L'interdiction de déposer du linge en prison
Question de :
M. Ugo Bernalicis
Nord (2e circonscription) - La France insoumise
M. Ugo Bernalicis alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'interdiction faite aux proches et aux familles des détenus de déposer du linge à ces derniers. En effet, une note récente de la direction de l'administration pénitentiaire aurait ordonné cette interdiction dans plusieurs centres pénitentiaires, notamment ceux de Fresnes et de Tarascon. Cette interdiction, totale et absolue puisqu'elle s'applique à l'ensemble de la population carcérale sans distinction, serait justifiée par la volonté de l'exécutif d'adapter les règles des établissements pénitentiaires au contexte sanitaire et à l'évolution de l'épidémie. Vendredi 5 février 2021, M. Jérôme Gavaudan, président du Conseil national des barreaux, alertait de cette situation M. le garde des sceaux, ministre de la justice par l'intermédiaire du directeur de l'administration. Corroboré par des témoignages d'avocats, il relevait que ces interdictions plaçaient les détenus dans une situation « particulièrement dégradante » notamment pour les arrivants, puisque ces derniers pouvaient se trouver privés de tout vêtement de rechange pendant plusieurs semaines, alors même qu'ils étaient incarcérés dans les vêtements qu'ils portaient lors de leur interpellation. Cette situation a des conséquences graves sur les conditions de vie des détenus : au-delà de l'aspect hygiénique et sanitaire et de leur dignité, beaucoup de ces détenus renoncent à se rendre en promenade, soit parce qu'ils n'ont pas de vêtements propres, soit parce que leurs vêtements ne sont pas adaptés aux températures hivernales particulièrement basses ces jours-ci. Leurs situations - déjà dégradées - se compliquent donc encore un peu plus. De surcroît, ces mesures n'ont aucun fondement médical : aucune étude ni aucun avis ne préconise de ne pas déposer du linge propre en prison dans le but de lutter contre la diffusion du virus. Par conséquent, M. le député regrette ces décisions mais fait remarquer qu'elles s'inscrivent dans une logique de délaissement du traitement des conditions de vie des personnes privées de liberté. En effet, bien qu'il ait été alerté par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, le 25 janvier 2021, de l'augmentation des cas de coronavirus en prison et de l'absence de mesure prise afin de libérer des places de prison, M. le garde des sceaux, ministre de la justice est resté passif et a annoncé tardivement la mise en place d'une politique sanitaire carcérale. Ainsi, au lieu de prendre des mesures visant à désengorger les prisons surpeuplées pour lutter contre la diffusion du virus - comme cela avait été le cas lors de la première vague et alors même que la situation était moins grave qu'aujourd'hui -, l'administration pénitentiaire prive les détenus de linge propre. Tout cela s'inscrit dans une politique sanitaire carcérale dont on perçoit peu la stratégie et le sens. Par conséquent, M. le député interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur ces interdictions et appuie les demandes du président du Conseil national des barreaux visant à obtenir la note interne en vertu de laquelle les interdictions ont été prises et à permettre aux détenus d'obtenir du linge. Précisément, M. le député souhaite savoir quelle est l'utilité concrète de telles interdictions. Surtout, il lui demande clairement comment garantir la fourniture de vêtements de rechange et adaptés aux températures hivernales aux personnes privées de liberté, afin de respecter leur dignité.
Réponse publiée le 3 août 2021
En raison du contexte sanitaire exceptionnel, et afin de protéger les personnes détenues autant que les personnels pénitentiaires, la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 14 octobre 2020 relative aux mesures de protection sanitaire envisage différentes situations épidémiques et appelle les chefs d'établissements à prendre des mesures adaptées en fonction du contexte sanitaire local. En application de cette note et sur le fondement de l'article 22 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, certains chefs d'établissement ont adopté des mesures locales de restriction afin de protéger la santé des personnels pénitentiaires et des personnes détenues, tout en veillant à protéger les droits fondamentaux de ces dernières. S'agissant du centre pénitentiaire de Fresnes, une instruction de service n° 21/36 prise le 18 janvier 2021 par le chef d'établissement est venue modifier le fonctionnement des parloirs en raison de la recrudescence des cas de Covid-19 et prévoir la suspension des remises et sorties de linge. Afin de tenir compte de l'amélioration de la situation sanitaire, une nouvelle instruction n° 21/188 prise le 9 février 2021 est venue mettre fin à cette restriction du flux de linge. Ces différentes notes s'appuient sur un avis du Haut Conseil de la santé publique en date du 6 mai 2020 précisément relatif au risque de contamination via les matières textiles. Au cours de cette période de restriction, la direction de l'établissement a permis aux responsables de division de se fournir en vêtements au sein du vestiaire caritatif, comprenant les stocks constitués par les associations, afin d'équiper les personnes détenues en état de nécessité. Ces dernières ont ainsi constamment pu bénéficier de tenues propres et chaudes. Par ailleurs, l'établissement a réalisé l'achat de nouveaux vêtements hivernaux (blousons, sweat-shirts, pantalons) mis à la disposition des responsables de division. Si l'établissement a redonné la possibilité aux personnes détenues de recevoir des effets vestimentaires à l'occasion de leurs visites ou par l'intermédiaire des colis-portes à compter du 9 février 2021, l'établissement a maintenu la possibilité, pour les personnes indigentes ou les personnes ne disposant pas de tels effets vestimentaires, de se fournir en vêtements chauds et appropriés. Concernant le centre de détention de Tarascon, la direction de l'établissement a adopté des mesures similaires de restriction des flux de linge en raison du passage de l'établissement en situation de cluster et afin de protéger la santé des personnels pénitentiaires et des personnes détenues. Aussi, les personnes détenues ont conservé la possibilité de faire laver leur linge une fois par semaine par la buanderie centrale de l'établissement. En outre, un vestiaire caritatif, destiné prioritairement aux personnes détenues indigentes, a également été mobilisé au profit de celles qui éprouveraient des difficultés à se vêtir de façon appropriée. Enfin, les familles et proches des personnes détenues ont toujours la possibilité d'envoyer des effets vestimentaires par colis postal. L'établissement n'étant plus en situation de cluster depuis le 15 février dernier, les flux de linge ont repris dès le 20 février et les transferts en provenance de maisons d'arrêt le 23 février. En tout état de cause, aucune personne détenue du centre de détention ne s'est signalée, ni n'a été repérée comme manquant de vêtements chauds par les personnels de la détention ou par les personnels du service pénitentiaire d'insertion et de probation. La reprise épidémique au printemps 2021 a contraint l'administration pénitentiaire à renforcer les mesures sanitaires par une note du 18 mars 2021. Les décisions relatives au flux de linge ont dès lors été prises au cas par cas, sur l'avis des directeurs interrégionaux, en fonction de la situation épidémique dans le département, évaluée par les autorités de santé et au sein de l'établissement. La sortie et la remise de linge sont restées en principe autorisées et encadrées, à l'exception des établissements en situation de cluster dans lesquels le flux de linge était suspendu. L'amélioration de la situation sanitaire à la suite du troisième confinement a permis un nouvel assouplissement des mesures prévues par la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 12 mai 2021. Le flux de linge est de nouveau autorisé dans le respect des procédures de traitement de 24 heures avant remise, à l'exception des situations sanitaires exigeant sa suspension, notamment au sein des établissements comportant des zones d'hébergement en situation de cluster. A la suite des annonces du Premier ministre du 16 juin dernier actant la levée de certaines mesures sanitaires restrictives dans le contexte d'une évolution positive de l'épidémie, cet assouplissement est confirmé par la note de la direction de l'administration pénitentiaire du 22 juin 2021 qui prolonge ces mesures à compter du 30 juin. Par conséquent, les mesures adoptées par ces deux établissements pour contenir la propagation de l'épidémie, dans le respect du droit fondamental des personnes détenues à se vêtir convenablement, apparaissaient nécessaires, adaptées et proportionnées, notamment en raison de leur limitation dans le temps et du caractère exceptionnel du contexte de la crise sanitaire.
Auteur : M. Ugo Bernalicis
Type de question : Question écrite
Rubrique : Lieux de privation de liberté
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 23 février 2021
Réponse publiée le 3 août 2021