Question au Gouvernement n° 2832 :
Mesures économiques pour lutter contre la crise liée au covid-19

15e Législature

Question de : Mme Valérie Rabault
Tarn-et-Garonne (1re circonscription) - Socialistes et apparentés

Question posée en séance, et publiée le 1er avril 2020


MESURES ÉCONOMIQUES POUR LUTTER CONTRE LA CRISE LIÉE AU COVID-19

M. le président. La parole est à Mme Valérie Rabault.

Mme Valérie Rabault. Monsieur le Premier ministre, le groupe Socialistes et apparentés a formulé plusieurs propositions dans le domaine économique. Je constate que vous en avez repris certaines, certes avec un peu de retard, notamment l'extension du fonds d'aide aux TPE, les très petites entreprises, et la suppression du jour de carence pour les fonctionnaires.

Je souhaite vous soumettre trois autres propositions très concrètes.

La première concerne les assurances. Comme cela a déjà été souligné, de nombreux commerçants, indépendants et artisans ont souscrit une assurance perte d'exploitation : lorsque l'état de catastrophe naturelle est reconnu, l'assurance compense une partie du chiffre d'affaires qui n'a pas été réalisé. Toutefois, beaucoup se sont vu refuser cette compensation au motif que le contrat qu'ils ont signé comporte une clause qui exclut la pandémie, même si l'état de catastrophe naturelle est reconnu.

En 2018, les assureurs ont encaissé 2,1 milliards d'euros de cotisations au titre de l'assurance perte d'exploitation. Monsieur le Premier ministre, êtes-vous, oui ou non, disposé à faire contribuer les assureurs, en suivant le modèle de la contribution spéciale temporaire que vous aviez créée pour toutes les entreprises en décembre 2017 ? Cela rapporterait environ 1,4 milliard d'euros.

J'en viens à notre deuxième proposition. De nombreux fleurons français ont vu leur valeur boursière s'effondrer ces derniers jours, ce qui fait d'eux des proies faciles pour les investisseurs étrangers. Il est indispensable de les protéger des prédateurs. La loi permet au ministre de l'économie et des finances de refuser des investissements étrangers, mais dans quelques secteurs seulement. Êtes-vous, oui ou non, favorable à une extension de ce régime d'autorisation préalable à toutes les sociétés cotées en bourse et aux achats de brevets, jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire ? Le ministre de l'économie et des finances serait ainsi en mesure de contrôler tous les rachats, voire de les interdire – les États-Unis le font déjà.

Le troisième point concerne le versement des dividendes. Le ministre de l'économie et des finances a appelé les entreprises aidées par l'État à ne pas en distribuer. Nous proposons de l'inscrire dans la loi. Seriez-vous, oui ou non, d'accord pour le faire ?

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Une fois encore, madame la présidente, il y a beaucoup de questions dans votre question !

Mme Valérie Rabault. Trois !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Oui, trois, cette fois-ci.

Concernant les dividendes, nous avons en effet appelé à la modération les entreprises qui souhaitent en verser. Nous avons posé un principe simple : lorsqu'elles sollicitent un report du versement de leurs charges ou la garantie de l'État pour leurs emprunts bancaires, autrement dit lorsqu'elles font appel à la solidarité financière de l'État pour tenir, nous considérons qu'elles ne peuvent pas distribuer de dividendes. Telle est la règle que nous avons formulée.

Mon propos concerne les grandes entreprises. En effet, lorsque l'on évoque les entreprises, on désigne une entité juridique, mais celle-ci recouvre des réalités différentes : la société à responsabilité limitée employant douze salariés, dont le patron se paye souvent davantage en dividendes qu'en salaire, ne peut ici être considérée au même titre que la multinationale.

Mme Valérie Rabault. Sur ce point, nous sommes d'accord.

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je sais que vous êtes d'accord avec moi, mais je tiens à le préciser pour d'éventuels auditeurs : l'interdiction que j'ai évoquée concerne les grandes entreprises.

S'agissant du recours à l'activité partielle, permettant de placer les salariés au chômage partiel, nous avons également invité les entreprises à faire preuve de modération. Nous devons veiller en effet à garantir leur stabilité, y compris actionnariale. Elles sont en mesure d'apprécier ce qu'il convient de faire ou non, mais nous les avons fermement invitées à la modération, et nous pensons que le message a été entendu.

Au sujet des investissements étrangers, nous sommes effectivement vigilants – vous avez raison de nous inviter à l'être. Nous ne voudrions pas que des entreprises qui participent de la souveraineté nationale ou occupent une place particulière dans le tissu économique productif deviennent, du fait de la diminution de leur valeur boursière, la cible d'investisseurs étrangers qui auraient conservé des capacités d'investissement considérables et seraient à même d'en prendre le contrôle.

Vous savez qu'il existe des dispositions permettant de veiller à ce que les entreprises relevant de la souveraineté nationale ne fassent pas l'objet de raids de cette nature ; nous y aurons évidemment recours. Comme nous l'avons indiqué, nous sommes également prêts, lorsque cela nous paraîtra nécessaire, à prendre nos responsabilités dans les entreprises dont l'État est déjà actionnaire – elles peuvent d'ailleurs être, elles aussi, la cible de tels raids. Le cas échéant, cela pourrait aller jusqu'à en prendre le contrôle ; nous n'avons exclu aucune possibilité en la matière. Toutefois, au désespoir de certains peut-être, nous ne pouvons évidemment pas annoncer que nous prendrons le contrôle de toutes les entreprises.

Mme Valérie Rabault. Ce n'est pas ma proposition !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . J'ai bien compris que telle n'était pas votre proposition, ni votre intention.

En tout cas, il nous paraît qu'une interdiction de principe aurait plus d'inconvénients que d'avantages. Aussi n'avons-nous pas décidé de poser une telle interdiction, avec une autorisation qui deviendrait l'exception. Il n'en reste pas moins que la vigilance à laquelle vous nous invitez est de mise ; nous veillerons à ne pas placer des entreprises françaises dans une situation de fragilité.

Enfin, vous évoquez la question de la participation des assureurs à l'effort collectif. Relevons d'abord qu'ils ont accepté de participer, à hauteur de 200 millions d'euros, au financement du fonds de solidarité créé par le Gouvernement – les régions apportant pour leur part une contribution de 250 millions. Le fonds est ainsi passé de 1 milliard à 1,2 milliard.

Il est d'ailleurs probable, nous l'avons dit, que ce fonds sera tenu de fonctionner pour le mois d'avril également, voire au-delà. Je réponds ainsi de manière incidente à des questions posées antérieurement : le travail sur le déconfinement est devant nous, nous le savons parfaitement. Il a été engagé sur les plans technique, sanitaire, économique, mais les conditions dans lesquelles nous pourrons déconfiner sont encore à l'étude et dépendent très largement de l'efficacité du confinement et de la capacité d'accueil dans les services de réanimation. Notre stratégie globale, je le rappelle, consiste à empêcher le virus de circuler à un rythme tel que cela déborderait cette capacité d'accueil à l'échelle nationale. Dès lors, le déconfinement devra prendre en considération la réalité de la diminution des cas d'entrée en réanimation.

La question est donc délicate des points de vue technique, sanitaire, économique et, bien entendu, politique. Aucun d'entre nous, quelle que soit son orientation politique, ne souhaite que le confinement dure trop longtemps ; nous voulons tous le limiter à ses bornes les plus étroites. Néanmoins, je le dis à ceux qui s'interrogent sur sa durée, personne n'accepterait davantage que le déconfinement, parce qu'il n'aurait pas été accompagné par une bonne préparation, notamment par une politique de tests appropriée, se traduise par une augmentation immédiate du nombre de cas sévères nécessitant une hospitalisation.

La réflexion sur le déconfinement est en cours, nous aurons l'occasion d'y revenir. Les experts travaillent sur la question, des équipes sanitaires réfléchissent à ses modalités. Le moment venu, nous répondrons bien entendu à toutes les questions sur ce sujet.

Pour revenir à votre proposition, les assureurs sont appelés à participer à l'effort collectif. Vous évoquez une modification, par la loi, du sens de contrats passés entre des personnes privées.

Mme Valérie Rabault. Non, une contribution !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . De fait, si les contrats prévoient qu'en cas de pandémie, les clauses relatives à l'état de catastrophe naturelle ne s'appliquent pas, une loi tendant à revenir sur ce point interviendrait dans des contrats passés entre personnes privées. Ce n'est pas impossible mais, vous le savez, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a posé des limites très strictes à une intervention de cette nature, comme à la possibilité d'imposer à certaines entreprises une contribution au financement de la protection sociale, selon des critères qui ne seraient pas objectifs au regard du but recherché. C'est d'ailleurs un élément qui avait conduit le Gouvernement, lorsqu'il avait dû tirer les conséquences de pratiques antérieures qui avaient été déclarées anticonstitutionnelles, vous vous en souvenez sans doute,…

Mme Valérie Rabault. C'est précisément le cas auquel j'ai fait référence !

M. Édouard Philippe, Premier ministre . Je le sais bien, puisque c'est nous qui avons dû trouver la solution pour le remboursement. Nous avions dû viser toutes les entreprises réalisant un chiffre d'affaires supérieur à un certain seuil, et non une catégorie d'entreprises définie selon leur objet.

Si nous voulons travailler sur la mesure que vous évoquez, il faut évidemment vérifier sa conformité avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel, laquelle est extrêmement exigeante. Je sais que vous le savez, mais il me paraît utile, là encore, de le rappeler.

Données clés

Auteur : Mme Valérie Rabault

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Entreprises

Ministère interrogé : Premier ministre

Ministère répondant : Premier ministre

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 1er avril 2020

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