Question orale n° 1056 :
Il faut rétablir une pleine confiance entre la population et sa police

15e Législature

Question de : M. Alexis Corbière
Seine-Saint-Denis (7e circonscription) - La France insoumise

M. Alexis Corbière alerte M. le ministre de l'intérieur sur la rupture de confiance entre une partie grandissante de la population et la police. M. le ministre, dans ses vœux à la police nationale le 13 janvier 2020, disait : « l'usage juste et proportionné de la force est ce qui sépare la démocratie de l'arbitraire, ce qui distingue l'ordre et la brutalité, c'est le fondement, aussi, de notre confiance avec les Français ». Or, de récents sondages l'attestent : cette confiance entre la population et sa police s'érode. Des habitants de Bagnolet, de Montreuil et d'autres villes de la Seine-Saint-Denis l'interpellent régulièrement car ils ont l'impression que des policiers les contrôlent, et parfois les agressent ou les insultent, non parce qu'ils constituent une menace, mais à cause de leur couleur de peau, leur origine ou leur religion supposées. M. le ministre a d'ailleurs été interpellé ces dernières semaines par plusieurs associations et personnalités. M. le député pense par exemple à la chanteuse Camélia Jordana qui a eu le mérite d'aborder publiquement un sujet trop souvent tu. M. le ministre peut trouver que certaines critiques ou certains propos sont excessifs. Mais il ne peut nier qu'un sentiment de méfiance, et parfois de peur, est partagé par une part grandissante de la population à l'égard de la police. Jusqu'à présent, M. le ministre a choisi de taire tout débat sur la question. Pourtant, la multiplicité des actes violents et des propos parfois racistes dont se rendent coupables certains agents doit alerter collectivement les membres de la représentation nationale, et M. le ministre spécifiquement, comme responsable hiérarchique des 250 000 policiers et gendarmes français. La police est un service public. Elle doit pouvoir être critiquée et améliorée, n'en déplaise à certains syndicats qui assimilent toute critique à une prétendue « haine anti-flic ». M. le député est d'ailleurs conscient que les policiers et gendarmes font un travail difficile. M. le député a lui-même réclamé une commission d'enquête pour tenter de comprendre ce qui pouvait mener chaque année plusieurs dizaines d'agents à mettre fin à leurs jours sur leur lieu de travail. À ces difficultés ne doit donc pas s'ajouter la honte subie, lorsqu'un ou plusieurs collèges agissent de manière intolérable. M. le ministre ne peut plus nier cette rupture de confiance entre une partie de la population et sa police, qui crée un malaise des deux côtés. Cela pose un problème sociétal majeur et doit donc amener à ce qu'un débat et une réflexion puissent s'ouvrir, de manière raisonnable et bien sûr responsable. Il lui demande donc ce qu'il compte faire pour rétablir cette nécessaire confiance entre tous les Français et leur police.

Réponse en séance, et publiée le 9 décembre 2020

CONFIANCE ENTRE LA POLICE ET LA POPULATION
M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière, pour exposer sa question, n°  1056, relative à la confiance entre la police et la population.

M. Alexis Corbière. Les États-Unis ne sont pas la France, certes. Mais les différences ne peuvent effacer les points communs qui apparaissent aux yeux de beaucoup de nos concitoyens. Dernièrement, aux États-Unis, des milliers de personnes se sont soulevées après le meurtre de George Floyd par la police de Minneapolis. Une indignation mondiale, saine, juste et légitime s'est répandue. En France, cette colère entre en résonance avec les combats menés pour que toute la lumière soit faite sur la mort de plusieurs de nos concitoyens au cours d'interpellations.

Ici aussi, en France, des dizaines de milliers de personnes se sont ainsi rassemblées pour rappeler qu'avant George Floyd, il y a eu M. Adama Traoré, Mme Zineb Redouane, Zyed Benna, Bouna Traoré et beaucoup d'autres. Face à cette indignation qui monte, M. le ministre Castaner a annoncé des mesures pour tenter, dit-il, de mettre fin aux violences policières et au racisme dans la police.

Il aura donc fallu attendre plusieurs années et une large mobilisation populaire pour que vous reconnaissiez enfin que des problèmes existent. Pourquoi tant de temps perdu ?

Depuis la nomination de M. Castaner, on a le sentiment que le ministère de l'intérieur a toujours cherché à taire ces problèmes, à les minimiser, à les étouffer, niant des violences contre les gilets jaunes et des interpellations anormalement violentes, en particulier dans des quartiers populaires, et préférant même parfois colporter de fausses informations. J'ai ainsi souvenir de M. Castaner me disant ici même que l'interpellation violente qui avait eu lieu à Bordeaux était juste, puisque les faits retenus contre la personne violentée étaient avérés, ce qui était totalement faux. Le dernier rapport du Défenseur des droits, publié hier, montre que cette attitude était fausse. En votre qualité de donneur d'ordre numéro un, votre responsabilité est directement engagée et vous devez des explications à la représentation nationale.

Pourquoi l'IGPN, l'Inspection générale de la police nationale, prononce-t-elle aussi peu de sanctions, alors que des faits de violence sont avérés et circulent sur les réseaux sociaux, que des groupes Facebook racistes sont dévoilés dans la presse et que les sanctions prononcées contre la France par certaines instances internationales montrent qu'il ne s'agit pas d'actes isolés ? J'ai une pensée particulière pour des policiers qui ont élevé la voix contre ces propos racistes, spécialement, et même s'il n'est pas le seul, à M. Noam Anouar, policier, actuellement traîné devant l'IGPN, si je puis me permettre cette expression, et menacé de nombreuses sanctions administratives, alors qu'il était un lanceur d'alerte qui aurait dû être écouté.

Pourquoi avez-vous, sinon ordonné, du moins toléré 30 000 tirs de LBD – lanceur de balles de défense – et plus de 10 000 tirs de grenades explosives en deux ans seulement, en particulier lors des manifestations des gilets jaunes ? J'ai déposé, avec le groupe de La France insoumise, une proposition de loi visant à interdire ces armes potentiellement létales, qui mutilent et brisent des vies. Vous avez balayé cela d'un revers de main. Pourquoi certaines techniques d'interpellation, comme le plaquage ventral, ne sont-elles pas remises en cause ? Toujours avec notre groupe, Mme Obono et M. Bernalicis ont déposé une proposition de loi, que vous avez rejetée.

Comme vous l'avez compris, il y a aujourd'hui une situation grave, un manque de confiance d'une partie importante de la population envers notre police, qui doit être un service public apprécié de tous et respecté. Pour qu'il le soit, chacun de ceux qui ont cette mission difficile doit être respectable. Pour être franc, nous manquons de confiance dans l'idée que vous puissiez mener à bien ce travail.

Pourquoi ce temps perdu ? Pourquoi aura-t-il fallu ce scandale révélé par l'organe de presse StreetPress, qui a montré que deux groupes, rassemblant respectivement 8 000 et 9 000 personnes, dont de nombreux policiers, tenaient des propos intolérables ? Pourquoi a-t-il fallu tout ce temps et cette réaction qui n'est pas venue de l'institution pour que vous commenciez à faire des déclarations allant dans le bon sens ? Je veux considérer que la conférence de presse qui a eu lieu hier est un point positif, un petit pas en avant, mais que de temps perdu, que de gens blessés, que de vies perdues du fait de techniques d'interpellation et d'une banalisation de choses intolérables par l'institution ! L'heure est grave, monsieur le secrétaire d'État. Comme vous l'aurez compris, M. Castaner nous semble avoir été tellement peu à la hauteur de la situation que la déclaration par laquelle nous demandions sa démission est encore d'actualité. Je souhaiterais néanmoins vous entendre répondre à la question de savoir pourquoi tant de temps perdu.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur, pour peu de temps désormais.

M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Monsieur le député, je vais m'efforcer, en peu de temps, de répondre à une question qui abordait de très nombreux sujets. Je rappelle tout d'abord que le ministre de l'intérieur a annoncé des mesures, dans la définition desquelles j'ai pris, compte tenu de mon expérience et du rôle que je joue auprès de lui, toute ma part. Je ne peux pas vous laisser dire que nous avons mis du temps à réagir, car le problème du racisme dans la police a toujours été pris en compte. Depuis de nombreuses années, des formations sont organisées sur ces thématiques, notamment dans le cadre de la formation initiale des gardiens de la paix et des militaires de la gendarmerie. Chaque fois qu'il y a des actes ou des propos injurieux ou racistes, des procédures disciplinaires sont engagées. Le racisme n'a pas sa place dans la police nationale ni dans la gendarmerie nationale. Nous l'avons dit et répété, et nous réagissons fermement.

Cependant, comme l'a dit hier le ministre et comme je l'ai rappelé moi-même hier soir sur BFM TV, nous ne voulons pas d'amalgame, ni que l'on puisse dire, comme je l'ai entendu, que la police serait raciste de manière systémique. C'est faux. Il y a certes des actes isolés, qui jettent l'opprobre sur l'ensemble de l'institution et qui doivent être sanctionnés. C'est bien parce que nous voulons préserver ce lien fondamental entre la police et la population, entre la police et les citoyens, et préserver l'image de l'institution, que nous voulons réprimer encore plus sévèrement les auteurs de propos ou d'actes injurieux ou racistes ; d'où le renforcement annoncé des règles de déontologie policière.

De la même façon, nous avons passé en revue toutes les techniques d'interpellation et il a été décidé d'en retirer une de l'usage des policiers, parce qu'elle nous passait dangereuse. Les autres, croyez-moi, sont indispensables pour interpeller des individus violents qui ont souvent commis des infractions et qui ne se laissent pas interpeller.

M. Alexis Corbière. M. Chouviat n'était pas vraiment un individu violent !

Données clés

Auteur : M. Alexis Corbière

Type de question : Question orale

Rubrique : Police

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Intérieur

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 9 juin 2020

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