La responsabilité sociétale des entreprises dans le monde d'après
Question de :
M. Philippe Latombe
Vendée (1re circonscription) - Mouvement Démocrate et apparentés
M. Philippe Latombe interroge M. le ministre de l'économie et des finances sur la responsabilité sociétale des entreprises. La crise actuelle a mis le doigt sur les défaillances, que l'on avait plus ou moins occultées, par négligence ou facilité, par souci d'impératifs comptables de court terme, par manque de recul, de vision. Elle s'inscrit de plus dans un contexte de crise environnementale annoncée, dont l'échéance semble vouloir survenir bien plus vite que prévu. Le temps est compté. Comme M. le ministre l'a lui-même écrit très récemment - M. le député le cite - : « Nous ne pouvons plus nous affranchir des règles du vivant. Nous, humains, nous vivons dans une cohabitation muette avec le monde animal et végétal, avec les océans, avec les lacs, les fleuves et les rivières, avec les nuages et le ciel. Nous avons domestiqué la planète. Nous devons apprendre à la respecter. » Dans un tel contexte, la responsabilité sociétale, qui cherche à faire converger l'intérêt des individus et des organisations avec celui de l'environnement, se retrouve par essence en première ligne. On parle souvent de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), il faudrait d'ailleurs préférer à cette appellation celle de responsabilité sociétale des organisations (RSO), car toutes sont concernées, qu'elles soient publiques ou privées, à but lucratif ou non. Il serait trop facile de penser que l'effort à fournir serait limité aux seules entreprises. La RSE RSO a été amplement définie et documentée ces dernières années. Elle reste malheureusement trop livrée à la bonne volonté des dirigeants, trop souvent utilisée comme une opportunité de communication, plutôt que comme un véritable outil stratégique, la norme ISO 26000 qui la définit n'ayant aucune valeur de certification. On touche là les limites du volontariat. M. le ministre peut-il lui dire si le Gouvernement envisage d'encourager une montée en puissance de la RSE au sein des organisations et, dans l'affirmative, ce qui est envisagé ? Ne pense-t-il pas que, dans le cas particulier de la commande publique, il est important que la prise en compte de la RSE dans la commande publique devienne plus systématique, comme M. le député le préconise d'ailleurs dans une proposition de loi déposée en fin d'année dernière ? Il souhaite connaître son avis sur ces sujets.
Réponse en séance, et publiée le 9 décembre 2020
RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES ET DES ORGANISATIONS
M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe, pour exposer sa question, n° 1045, relative à la responsabilité sociétale des entreprises et des organisations.
M. Philippe Latombe. La crise actuelle a mis le doigt sur des défaillances que nous avions plus ou moins occultées, par négligence ou facilité, à cause d'impératifs comptables de court terme, par manque de recul ou de vision. Elle s'inscrit de surcroît dans un contexte de crise environnementale annoncée, dont l'échéance semble devoir survenir bien plus vite que prévu : le temps nous est compté. Comme le ministre de l'économie et des finances l'a récemment écrit dans un ouvrage publié chez Gallimard : « Nous ne pouvons plus nous affranchir des règles du vivant. Nous, humains, nous vivons dans une cohabitation muette avec le monde animal et végétal, avec les océans, avec les lacs, les fleuves et les rivières, avec les nuages et le ciel. Nous avons domestiqué la planète. Nous devons apprendre à la respecter. »
Dans un tel contexte, la responsabilité sociétale, qui vise à faire converger l'intérêt des individus et des organisations avec celui de l'environnement, se retrouve par essence en première ligne. On parle souvent de responsabilité sociétale des entreprises, ou RSE. Il faudrait d'ailleurs préférer à cette appellation celle de responsabilité sociétale des organisations, ou RSO ; en effet, toutes les structures sont concernées, qu'elles soient publiques ou privées, à but lucratif ou non ; il serait trop facile de penser que l’effort à fournir incombe aux seules entreprises.
La RSE-RSO a été amplement définie et documentée ces dernières années. Elle reste malheureusement trop livrée à la bonne volonté des dirigeants, trop souvent utilisée comme une occasion de communication plutôt que comme un véritable outil stratégique, la norme ISO 26000, qui la définit, n'ayant aucune valeur de certification. On touche là les limites du volontariat.
Pouvez-vous nous dire, monsieur le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics, si le Gouvernement envisage d'encourager une montée en puissance de la RSE dans les organisations publiques et, dans l'affirmative, de quelle manière ? Ne pensez-vous pas qu'il est important de rendre plus systématique la prise en compte de la RSE dans les opérations de commande publique, comme je le préconise dans une proposition de loi déposée en fin d'année dernière ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur Latombe, le Gouvernement aspire évidemment, comme vous, à placer la responsabilité sociale et environnementale au cœur de la stratégie des entreprises et des organisations. La loi PACTE, relative à la croissance et à la transformation des entreprises, adoptée le 22 mai dernier, concrétise cette aspiration à travers plusieurs mesures fondamentales.
En consacrant, dans la gouvernance des entreprises, la notion d'intérêt social, et en renforçant la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux inhérents à leur activité, désormais obligatoire pour toutes les entreprises, nous avons accompli un premier pas.
Dans le même esprit, nous avons introduit la possibilité pour chaque entreprise de se doter d'une raison d'être, c'est-à-dire de construire ou de préciser le sens de son projet entrepreneurial et de l'action de son collectif sur le long terme, et nous avons créé le statut d'entreprise à mission, permettant aux entreprises qui le souhaitent de s'investir plus qu'auparavant, en intégrant pleinement au sein de leur modèle d'affaires une démarche de transition sociale et environnementale.
Nous avons aussi créé un nouveau statut de fondation, celui de fonds de pérennité, qui permet de pérenniser le fondement et les valeurs d'une entreprise, y compris après le départ de son fondateur, mais aussi la mobilisation de ressources pour le financement d'actions diversifiées, voire d'intérêt général. Le décret d'application de ce dispositif est paru le 7 mai 2020.
En outre, la loi PACTE a permis des avancées sur des problématiques essentielles liées à la responsabilité des organisations : l'équité des salaires, l'égalité femmes-hommes ou le soutien aux entreprises de l'économie sociale et solidaire sont autant de champs sur lesquels nous avons progressé tous ensemble.
Il s'agit donc d'un point d'étape majeur dans l'effort de transformation durable de nos organisations et de nos entreprises, et nous sommes déterminés à mobilier l'ensemble de ces outils.
Vous l'avez dit, nous préparons un plan de relance transversal, qui devra accompagner notre économie dans la transformation numérique mais aussi la transition écologique et environnementale. La réflexion sur la responsabilité sociale des entreprises et des organisations aura toute sa place dans ce cadre.
Votre proposition de loi que vous avez mentionnée a notamment pour objectif la prise en compte systématique du critère de RSE pour les commandes publiques. Toutefois, dans l'état actuel du droit européen, l'introduction d'un tel critère n'est possible que lorsque ce critère est en rapport direct avec l'objet du marché, ce qui a pour conséquence de limiter le champ d'application de votre proposition. Ce débat devra être poursuivi, à la fois aux niveaux national et européen, afin d'aller plus loin voire de trouver les voies et moyens pour être plus efficace, malgré la règle communautaire.
M. le président. La parole est à M. Philippe Latombe.
M. Philippe Latombe. Ma proposition de loi ne vise pas à rendre systématique la prise en compte du critère de RSE pour les commandes publiques, mais à permettre aux collectivités territoriales de l’inclure dans la stratégie régionale de commande publique.
Si la réglementation européenne crée certes une difficulté en limitant le champ d’application de ce critère, elle laisse précisément une petite marge de manœuvre en autorisant la prise en compte des critères sociétaux pour les commandes publiques. La proposition de loi que j’ai déposée s’appuie sur cette possibilité.
Une collectivité comme Nantes Métropole, dont l’appel d’offres a fait l’objet du fameux arrêt du 25 mai 2018 du Conseil d’État, est très clairement en pointe. La plupart des collectivités territoriales souhaiteraient pouvoir intégrer le critère de la RSE dans leurs commandes publiques, au moins de façon marginale, ce qui constituerait une avancée. Je pense qu'il faut absolument que l'on accélère, les collectivités territoriales le demandent.
Auteur : M. Philippe Latombe
Type de question : Question orale
Rubrique : Entreprises
Ministère interrogé : Économie et finances
Ministère répondant : Économie et finances
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 19 mai 2020