lui demande s'il va décréter la tolérance zéro pour le mal-être dans la police, lutter résolument contre l'épidémie de suicides dans la police, soutenir sans réserve ni nuance les policiers et arrêter cette spirale macabre qui est une honte pour la République française.
Réponse publiée le 9 février 2021
Les suicides, actes dramatiques et complexes, sont une préoccupation majeure pour le ministère de l'intérieur, qui conduit de longue date une politique de prévention. Dès 1996, la direction générale de la police nationale (direction des ressources et des compétences de la police nationale) s'est dotée d'un service de soutien psychologique opérationnel (SSPO) qui compte, sous l'autorité d'une psychologue, 93 psychologues cliniciens répartis sur l'ensemble du territoire. Pour améliorer la détection des personnes en difficulté ainsi que la réactivité et la prise en charge au niveau local, a été adopté en mai 2018, à l'issue d'une concertation entre l'administration et les représentants du personnel, un « programme de mobilisation contre le suicide », structuré autour de 3 axes : « Mieux répondre à l'urgence », « Prévenir plus efficacement les situations de fragilité », « Améliorer le quotidien du travail ». Sa mise en œuvre est largement engagée. Cette action passe aussi par un travail sur le sens du collectif et le bien-être professionnel. En avril 2019, a été créée une « cellule alerte prévention suicide » qui veille à la déclinaison, dans les territoires, du programme de mobilisation contre le suicide et développe des partenariats avec les acteurs externes de la prévention et de la prise en charge. Par ailleurs, le SSPO de la police nationale, qui disposait déjà d'une astreinte téléphonique nationale pour les situations opérationnelles, a vu son système évoluer. Un numéro vert (0 805 20 17 17) est actif depuis juillet 2019. Il permet, en journée, d'être orienté vers un psychologue de secteur et de joindre le psychologue d'astreinte en dehors des horaires de bureau. Depuis septembre 2019, un second numéro (0 805 230 405) donne accès à un dispositif d'écoute psychologique 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 au bénéfice des personnels et de leurs familles. Afin d'assurer le déploiement opérationnel du programme de mobilisation contre le suicide, des séminaires sur la prévention du suicide, réunissant plus de 1 300 cadres de la police nationale, ont été organisés au niveau de chaque zone de défense et de sécurité du printemps à l'automne 2019. Le déploiement territorial des mesures du plan se poursuit, avec le relais des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, sous le pilotage de la cellule alerte prévention suicide. Dans le courant du second semestre 2020, l'expérimentation du réseau « sentinelles », dispositif de repérage par les pairs, débute avec des agents formés à la détection des personnes en situation de fragilité. De plus, plusieurs associations de soutien aux policiers ont été créées en 2019. Un projet de partenariat est en cours d'élaboration afin de définir les outils qui peuvent être mis à disposition de ces associations et le cadre de leur collaboration à la prévention du suicide. Cette collaboration fera l'objet de réunions régulières. S'agissant de la ligne d'écoute externalisée précitée (0 805 230 405) de la société PROS-CONSULTE - spécialisée dans la gestion des risques psychosociaux -, de premiers éléments de bilan peuvent être présentés. Au terme des neuf premiers mois de fonctionnement, 594 appels ont été pris en compte sur la plate-forme (pour 315 appelants). Concernant les motifs d'appels, ceux liés à une problématique professionnelle, quelle qu'elle soit, sont majoritaires (70 %) ce qui est habituel pour ce type de dispositif. Cinq situations aiguës au regard du risque suicidaire ont fait l'objet d'un appui médicalisé et une situation a nécessité l'envoi de secours. Onze autres situations particulières ont été signalées à l'administration, avec levée d'anonymat. Ce bilan semble cohérent avec le besoin identifié : la plate-forme PROS-CONSULTE a en effet été conçue comme une solution alternative et complémentaire (écoute en horaires atypiques, etc.). La collaboration avec ce prestataire extérieur s'est établie dans de bonnes conditions grâce aux nombreux échanges (notamment avec le service de soutien psychologique opérationnel) et à des temps d'acculturation des psychologues de la plate-forme. L'indispensable amélioration des conditions de travail constitue un autre axe majeur de cette action. Il convient à cet égard de rappeler la politique menée par le Gouvernement pour améliorer les conditions de travail des policiers (recrutements, politique immobilière, renouvellement du parc automobile, etc.), et notamment les annonces fortes faites par le ministre de l'intérieur le 13 octobre 2020 pour améliorer le quotidien des policiers. De même, la police nationale expérimente depuis le début de l'année 2020 de nouveaux cycles de travail susceptibles d'améliorer le bien-être des agents en offrant notamment aux effectifs de voie publique un mercredi et un week-end sur deux.
Auteur : M. Bruno Bilde
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 14 juillet 2020
Réponse publiée le 9 février 2021