fiscalité sur les carburants
Question de :
M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants
Question posée en séance, et publiée le 14 novembre 2018
FISCALITÉ SUR LES CARBURANTS
M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe UDI, Agir et indépendants.
M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le Premier ministre, la hausse des taxes sur les carburants a provoqué une grande exaspération chez les Français. Nous ne nous associons ni à la démagogie, ni à la manœuvre de récupération de certains, qui renient aujourd'hui ce qu'ils proposaient hier.
Mais cela, monsieur le Premier ministre, n'exonère pas le Gouvernement de dire la vérité aux Français. Ceux-ci sont en colère, et nous pouvons les comprendre. Il y a quelques jours, le Président de la République disait trivialement à l'un de nos compatriotes que « le carburant, ce n'est pas bibi ! ». Pourtant, les chiffres sont têtus ! 37 % de l'augmentation du diesel et 34 % de celle de l'essence résultent de décisions prises dans cet hémicycle sur la proposition du Gouvernement. « Bibi » est donc aussi responsable des taxes ; voilà pourquoi les Français ont l'impression de l'« avoir dans le baba ». (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe LR.)
M. Sébastien Leclerc. Et ce n'est pas fini !
M. Jean-Christophe Lagarde. Beaucoup d'entre eux se sentent piégés : ils ne savent pas comment se déplacer sans leur véhicule, eux qui vivent loin des grandes métropoles, en banlieue ou dans les zones rurales, et qui ne bénéficient pas de transports en commun ou d'infrastructures permettant de rouler plus propre.
Les chiffres le montrent : entre 2017 et 2019, la hausse de ces taxes que vous avez décidée a rapporté 7,2 milliards d'euros de recettes supplémentaires aux caisses de l'État.
M. Fabien Di Filippo. Rendez l'argent !
M. Jean-Christophe Lagarde. Seuls 1,2 milliard d'euros ont été consacrés à la transition énergétique. Il y a donc une différence de 6 milliards ! Rien qu'en 2019, sur les 3,9 milliards d'euros de recettes supplémentaires attendus, seuls 260 millions seront consacrés à la transition énergétique. Les Français ont l'impression de se faire avoir. Or, pour que ces taxes soient légitimes, elles ne doivent pas les piéger, mais les accompagner, pour leur permettre de rouler et de se chauffer plus propre ; elles doivent financer, dans tout le pays, les infrastructures nécessaires pour atteindre les objectifs de lutte contre le carbone et la pollution.
Voici donc, monsieur le Premier ministre, la question de notre groupe : le produit de ces taxes devant revenir dans les poches des Français, comment allez-vous leur rendre l'argent pour leur permettre de rouler plus propre et de se chauffer plus propre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir et sur quelques bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Lagarde, vous posez la question de la fiscalité qui s'applique aux carburants, et je voudrais commencer par rappeler un certain nombre d'éléments qui permettent, au moins autant que les termes de votre question, de poser le débat.
D'abord, comme vous le savez, monsieur le député, la taxe sur les carburants n'est pas exactement nouvelle, puisqu'elle a été créée en 1928. Depuis cette date, elle contribue bien entendu à alimenter la totalité du budget de l'État.
M. Christian Jacob. C'est parler pour ne rien dire !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Vous savez également que la fiscalité écologique représente environ 34 milliards d'euros au total ; pour sa part, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE – ne finance pas que l'État. Vous savez, monsieur le président, qu'à hauteur de 12 milliards d'euros, ce qui n'est pas rien, elle finance les départements et les régions, afin, et c'est parfaitement légitime, de leur permettre de déployer leurs politiques publiques et d'accompagner nos concitoyens sur la voie de la transition écologique.
M. Vincent Descoeur. Écoutez la colère des Français !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. J'ai parfaitement à l'esprit l'ensemble des politiques menées grâce au produit de cette taxe, et, j'en suis sûr, approfondies grâce à l'augmentation des recettes de la TICPE.
Nous assumons l'adjonction d'une taxe carbone à la TICPE, puisqu'il avait été annoncé pendant la campagne par le Président de la République, comme vous avez eu l'honnêteté intellectuelle de le reconnaître, monsieur le président. De nombreux autres candidats à l'élection présidentielle partageaient d'ailleurs cette orientation. Le montant de cette taxe carbone se situe entre 7,5 et 7,8 milliards d'euros.
À quoi sert cet argent ? Il sert, pour une large part, à faire basculer la fiscalité pesant jusqu'à présent sur le travail vers la pollution, la transformation et le dérèglement climatiques.
M. Erwan Balanant. C'est la solution !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. C'est un choix politique. Nous considérons, et je pense qu'au fond chacun de nos concitoyens peut le comprendre, qu'il est certes peu populaire, mais parfaitement justifié, de dire que la fiscalité doit plus peser sur la pollution que sur le travail.
M. Marc Le Fur. La TICPE pèse sur le travail !
M. Éric Straumann. Et surtout sur les pauvres !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Cette transformation est loin d'être simple, mais nous l'assumons. Il ne vous a pas échappé, monsieur le président Lagarde, que la fiscalité sur le travail baissait, et baissait nettement. Certains n'ont pas voulu voter cette diminution, mais elle n'a pas pu vous échapper.
M. Pierre Cordier. 15 euros pour un smicard !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . À l'évidence, la contrepartie se retrouve, pour une partie seulement, dans l'augmentation de la taxe carbone, telle qu'elle avait été annoncée.
M. Vincent Descoeur. Ce n'est pas normal !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. La France n'est pas le seul pays à s'engager dans cette voie.
Un député du groupe Les Républicains . On s'en fiche !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Dans l'Union européenne – peut-être vous en fichez-vous, monsieur le député, comme vous le dites si élégamment, mais il n'est jamais mauvais de regarder au-delà de ses frontières et de se comparer aux autres (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM) –, la Suède s'est engagée dans le même chemin d'une substitution progressive de la fiscalité qui pesait sur le travail vers une fiscalité pesant sur la pollution ou les émissions de CO2, lesquelles sont à l'origine du dérèglement climatique et y contribuent fortement.
Le montant supplémentaire acquis par cette trajectoire carbone sert, monsieur le président Lagarde, à financer des mesures qui accompagnent les Français dans cette transition. J'aurai très rapidement l'occasion d'évoquer certaines de ces mesures, mais vous savez que la prime à la conversion, le chèque énergie et toute une série de mécanismes financiers et budgétaires accompagnent les Français dans leur vie quotidienne pour faire face à cette transition. Vous savez également, parce que nous avons déjà eu l'occasion de l'évoquer et parce que de très nombreuses consultations ont été menées par Mme la ministre chargée des transports avec les collectivités territoriales, que nous voulons répondre, dans la loi d'orientation des mobilités – LOM –, à ces questions d'entretien des réseaux et de développement des transports en commun, y compris dans des zones qui en sont peu pourvues aujourd'hui, car il s'agit d'un enjeu pour nos concitoyens. Là encore, nous sommes cohérents et nous allons avancer.
Au total,...
M. Éric Straumann. On n'y comprend plus rien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. ...monsieur le président, le Gouvernement et la majorité entendent les remarques, l'émotion et parfois la colère des Français. Changer de système engendre toujours des difficultés,...
M. Christian Jacob. Cinq minutes pour ne rien dire !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. ...mais nous avons la conviction que ne rien faire contre les émissions de CO2 et ne pas s'engager fermement pour accompagner les Français et lutter contre l'utilisation des véhicules qui provoquent et accélèrent le changement climatique ne seraient pas à la hauteur des enjeux. Et quelque chose me dit, monsieur le président, qu'au fond de vous-même, vous comprenez l'acuité de ces enjeux. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Impôts et taxes
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 14 novembre 2018