Question au Gouvernement n° 2012 :
Cinquante pas géométriques

15e Législature

Question de : M. Serge Letchimy
Martinique (3e circonscription) - Socialistes et apparentés

Question posée en séance, et publiée le 5 juin 2019


CINQUANTE PAS GÉOMÉTRIQUES

M. le président. La parole est à M. Serge Letchimy.

M. Serge Letchimy. Monsieur le Premier ministre, il y a entre la République et les peuples d'outre-mer des reliques de l'époque coloniale qui affectent toujours les relations humaines et nourrissent les frictions raciales. Parmi ces reliques, il y a la question des cinquante pas géométriques : cette réserve foncière de l'époque coloniale le long du littoral s'est transformée, au fil du temps, en refuge pour les plus pauvres mais aussi en zones de privatisation plus ou moins abusive. Entre pauvreté et richesse, les cinquante pas font l'objet d'innombrables conflits d'usage. Les récents événements de Fond Larion dans la commune de Sainte-Luce, en Martinique, sont révélateurs d'un sentiment d'injustice et d'un profond malaise qui traverse le pays sur la question foncière. Une telle situation met aussi en évidence les carences inadmissibles de l'État quant au respect de la liberté de circulation le long des plages ; une situation aggravée par l'érosion car la Martinique rétrécit à vue d'œil avec, par endroits, trente-cinq mètres de recul des côtes en dix ans !

Face à des troubles publics qui risquent de s'aggraver, la responsabilité de l'État est engagée : non-application de la loi Littoral de 1986 qui instaure les servitudes de passage ; non-application de l'article 27 de la loi d'octobre 2015 qui prévoit le transfert de la gestion des cinquante pas aux collectivités de Martinique et de Guadeloupe ; pas d'approbation des documents stratégiques ni de délimitation des terrains concernés ; pas de moyens financiers identifiés.

Dès lors, monsieur le Premier ministre, j'ai deux questions et une suggestion : pouvez-vous m'indiquer un nouvel agenda en vue de respecter les obligations de l'État ? Quand jugerez-vous utile de donner un vrai sens aux notions de subsidiarité et de différenciation dans ce pays ? (Mme Valérie Rabault applaudit.) À cet égard, la philosophie humaniste et émancipatrice d'Aimé Césaire peut être une source d'inspiration, et quand en userez-vous pour sortir ces pays d'outre-mer de leur léthargie actuelle et de leur déresponsabilisation structurelle ? ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC et sur de nombreux bancs du groupe GDR. – Mme Delphine Batho applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Annick Girardin, ministre des outre-mer. Je rappelle, pour l'information de tous, que la règle des cinquante pas géométriques correspond environ à quatre-vingt-un mètres sur le littoral dans les départements d'outre-mer et que c'est une des plus anciennes règles du droit français. Cette bande de terre est devenue, en 1955, domaine privé de l'État, puis, en 1986, ont été créées les agences des cinquante pas géométriques, bien sûr établissements publics de l'État. Ces agences ont en charge de régulariser les occupations sans titre de ces terrains, leurs compétences s'appliquant à tous.

Je sais, monsieur le député, que le sujet des cinquante pas fait actuellement débat en Martinique et qu'il faut absolument parvenir à traiter toutes les questions qui en découlent parce que de nombreuses familles ont, depuis des générations, pour des raisons historiques, des habitations sur le littoral. Les régularisations peuvent bien sûr être effectuées au cas par cas, dans la continuité de l'urbanisation locale, mais pas dans une zone à risque naturel ou d'intérêt écologique majeur. L'érosion du trait de côte, vous l'avez évoquée, a eu pour conséquence de rendre impossible l'accès à pied à certaines plages.

Il faut dès lors être dans l'action pour apporter une double réponse : l'une au droit de propriété et, en même temps, l'autre au libre passage. Là où je vous rejoins, c'est qu'il est vrai qu'a été décidé – à votre initiative –, en 2015, de transférer les compétences des agences des cinquante pas aux collectivités territoriales… et quatre ans après, cela n'a pas été fait. Il y a toujours eu beaucoup de bonnes raisons invoquées pour justifier cette inaction, mais après avoir bien regardé le dossier, je constate qu'elles ne sont pas valables. Et vous avez raison : chacun doit prendre ses responsabilités. C'est pourquoi j'ai proposé, et je le ferai avec mes collègues François de Rugy et Jacqueline Gourault, d'introduire une disposition à cet effet dans le futur projet de loi pour la prévention et la protection contre les risques naturels outre-mer. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Données clés

Auteur : M. Serge Letchimy

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Outre-mer

Ministère répondant : Outre-mer

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 5 juin 2019

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