Question au Gouvernement n° 1569 :
Traité d'Aix-la-Chapelle - Brexit

15e Législature

Question de : M. Jean-Christophe Lagarde
Seine-Saint-Denis (5e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants

Question posée en séance, et publiée le 24 janvier 2019


TRAITÉ D'AIX-LA-CHAPELLE – BREXIT

M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde.

M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le Premier ministre, lorsqu'en 1958 le général de Gaulle revint au pouvoir, l'un de ses premiers gestes politiques fut de recevoir chez lui, à la Boisserie, le chancelier fédéral d'Allemagne, Konrad Adenauer. Il voulait ainsi montrer la particularité de la relation franco-allemande naissante, relation qu'il concrétisera quelques années plus tard en signant le traité de l'Élysée.

Cette relation marquait, après tant d'affrontements, la puissance de ceux qui portaient une volonté, un rêve, un projet politique qui aboutira à transformer notre continent, en particulier grâce à la construction européenne. À l'heure où le traité d'Aix-la-Chapelle, qui s'inscrit dans cette philosophie, est vilipendé par quelques-uns qui veulent nourrir les fantasmes, en particulier celui d'une annexion de la France par l'Allemagne, le groupe UDI-Agir et indépendants estime utile que vous précisiez le contenu de ce traité, ainsi que l'ambition de la France de rester elle-même tout en participant à la construction européenne.

Au moment où nous nous inscrivons dans les pas de ceux qui ont su construire de grands projets, nous constatons que d'autres savent les détruire. Je pense à ceux qui ont fait croire au peuple britannique que la solution se trouvait dans la sortie de l'Union européenne. Ils ont plongé le peuple britannique et ses voisins dans une crise grave qui est à la fois économique, sociale et politique. Aujourd'hui, ils se retournent vers l'Union européenne pour demander, paraît-il, un délai afin de gérer la situation qu'ils ont eux-mêmes créée.

Monsieur le Premier ministre, il serait selon nous utile qu'au moment d'un divorce qui semble inévitable et qui se déroule dans des conditions de plus en plus floues, vous puissiez nous préciser, d'une part, si le Gouvernement français est prêt à donner son aval à un délai que demanderaient les Britanniques pour le Brexit, d'autre part, quelles concessions au rêve européen il serait prêt à faire, car un délai sans concessions n'aurait pas de sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDI-Agir.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Lagarde, en deux minutes, vous me posez des questions qui appellent, heureusement ou malheureusement, des réponses assez longues.

Ces questions ne sont pas sans liens. La première est relative à la relation franco-allemande dans le contexte de la construction européenne ; la seconde concerne les relations entre le Royaume-Uni et l'Europe dans le contexte d'une grande amitié et d'une longue alliance entre le Royaume-Uni et la France.

S'agissant de la relation franco-allemande, vous l'avez dit en commençant votre intervention, et je vous rejoins totalement : un lien très particulier s'est forgé entre la France et l'Allemagne, fait de proximité géographique et d'histoire entremêlées, de combats très rudes, mais aussi d'une formidable volonté de réconciliation incarnée à la fois par le général de Gaulle et le chancelier Adenauer. Cette histoire très particulière est au cœur de notre paix, de notre prospérité et de nos perspectives de développement. C'est l'un des moteurs essentiels de la construction d'un ensemble européen plus stable, plus solide, plus prospère, et, surtout, mieux à même de faire valoir ses intérêts face aux autres grands blocs continentaux dont nous savons qu'ils sont animés – et comment le leur reprocher – d'une volonté de puissance et de préservation de leurs propres intérêts. Face à ceux-là, nous devons être forts et unis. Dans la relation franco-allemande se joue la capacité pour le bloc européen de disposer d'un moteur puissant, aligné, capable d'entraîner les autres partenaires.

En 1963, en signant le traité de l'Élysée, la France et l'Allemagne ont signé un traité de réconciliation ; hier, le Président de la République et la chancelière Angela Merkel ont signé un traité qui ne remplace évidemment pas celui de 1963, mais qui vient le compléter. C'est le traité d'une forme de convergence, convergence politique et convergence des volontés, pour faire en sorte que la relation franco-allemande continue d'être le moteur d'une construction européenne puissante, stable et assumée.

Vous avez raison : à l'occasion de la discussion et de la signature de ce traité, un certain nombre de fantasmes ont été agités par un certain nombre d'acteurs du débat public qui ont voulu, en la matière, marquer une distance très grande entre eux-mêmes et la réalité. Moi qui suis, comme vous et comme nous tous, normalement ici, attaché à la qualité du débat public, j'ai été comme atterré de la capacité que certains ont pu avoir d'affirmer crânement, sans dessiller, que, d'une façon quelconque, ce traité aurait eu comme objectif de céder l'Alsace et la Lorraine à l'Allemagne. Mais, enfin, de quoi parlons-nous ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir. - M. Jacques Cattin applaudit également.)

Faut-il à ce point avoir envie de raconter n'importe quoi pour dire aux Français que cela pourrait être l'objectif de la France ou de l'Allemagne ?

M. Pierre Cordier. Si c'est n'importe quoi, ce n'est pas la peine d'en parler ici !

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Ce traité prévoit des avancées en matière de coopération franco-allemande, s'agissant par exemple de la défense ou du financement des actions citoyennes qui peuvent être menées pour rassembler nos deux peuples. Très tôt, au cours de l'histoire de la réconciliation franco-allemande, un certain nombre d'organismes – je pense par exemple à l'OFAJ, l'Office franco-allemand pour la jeunesse – ont joué un rôle crucial pour développer un lien entre les peuples et pas simplement entre les États. Nous devons poursuivre cet effort en faisant par exemple en sorte de favoriser les jumelages existants et les rapprochements entre universités. C'est tout cela que comporte le traité signé hier, et bien d'autres choses encore.

Monsieur le président Lagarde, vous m'interrogez aussi sur l'attitude de la France face au Brexit. Au stade des discussions en cours à Londres, nous constatons que le gouvernement britannique a négocié avec l'Union européenne un accord qui aurait dû permettre un Brexit organisé, et non un Brexit sans accord. Par un vote souverain, le Parlement britannique a refusé cet accord. Nous en avons pris acte – il ne pouvait pas en être autrement. Nous nous sommes donc organisés, en France, pour être prêts dans l'hypothèse, la formule des diplomates est savoureuse, « de moins en moins improbable », d'un Brexit sans accord.

M. Jean-Paul Lecoq. Moins par moins, ça fait plus !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Nous devons être prêts de façon à ce que la sécurité des personnes et des transactions soit garantie en cas de Brexit sans accord, et de façon à ce que la gêne provoquée par cette décision dans le confort quotidien et dans les flux commerciaux soit la moins grande possible. Mais ne nous racontons pas d'histoire ! Faire sortir les Britanniques de l'Union européenne et désimbriquer leur économie de l'ensemble européen n'est pas une histoire neutre. Cela ne se fait pas sans mal.

M. Jean-Paul Lecoq. C'est comme lorsqu'un couple se sépare !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Cela provoque forcément des difficultés et des contraintes pour les Français, pour les Européens – et bien plus encore pour les Britanniques. Notre objectif est de faire en sorte de les limiter, mais nous ne les nions pas : elles existeront.

La question du délai supplémentaire accordé aux Britanniques arrivera peut-être sur la table – je constate que ce sujet fait l'objet de nombreuses discussions. Nous verrons si une demande est formulée en ce sens, mais, aujourd'hui, je ne veux pas faire de politique-fiction. Je dis simplement que l'Union européenne saura prendre une décision pour préserver le marché unique lorsque le Royaume-Uni saura nous dire ce qu'il souhaite. Pour l'instant, j'observe, d'un point de vue politique, que beaucoup de majorités successives au Royaume-Uni savent nous dire ce qu'elles ne veulent pas, mais qu'il y en a assez peu pour exprimer ce qui serait une demande claire. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)

Données clés

Auteur : M. Jean-Christophe Lagarde

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Politique extérieure

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 24 janvier 2019

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