Question de : M. Yves Jégo (Ile-de-France - UDI, Agir et Indépendants), posée en séance, et publiée le 11 juillet 2018
ÉQUILIBRE DES INSTITUTIONS ET RÔLE DU PARLEMENT
M. le président. Avant de lui céder la parole, je salue Yves Jégo, qui pose ici sa dernière question dans notre hémicycle puisqu'il quittera notre Assemblée le 15 juillet prochain. Je lui souhaite pleine réussite dans ses nouvelles responsabilités. (Applaudissements sur tous les bancs. Mmes et MM. les députés des groupes UDI-Agir, LR, MODEM, LaREM, NG et GDR se lèvent aussi.)
M. Yves Jégo. Je vous remercie, monsieur le président. Deux minutes pour résumer seize ans de vie parlementaire, c'est un peu court. (Sourires.)
Je n'aurai que deux remarques. La première s'adresse à vous, monsieur le Premier ministre. Depuis le début de la Ve République – dont vous êtes comme nombre d'entre nous un enfant –, nous avons assisté à une « hyper-présidentialisation » du régime et à une perte de pouvoir progressive du Parlement.
Mme Valérie Rabault. Eh oui !
M. Yves Jégo. Comment la réforme des institutions que vous allez présenter dans quelques minutes permettra-t-elle de rétablir l'équilibre entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, tant cet équilibre est important dans notre République ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes UDI-Agir et LR, ainsi que sur quelques bancs des groupes NG et GDR.)
Ma seconde remarque s'adresse aux Français qui nous écoutent. Je veux leur dire que l'antiparlementarisme est un poison, un poison mortel, qui fait peu à peu mourir les démocraties. (Applaudissements sur tous les bancs.)
M. Marc Le Fur. Ces propos s'adressent à la majorité, on l'aura bien compris !
M. Yves Jégo. Les Français ont raison d'être exigeants avec leurs élus mais je veux témoigner que, depuis seize ans, dans cet hémicycle, les élus, l'administration et les collaborateurs sont dévoués à la cause de l'intérêt général. (Mêmes mouvements.) Il y a ici des gens qui portent des convictions, qui essaient de changer un pays compliqué.
Je veux dire à nos compatriotes que critiquer les élus à outrance, c'est peut-être ne pas avoir le courage de faire sa propre autocritique quant à sa responsabilité vis-à-vis du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et LR, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM et sur quelques bancs des groupes NG, GDR et FI.)
Je vais changer de voie et quitter la vie politique. Sans doute vais-je renoncer à une forme de confort et peut-être de vie sociale.
Le sens de l'intérêt général que vous incarnez, j'essaierai de le faire vivre sous d'autres formes car, dans notre pays, l'intérêt général peut être défendu sous des formes multiples. J'essaierai de le faire dans le même esprit, pour que vive la République et que vive la France ! (Applaudissements sur tous les bancs. - Mmes et MM. les députés des groupes UDI-Agir, LR, MODEM et LaREM se lèvent aussi, de même que certains députés du groupe NG.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Permettez-moi, au nom du Gouvernement et en mon nom propre, de m'associer aux applaudissements que vous venez de recevoir.
M. Olivier Marleix. Il vient tout de même de dire que votre révision constitutionnelle était nulle !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Permettez-moi de vous dire tout le plaisir que j'ai eu à siéger sur ces bancs avec vous et de souligner tout le respect qui vous est dû après une vie politique intense consacrée à une ville que vous connaissez comme nul autre, où vous vous êtes investi et où j'ai eu l'occasion de voir, lors de déplacements conjoints, le travail, l'intelligence, l'énergie que vous avez déployés au service d'une ville souvent présentée comme non exempte de difficultés – pour le dire prudemment – et dans laquelle vous avez magnifiquement réussi. Je tiens à vous faire part de notre respect pour votre carrière parlementaire ainsi que pour votre participation au Gouvernement, en d'autres termes, respect et estime pour tout ce que vous avez pu faire au service de votre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Puisque vous avez choisi de poser une question sur la vie institutionnelle, le rôle du Parlement et celui des élus, je souhaite vous répondre – et peut-être est-ce une réponse de Normand – que je suis à la fois en désaccord avec la première partie de votre question et en accord avec la deuxième.
M. Jean-Paul Lecoq. Voilà qui est étonnant !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Je suis en désaccord – et j'aurai plaisir à en reparler avec vous dans une autre enceinte, peut-être –,…
M. Aurélien Pradié. Dites-le devant l'Assemblée nationale, ce sera aussi bien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . …car je ne crois pas que le Parlement de 2018, de 2012 ou de 2008 ait eu moins de pouvoirs que celui de 1958, de 1962 ou de 1965.
M. Charles de la Verpillière. Pour 2019, c'est fichu !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Mais je reconnais que la question est intellectuellement et juridiquement intéressante. Vous savez comme moi, monsieur le député, en fin connaisseur de l'histoire de la Ve République, que celle-ci a été créée dans un contexte de véritable défiance à l'égard, non pas des élus, mais du parlementarisme. Vous savez qu'elle a été dotée d'instruments – on parlait à l'époque du « canon pointé » sur le Parlement.
M. Aurélien Pradié. Vous, c'est un bazooka que vous pointez sur lui !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Telle est l'origine de la Ve République.
M. Claude Goasguen. Ce n'est pas une raison pour continuer !
M. Ugo Bernalicis. C'est pour cela qu'il faut une VIe République !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Je ne dis pas que cela était fondé, je rappelle l'origine de la Ve République.
Depuis 1958, une série de révisions constitutionnelles ont permis progressivement, difficilement parfois, de donner plus de densité au débat parlementaire, plus de droits à l'opposition – en 1974, la saisine du Conseil constitutionnel par les parlementaires de l'opposition a ainsi été facilitée. Des réformes ont été engagées après 1962, comme celle de 2008, pour une raison simple – sans tomber dans l'analyse de droit constitutionnel – : puisque l'article 89 est la seule voie possible pour modifier la Constitution, on s'assure que le Parlement soit entendu lors de la révision constitutionnelle – et c'est bien naturel. J'ai donc un désaccord intellectuel – pardon de le dire – avec les prémisses de votre question. Pour le reste, nous engagerons dans quelques minutes le débat constitutionnel. Je sais que vous présiderez une partie des débats sur ce texte et vous pourrez constater leur intensité.
Deuxième point, vous m'interrogez sur ce mouvement réel et nuisible à tous les égards de remise en cause de la légitimité des élus – qu'ils soient parlementaires ou élus locaux – et de contestation des mécanismes de représentation. Je souhaite m'associer à l'inquiétude que vous exprimez ainsi qu'à l'appel à la responsabilité que vous lancez. J'y suis extrêmement sensible car je crois, comme vous, que la démocratie est un bien fragile. On ne peut pas à la fois se déclarer démocrate et passer par pertes et profits tout ce qui fait la démocratie,…
Mme Marie-Christine Dalloz. C'est pourtant ce que vous faites !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . …c'est-à-dire le processus électoral, le processus représentatif, la capacité à s'écouter et à débattre sans hurler alors même que l'on n'est pas d'accord, c'est-à-dire tout ce qui est constitutif de la qualité d'une démocratie. Je le crois très profondément. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.)
Les vents qui viennent sont mauvais, monsieur le député.
M. Éric Coquerel. À qui la faute ?
M. Aurélien Pradié. C'est vous qui les faites souffler !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. On peut toujours dire que les vents mauvais viennent de l'autre côté de l'hémicycle – j'ai trop entendu ce discours. Les vents mauvais ne viennent pas de l'autre côté de l'hémicycle. Ils viennent de nos faiblesses, de nos lâchetés.
M. Fabien Di Filippo. De la lâcheté du Gouvernement !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Ils viennent de notre incapacité à obtenir des résultats et c'est ce que le Gouvernement cherche à surmonter. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI. - Quelques députés du groupe LaREM se lèvent aussi.)
Auteur : M. Yves Jégo (Ile-de-France - UDI, Agir et Indépendants)
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Parlement
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 11 juillet 2018